Le JSF: l’inquiétude européenne (britannique) devient publique, via l’UEO

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Pour l’instant, nous en sommes réduits aux conjectures. Ce communiqué de presse de l’Assemblée de l’UEO, curieusement daté du 19 décembre 2009, que nous supposons par conséquent être du 9 décembre (mercredi dernier), qui parle d’une séance “ce mardi”, soit, sans doute, le 8 décembre – bref, ce communiqué décrit une séance de l’Assemblée du plus haut intérêt. Comme l’on sait, ou comme on l’apprend éventuellement, l’Assemblée de l’UEO est une assemblée européenne traitant exclusivement de matière de défense et de sécurité.

Sujet à l’ordre du jour – et l’on comprendra alors notre intérêt: «L’Assemblée souhaite plus de cohérence de la part des Européens engagés dans le projet d’avion de combat américain JSF.» Le Britannique Nigel Evans présentait le rapport. C'est un tory plutôt eurosceptique, en général plus favorable aux “special relationships” avec les USA. Ses paroles n'en ont que plus d'intérêt. Retenons ces quelques points.

• «Nigel Evans (Royaume-Uni, Groupe fédéré) a regretté qu’il “n’existe aucune cohérence entre les pays et entreprises européens engagés dans ce dossier d’une part, et d’autre part les Etats-Unis qui dominent le terrain des négociations”. […] M. Evans a estimé que “si ces derniers et leurs entreprises ne se parlent pas, ils seront toujours en situation d’infériorité à l’égard des Etats-Unis”, désireux de limiter au minimum les transferts de technologies sensibles.»

• Nigel Evans a rappelé que les pays européens se tiennent en bonne position face aux USA avec trois avions de très bonne qualité (le Gripen, le Rafale et le Typhoon) – ce qui fait s’interroger a posteriori sur le choix de cinq d’entre ces pays, dont le Royaume-Uni, pour le JSF. Le communiqué poursuit: «L’Assemblée a appelé […] les partenaires du programme JSF à privilégier les avions européens (‘Typhoon’ et ‘Rafale’ Marine) “au cas où le département de la défense américain arrêterait le projet JSF”.»

• Dernière remarque, d’un Britannique, en forme de critique à l’encontre des pays européens qui n’arrivent pas à s’organiser pour s’éviter d’acheter du matériel US. Venant d’un Britannique, la remarque a toute sa saveur – et, éventuellement, pourrait s’interpréter comme un indirect coup de pied de l’âne, avec une incertitude sur la l’identité de celui qui reçoit le coup de pied… («Clôturant le débat, M. Edward O’Hara (Royaume-Uni, Groupe socialiste), président de la Commission technique et aérospatiale, a estimé que les aléas du projets JSF sont “exemplaires de tout ce qui cloche dans une Europe qui n’utilise pas tout son potentiel” en maintenant un effort de défense inégal entre ses membres et à un bas niveau ne permettant pas de prétendre à faire jeu égal avec les Etats-Unis.»)

Notre commentaire

@PAYANT Même si les nouvelles ne sont plus aussi fraîches qu’on pourrait l’espérer, elles gardent leur pesant de livres sterlings. On objectera aussitôt le peu d’influence de l’Assemblée de l’UEO, et l’on aura bien tort. Non pas que l’Assemblée ait une influence cachée considérable mais parce que personne, dans le chaos actuel, n’a d’influence décisive sur quoi que ce soit, particulièrement sur le JSF, notamment par ignorance du sujet, par crainte d’une décision, par le confort de la paralysie et ainsi de suite… On ajoutera que, dans le cas du JSF, l’attitude du Pentagone et de Washington est pour les Européens, selon le mot consacré, “un énigme enrobée de mystère”.

Par conséquent, il n’y a aucune raison de traiter par le mépris une intervention de l’Assemblée de l’UEO, d’autant que l’expertise de cette Assemblée, dans les domaines aérospatiaux notamment, est largement supérieure à celle de bien d’autres organes plus imposants. Cela suppose des commentaires effectivement empressés de notre part, d’autant que les diverses déclarations le méritent.

• D’abord, notons que les deux intervenants cités sont Britanniques, et ce que disent ces gentlemen n’est pas vraiment détestable. Ils n’auraient rien dit de semblable en 2002, quand ils s’empressaient de signer avec les USA, étant les premiers à le faire, se promettant à eux-mêmes des perspectives mirobolantes. Bref, ils ont une responsabilité évidemment majeure dans l’engagement européen dans le JSF, ce qui fera qu’on prendra d’autant plus au sérieux la remarque de monsieur O’Hare, qui reproche quasiment aux Européens de n’avoir pas su s’arranger pour faire quelque chose en commun, et d’européens please, au lieu d’aller chez ces yankees. L’hypocrisie à ce point a de quoi laisser plein d’admiration, d’autant que les quasi-$5 milliards investis par les Européens dans le JSF auraient suffi à produire un modèle européen commun, éventuellement à partir de l’un ou l’autre programme européen existant. Cela dit, si les Britanniques parlent comme ils le font, c’est qu’ils sont en train de connaître de bien mauvaises angoisses par rapport à la destinée du JSF, et à leur propre destin dans cette galère.

• A noter que l’appel de Mr. Evans à une sorte de consortium des Européens engagés dans le JSF pour faire pression sur les USA est une idée déjà en l’air, comme on l’a vu, curieusement venue d’un Américain (voir notre Bloc-Notes du 8 décembre 2009). A noter qu’elle concerne d’abord des pressions pour obtenir un transfert de technologies, ce qui montre combien les Britanniques ont été touchés par la récente nième confirmation US qu’il n’y aurait pas de transferts des codes sources de l’avion vers les coopérants. A côté de l’hypocrisie colossale, quelle naïveté consternante, produit évidente de l’arrogance britannique, de la certitude qu’ils ont de leur propre influence : comment peuvent-ils s’imaginer qu’ils amèneront les USA à céder à leurs pressions si le Pentagone a décidé qu’il n’y aurait pas de transfert?

• Il est tout de même remarquable, encore une fois à partir d’interventions dirigées par des Britanniques, d’entendre des voix officielles exprimer dans une assemblée qui ne l’est pas moins 1) la possibilité de l’abandon du programme JSF par le Pentagone, ce qui représente l’équivalent d’une hypothèse malséante sur la virginité de Marie; et 2) qu’en une telle occurrence, les Britanniques devraient se se replier sur un avion européen (c’est-à-dire repoussant l’hypothèse de l'achat du Boeing Super Hornet), soit le Rafale et le Typhoon. Cela revient à recommander le Rafale, si l’on tient compte du caractère surréaliste de l’hypothèse d’un Typhoon navalisé.

Que conclure de cela? Que l’Assemblée de l’UEO, dont la “visibilité médiatique” n’est pas très élevée, est une bonne tribune pour exprimer mezzo voce, mais tout de même publiquement, une telle préoccupation, essentiellement britannique pour toutes les raisons qu’on a vues. On en conclura donc que cette préoccupation est d’ores et déjà un fait politique majeur des relations entre les USA et le Royaume-Uni, encore plus qu’entre les USA et l’Europe.


Mis en ligne le 14 décembre 2009 à 16H00