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1342Dans l’affaire des ravitailleurs en vol de l’USAF (KC-45 ou KC-X, selon l'humeur), la fureur est grande en France et dans les centres européens. C’est une occurrence assez exceptionnelle que cette fureur franco-européenne, qui vaut un commentaire.
Tous les médias comme il faut donnent des nouvelles à ce propos. Par exemple, TF1News, ce 11 mars 2010… Les deux personnalités citées ici, des françaises sans nul doute, sont François Fillon et Pierre Lellouche (ce dernier, dont TF1News rappelle, avec une candide fraîcheur, qu’il est «pourtant connu pour ses convictions atlantistes et pro-américaines»)
«La mise à l'écart d'EADS dans le marché des avions ravitailleurs de l'US Air Force tend chaque jour un peu plus les relations franco-américaines, à trois semaines d'une visite du président Nicolas Sarkozy à Washington. François Fillon, en visite à Berlin, a dénoncé un “manquement grave” de l'administration américaine aux règles d'une concurrence loyale. “Le gouvernement américain – je le dis - a obligé EADS à quitter la compétition pour les ravitailleurs de l'armée américaine”, a-t-il déclaré dans un discours. Le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes a pour sa part annoncé que cette affaire n'en resterait pas là et que le mot “scandale” était faible. “Il n'y a pas de raison qu'une technologie, d'ailleurs supérieure à la technologie américaine, soit écartée d'un marché”, a dit Pierre Lellouche après le conseil des ministres.»
Plus loin, toujours du Lellouche texto… «“C'est absolument incompatible avec les règles de droit”, a-t-il dit. “Quand un contrat est signé, qu'il est ensuite dénoncé [...], que les spécifications soient réécrites pour favoriser l'avion américain, qu'ensuite on se livre à des pressions, que l'offre européenne soit obligée de se retirer, je trouve qu'on a dépassé les bornes”. Le secrétaire d'Etat a qualifié cette affaire “d'affront” pour la France et pour toute l'Europe. “Mais nous allons réagir”.»
Aux USA, tout le monde s’en lave les mains et personne ne lèvera le petit doigt. John McCain, l’archétype de l’adversaire de Boeing, qui avait eu la peau de Boeing lors du premier épisode 2001-2003 (où Boeing avait été choisi sans compétition), qui avait applaudi à l’entrée d’Airbus (EADS) dans la compétition, et même à la victoire d’Airbus de février 2008, – McCain n’est plus vraiment concerné.
Selon DoDBuzz.com du 10 mars 2010, relayant The Hill, ceci concernant McCain:
«Today’s headline in The Hill tells the story: “McCain Endorses Pentagon Process On Tanker Bid As Legitimate.” Sen. John McCain singlehandedly reshaped the tanker competition at least twice, first when he began asking questions about it and again when he wrote a letter that drove the Pentagon to change its competition.
»My colleague Roxana Tiron asked McCain for his views and the story says he told her that he “was not worried about Boeing, the only competitor left for the contract.” The most significant quote in Roxana’s story has the senator pledging to keep a hawk eye on the tanker contract as Boeing moves forward: “I guarantee you we will monitor it [the contract] very closely. I promise you.”»
@PAYANT Tout se présente parfaitement. L’Europe prend la mouche, Lellouche se déchaîne, Sarkozy (qui déjeune avec BHO le 30 mars à la Maison-Blanche) verrait éventuellement une occasion de se refaire une vertu franco-française dans un cadre vertueusement européen et ainsi de suite. Tout le sel de cette affaire est qu’elle semble assez bien partie pour générer une furieuse tension USA-Europe, et, plus précisément, franco-américaine, à propos d’une combinaison qui est née de la seule crise du Pentagone et de l’USAF, et nullement d’une cabale anti-européenne. L’attaque européenne et française est argumentée selon une logique qui paraît claire comme du cristal, sauf qu’elle fait l’impasse sur le constat de départ, qui était que l’USAF avait fait d’une façon catégorique le choix de l’offre européenne (l’USAF ne peut tout de même pas être accusée de travailler pour les Français, malgré tous ses défauts); et que ce choix fut mis en cause par le GAO selon des critères absolument au-dessus de tout soupçon et n’ayant rien à voir avec quelque protectionnisme que ce soit et tout avec l’incroyable désordre de la bureaucratie de l’USAF.
L’évolution de l’USAF, ensuite, et notamment au niveau des spécifications, est le fruit principalement d’une véritable terreur qu’une nouvelle compétition trop “ouverte” aboutisse à un nouveau désastre politique et bureaucratique. (Il est vrai que l’USAF a favorisé Boeing, pas le moindre doute à cet égard, mais le cas est un peu trop léger pour fournir une explication globale, à côté de tout ce qu’on a détaillé.) L’accusation de Lellouche (dans sa déclaration à la sortie du conseil des ministres) selon laquelle il y a eu des “pressions” pour que Northrop Grumman/EADS “se retirent de la compétition” nous semble infondée, ou mal exprimée, – ou volontairement ambiguë, car qui ne connaît son Lellouche? Northrop Grumman s’est véritablement retiré de la compétition selon son intérêt commercial et financier, avec EADS certes plutôt ronchonnant et pas vraiment enthousiasmé par cette décision, mais cédant finalement; surtout, Northrop Grumman a écarté l’idée de faire appel devant la justice contre la méthode et les spécifications sous le motif patriotique que cet appel “retarderait l’équipement en avions ravitailleurs en vol” de l’USAF. C’est là, sans aucun doute, que des pressions du Pentagone se sont exercées sur Northrop Grumman, non pour des motifs de concurrence transatlantiques mais parce que l’USAF est au bord d’une crise grave dans l’équipement de sa flotte d’avions ravitailleurs, au bord de l’effondrement avec des avions vieux de plus d’un demi-siècle. Une procédure juridique peut nous renvoyer ad kalendas graecas, comme disaient les Grecs anciens. Et là, Northrop Grumman, par ailleurs fournisseur du Pentagone, suit les consignes (éventuellement au garde-à-vous devant la bannière étoilée)…
Ainsi, à partir d’une situation de crise intérieure US (Pentagone) en vient-on à un conflit Europe-USA qui pourrait être éventuellement sévère. L’ironie est parfaite. Nous ajouterons même que c’est aussi une sorte de justice divine puisque le conflit actuellement en gestation vaut, – s’il se développe, – pour toutes les fois où l’Europe n’a pas réagi.
Un conflit Europe-USA “éventuellement sévère”? On peut voir dans les déclarations de McCain, qui, d’ailleurs, quittera bientôt son poste de sénateur à cause de son âge et de sa santé, tous les signes que plus personne, à Washington, ne veut plus entendre parler de cette affaire dans son processus de sélection. Le “gagnant” est choisi et, promet McCain, il sera suivi et surveillé d’extrêmement près par le Congrès. On peut le croire sur parole, par les temps qui courent d’extrême agacement à l’encontre des folies du Pentagone. Pour notre cas, cela signifie que les USA ne reviendront pas sur leur processus de décision et leur choix “par défaut” de Boeing, et qu’ils ne songent pas à faire de “concession” à l’Europe sur ce cas. Comme il n’est pas question de porter l’affaire devant l’OMC parce qu’il s’agit d’un contrat militaire et que les USA eux-mêmes ont un dossier contre Airbus à leur façon, tout prêt pour l’OMC, il ne reste plus que la voie des “représailles”… Sous quelle forme, de quelle façon?
Plutôt que l’une ou l’autre “représaille”, la seule chose vraiment importante et enrichissante qu’on puisse souhaiter, toujours avec l’ironie en bandouillère puisqu’il s’agit d’une affaire où les USA sont beaucoup moins fautifs dans l’intention que ne le clame le brave et pro-américain Lellouche, c’est que ce mauvais procès tonitruant et sûrement très populaire aboutisse à discréditer complètement le cadre général et total de l’illusion européenne sur la coopération transatlantique. Bref, un mauvais procès à bon escient, après tout… Cette idée de coopération transatlantique est un leurre, une complète illusion, d’ailleurs bâtie par les Européens eux-mêmes, aussi bien avec l’aide des prébendes des USA destinés à nourrir leur influence que sur la fascination absolue qu’exerce l’idée de l’Amérique sur la psychologie européenne.
Il est difficile, à ce point de la description de l’affaire, de ne pas observer la différence de climat, d’intention et d’attention, entre la “coopération” transatlantique en matière d’armement (car la fiesta dure depuis plus d’un demi-siècle dans ce mode de la contestation permanente) et la coopération qui s’amorce aujourd’hui entre la France et la Russie, également au niveau des armements. Le Mistral ne rapportera peut-être pas autant d’argent que le KC-45, si Airbus avait été choisi, – encore cela resterait-il à voir, et comment, – mais il pourrait créer des liens incomparables de confiance et de véritable coopération. Cela, c’est une ambition impossible à rencontrer dans le cadre transatlantique.
Mis en ligne le 11 mars 2010 à 13H26
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