Le JSF prisonnier de la logique de son virtualisme

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Il y a eu une nouvelle volée de bois vert contre le JSF, à l’occasion de la sortie du nouveau rapport du GAO sur l’oiseau. Pas de surprise, la chose, – le rapport annuel du GAO suivi de la volée de bois vert, – est devenue une sympathique tradition.

La principale nouvelle du rapport est présentée dans un style “hip-hop” par Bill Sweetman, le 13 mars. Le commentaire se trouve sur son blog, où ce journaliste se montre en général beaucoup plus à l’aise pour prendre sa part du passe-temps favori qu’est devenue l’attaque contre le JSF.

«The most amazing item in the new GAO report on the Joint Strike Fighter is that someone in the Pentagon is seriously planning to accelerate deliveries, adding a total of 169 aircraft to early low-rate initial production blocks.

»People! The JSF program office itself has said that the program’s going to face difficulties accelerating production and staying on budget. The GAO report makes it clear that the program did not stay on its cost track in 2008, with continuing manufacturing issues. Building more aircraft on a stable cost base is good, and reduces unit costs. Building more aircraft on an already overstressed production line is bad.

»Whose cockamamie idea this is, the GAO does not make clear, but the goal is apparently to accelerate recapitalization of the fighter force; more to the point, it probably represents an attempt by the JSF’s high-level supporters to forestall moves by the USAF and Navy to extend the F-22 and F/A-18 lines.

»In any event, the GAO estimates that it will add $33.4 billion to the low-rate initial production bill, or $197 million per aircraft. Hopefully, it’s a non-starter in today’s climate.»

Hmm, – «…an attempt by the JSF’s high-level supporters to forestall moves by the USAF and Navy to extend the F-22 and F/A-18 lines»? Sans doute doit-on voir dans cette idée un cadeau d’adieu de la paire England-Young, avant de quitter le Pentagone au début de cette année. On verra effectivement ce qu’en fera l’équipe Obama.

Dans l’attente, on observe que le sport du “JSF-bashing” se développe avec une jolie constance. Cela vaut une intervention intéressante, qui permet d’éclairer certains aspects de la situation du JSF. Luca Bonsignore, éditeur du site DefPro.com, justement un de ces sites rarement tendres pour le JSF, présente les principaux éléments du rapport du GAO. (Le 13 mars.) Il glisse dans cette présentation une mise au point qui n’est pas sans intérêt.

«In answering some comments we have received from readers, we would like to clarify that defpro.com does not have an axe to grind over the JSF program, its management or the companies involved. We are neither critical of the F-35s design as a matter of principle, nor do we necessarily regard the decision to purchase it by the U.S. and other governments as a mistake.

»It so happens, however, that the F-35 is the one and only new-generation combat aircraft programm2 currently underway in the Western world as a whole. Thus, it will play a disproportionate role in the future air defense of our countries, and will absorb a disproportionate share of our defence budget. Given this, a close scrutiny of the program’s evolution is very much of order.»

L’argument de Bonsignore («…the F-35 is the one and only new-generation combat aircraft programm currently underway in the Western world as a whole») est éminemment contestable. D’autres programmes déjà en cours sont disponibles (Gripen, Rafale) et il est très loin d’être assuré que le JSF leur soit supérieur. (Pour rappel, l’armée de l’air hollandaise avait, en 2002, classé le Rafale pratiquement à égalité avec le JSF dans ses évaluations opérationnelles : 6,95 contre 6,97 [sur 10].) Il n’empêche que l’argument est posé et qu’il s’adresse à des interlocuteurs qui ne peuvent le démentir dans un cadre très précis, du point de vue de la communication qui domine tout le reste dans cette affaire. Le programme JSF a été bâti sur une construction absolument virtualiste, comprenant notamment l’affirmation impérative qu’il s’agit du seul avion de combat du XXIème siècle, le seul de sa génération, le seul pour ses capacités, bla bla bla… Cette perception du JSF est impérative dans la structure du programme, dans sa stratégie de vente, dans sa représentation opérationnelle, et par-dessus tout pour la communication qui assure sa puissance. Du coup, l’argument de Bonsignore devient acceptable, sinon inévitable. Le JSF étant le seul et l’unique et sa fortune ayant changé, tout le monde est désormais invité par le commentateur à l’observer avec l’œil le plus critique du monde et, si nécessaire, à le considérer comme une cible sur laquelle tout le monde est invité à s’essayer.

Aujourd’hui que la digue est ouverte à la critique venue du Net, qui se révèle d’une puissance et d’une efficacité irrésistibles, le JSF se trouve nécessairement coincée dans une défensive effrénée. Sa position auto-proclamée d’exclusivité, d’unique opportunité offerte au monde occidental, se retourne contre lui. Le JSF ne pourra pas repousser cette critique d’une façon efficace, avec l’argument éventuel qu’elle est injuste, – ce qui pourrait parfois être fondé, tant le JSF, identifié à l’arrogance de la puissance américaniste, attire de plus en plus la vindicte contre lui. Mais cette puissance, comme chacun devrait le savoir, a fortement décliné et le JSF apparaît, à l’image de l’Amérique, comme une énorme usine à gaz. La présentation virtualiste du JSF, qui faisait sa puissance apparemment irrésistible, est devenue une prison bouclée à double tour. A propos de tour, le destin en a donc de bien inattendus.


Mis en ligne le 16 mars 2009 à 05H57