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1192Ce soir à minuit se termine, pour le Pentagone, l’année fiscale 2009 (FY2009). Nous nous intéressons à l’emploi de ce temps annuel par le très populaire et médiatique Joint Strike Fighter, alias JSF, alias F-35. C’est-à-dire, pour être juste, qu’il s’agit de Bill Sweetman qui s’est mis au travail. On connaît bien l’ami
Sweetman a entrepris de calculer précisément le programme d’essai en vol du JSF pour l’année FY2009, parce que la question du programme d’essai est un point essentiel du programme, un point de polémique fondamental. (Le JSF pourra-t-il réaliser son programme d’essais en vol selon la planification prévue pour tenir le calendrier actuel, déjà fortement retardé par rapport aux prévisions générales? Rencontrera-t-il des problèmes qui interféreront plus ou moins gravement sur la production qui est parallèlement lancée? – ce qui n’est pas la moindre originalité du programme, ce parallélise entre les essais encore à réaliser et la production déjà lancée…)
Sweetman nous expose les résultats de son enquête sur son blog, sur AviationWeek.com, le 29 septembre2009.
• Sweetman s’appuie sur des documents officiels, un organigramme de développement de janvier 2009 et un rapport du Governement Accounting Office (GAO) de mars 2009, réalisé d’après les documents évidemment officiels recueillis par le GAO. Lorsque le rapport du GAO fut publié en mars 2009, il annonçait toujours le but officiel de 317 vols d’essai pour le JSF pour la FY2009. Cette campagne d’essais était décrite avec précision dans les documents de janvier 2009. Sweetman constatait dès cette époque (mars 2009) que ce programme d’essais aurait fort peu de chance de s’accomplir puisque, au moment de la parution du rapport du GAO, au milieu de la FY2009 (en mars 2009), il y avait eu seulement 17 vols d’essai réalisés. S’appuyant avec confiance sur l’annonce officielle que six nouveaux F-35 allaient alors entrer dans le programme d’essais en vol, Sweetman estimait que l’on pourrait atteindre 80 vols d’essai au lieu des 317 prévus à la fin de FY2009.
• Le résultat, selon le décompte qu’en fait Sweetman, est stupéfiant. Au final, ce soir à minuit, il y aura eu 33 vols d’essai dans l’année FY2009 (au lieu des 317 prévus) et un seul des six avions supplémentaires a effectivement volé… «As it was, the program managed about 15 flights in the latter half of the 2009 fiscal year, ending it with 33 flights (by my count) – or about one-tenth of what was planned. Only one of the six jets that were supposed to fly before the end of FY09 has done so. (If you include CATBird test-bed flights the number for FY2009 may be higher - but not by much.)»
Quelles sont les explications données pour ces extraordinaires écarts entre les précisions prospectives et la réalité? LM explique que les avions sortis de la chaîne de production, dont on attendait qu’ils volassent aussitôt, ne sont pas encore terminés («…with a lot of work to do before they were ready to fly, and […] being “held until a much higher state of complétion” rather than being reworked after roll-out…»). Cet état d’impréparation au vol d’exemplaires sortant de production vient, semble-t-il de consignes de production prises en amont, qui ne paraissent pas avoir atteint le niveau des prévisionnistes annonçant le programme d’essais, puisque celui-ci s’est avéré complètement faux. On promet que les choses vont changer et que les prochains mois vont voir une accélération significative du rythme des vols d’essai.
Après les explications, Sweetman cherche la cause fondamentale de cette situation. Il émet des hypothèses.
«However, you still have to wonder about the milestones chart published in January [2009]. I can think of two explanations – other than outright deception, which I'll rule out for the time being – for the fact that its predictions were so wrong.
»First, it could be that nobody in the program was fully aware that the aircraft being rolled off the assembly line were so far from ready to fly – which doesn't speak well for the overall management and control of this fast-paced and complex effort. Second, there may be a problem with the “upflow of bad news” in the program – an issue which many believe also affects the Boeing 787.»
Voilà qui mérite quelques réflexions… Le plus remarquable dans cet exposé que nous fait Bill Sweetman est sans aucun doute le parallélisme entre les affirmations officielles du rythme des essais et le démenti que les faits apportent presque simultanément, sans réel espoir ni possibilité que la confrontation entre les deux soit évitée. Cette remarque est inévitable quand la disparité est si considérable, de un (33 vols d’essais effectués) à dix (317 vols d’essai prévus). On est conduit, devant une telle évidence du fonctionnement vicié du programme à rejeter l’option de la désinformation consciente (propagande), comme semble le faire Sweetman («… other than outright deception, which I'll rule out for the time being»). Il est absurde, selon le simple bon sens d’un propagandiste, de continuer à proclamer, selon une démarche consciemment trompeuse, de tels objectifs (317 vols pour FY2009) en janvier 2009, puis repris en mars 2009, alors que l’année FY2009 est en cours depuis octobre 2008 et que le rythme évident et public des vols montre qu’il n’y a aucune possibilité qu’on puisse seulement approcher cette prévision.
On tire de ces constats l'observation que la cause centrale est bien l’absence complète de contrôle du programme, bien plus par organisation fautive répondant à une démarche intellectuelle systémique de type virtualiste (au sens d’une démarche intellectuelle allant dans le sens de l’intérêt du système tel qu’il est présenté par les services de relations publiques) que par désordre, et cela à l’intérieur même de Lockheed Martin, au cœur même du développement et de la production de l’avion. Les deux explications de la cause centrale du vice de l’entreprise qu’expose Sweetman se confondraient: personne ne serait au courant de ce qui se passe vraiment («it could be that nobody in the program was fully aware»), notamment de l’état de capacité de voler des avions sortant de la ligne de production, parce que l’organisation fondamentale fait que la circulation des informations à l’intérieur du programme écarte les “mauvaises nouvelles” («there may be a problem with the “upflow of bad news” in the program»). Dans ce cas, il s’agit d’une organisation systémique qui a été installée, notamment et principalement à l’occasion du système JSF, qui implique une priorité faite à l’orientation des nouvelles du programme selon le but poursuivi et décrit par la présentation virtualiste du programme, qui est sa réussite selon des critères absolument impératifs fixés selon cette présentation virtualiste. Cela signifierait que ce nous avons désigné comme un “programme virtualiste”, le JSF, l'est au-delà de ce qu’on envisageait dans les hypothèses les plus audacieuses, il l’est au sein même du constructeur, au cœur même de la production. Il n’y a aucune intention spécifique, consciente, dans le détail de la démarche, de tromper; tout le système lui-même est trompeur pour lui-même, avec l’installation d’une philosophie de l’information qui tend à brider les mauvaises nouvelles dans le flot de l’information, au profit des bonnes nouvelles, pour accorder l’état général du système à la présentation virtualiste qui en est faite. La “correction” des faiblesses constatée avec le constat des faits est elle-même virtualiste. Elle ne se fait pas dans la modification des procédures (instruction de donner toutes les nouvelles, même lorsqu’elles sont mauvaises), mais dans l’annonce, après chaque constat catastrophique, que, cette fois, à cause de telle ou telle mesure concernant le programme, les choses vont changer pour l’avenir.
Dans un tel cadre général d’activité, les erreurs, les faiblesses, etc., ne sont pas corrigées parce qu’elles ne sont pas identifiées comme “erreurs”, “faiblesses”, etc. Il n’y a pas de remède puisqu’il n’y a pas de mal. Dans ce cas, ce n’est pas le JSF qui est fautif, puisqu’il ne peut être fautif selon la perception qu’impose l’organisation systémique. La chose devient une fascinante aventure car, selon cette logique du refus du réel – le JSF serait un “négationniste” de la réalité – il est vraiment très difficile d’imaginer une issue où le JSF serait autorisé à se réconcilier avec la réalité à quelque moment que ce soit; voire même, il est très difficile d'imaginer une situation où l'on puisse conclure qu'il y a une réalité avec laquelle il serait nécessaire de réconcilier le JSF.
Mis en ligne le 30 septembre 2009 à 06H06