Le Koweït et le Rafale

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Après des entretiens, mercredi 21 octobre, avec le ministre français de la défense Morin, le ministre de la défense koweitien cheikh Jaber (ou cheikh Jaber Moubarak Al-Hamad Al-Sabah) a annoncé que son pays attendait une offre française sur la vente du Rafale à la force aérienne du Koweït.

Parmi d’autres et à l’image des autres, Le Monde du 21 octobre 2009 annonce la nouvelle, avec notamment ce premier paragraphe:

«Le Koweït serait “fier” de disposer du Rafale dans ses armées, a affirmé le ministre koweïtien de la défense et premier vice-premier ministre mercredi 21 octobre à Paris. L'intérêt du Koweït pour l'avion de Dassault mettrait fin, s'il se confirme, aux échecs répétés de l'avion-phare de l'industrie aérienne de défense française qui n'a encore jamais été exporté. Le président français Nicolas Sarkozy avait déclaré en février que la France et le Koweït discutaient de la vente éventuelle de bâtiments de guerre et de 14 à 28 Rafale.»

Les Français négocient avec le Brésil la vente du Rafale, avec, comme dans le cas du Koweït, d’autres commandes parallèles pour d’autres matériels militaires. Il y a également des négociations en cours pour 60 Rafale pour les Emirats Arabes Unis. La promesse d’achat de quelques Rafale par la Libye est toujours dans l’air mais relève d’un contexte absolument exotique. La Suisse et l’Inde sont deux autres marchés en cours, de type beaucoup plus classique comme on s’en explique ci-dessous, où l’avion français figurent parmi les concurrents.

@PAYANT Dans le cas koweïtien, comme dans le cas brésilien et également dans celui des EAU, on assiste à une procédure très particulière et très spécifique. (Au contraire des cas suisse et indien, qui relèvent à notre sens d’une autre problématique, plus classique, mais qui pourrait changer même dans ces cas.) Cette procédure est celle du choix ou de l’intérêt politique précédant ou interférant d’une façon spectaculaire (cas brésilien) dans le processus normal et classique de sélection d’un matériel militaire, notamment et spécifiquement d’un avion de combat. L’emploi des adverbes “notamment et spécifiquement” souligne l’image et la perception attachées à l’avion de combat, pour des raisons techniques et de communication prenant un sens politique, qui font de ce matériel un artefact à très forte signification politique. Ce constat s’inscrit d’autant plus dans nos observations.

Dans les trois cas envisagés, il y a intervention du pouvoir politique (ministres ou au plus haut niveau du président pour le Brésil) pour signaler l’intérêt du pays pour l’avion de combat, et cet avion de combat-là (le Rafale) en l’occurrence. En effet, cela vaut particulièrement pour la France, pour deux raisons nous semble-t-il. La raison conjoncturelle tient au rôle que joue le président français Sarkozy. On connaît sa personnalité et sa multitude de défauts, dont les effets font chaque jour le quotidien des débats de basse cour occupant la polémique qui tient lieu de “réflexion politique” actuellement en France. A côté de cela, Sarkozy a quelques qualités, également particulières au personnage, notamment celle, très postmoderne, de s’attacher à des “coups” sans trop (surtout pas) s’embarrasser de réflexion politique. Quand le “coup” est bon, l’affaire l’est également et Sarkozy se révèle alors utile et efficace. Ainsi Sarkozy s’est-il entiché du cas Rafale et il en fait un de ses grands arguments de certaines de ses relations internationales.

Il y a une raison structurelle, beaucoup plus intéressante, qui fait d’ailleurs que la démarche de Sarkozy a un certain succès d’approche. Le cas des armements, et surtout celui de l’avion de combat, ont pris une dimension politique très visible et très spectaculaire. Un choix d’avion de combat est aujourd’hui, non plus seulement un choix politique comme il l’a toujours été derrière le processus technique de sélection qui était marqué de pressions politiques dissimulées, mais le choix d’une politique qui doit être proclamée publiquement, de plus en plus par une personnalité politique. Dans tous les cas signalés et à des degrés divers, l’intérêt pour le Rafale accompagne une évolution politique marquée par une méfiance plus ou moins grande vis-à-vis de la pression politique dominante des USA. Cette méfiance est évidemment la conséquence de la perception du déclin politique des USA, et d'une mise en cause de leur influence par conséquent.

Ce qui conduit à une autre remarque, qui doit être celle de l’évidence malgré les discours politiques. La France est perçue, dans ce champ de l’exportation militaire devenue l’expression ouverte et publique d’une politique, comme l’alternative aux USA, encore plus qu’une rivale des USA – ce qui est bien radical, puisqu’exprimant un renversement de politique et non une concurrence classique. (Le cas des autres pays est beaucoup moins marqué, que ce soit les Russes ou le Gripen suédois, pour ne pas dire un seul mot de l’annexe des USA qu’est le Royaume-Uni. Il s’agit beaucoup plus de “concurrents” des USA, très marqués politiquement pour les Russes, très soft et light, sans intérêt politique, pour les Suédois, que de l’option radicale de l’alternative.) On retrouve pour la France, dans d’autres conditions, la situation française surtout des années 1960, lorsque de Gaulle avait mis en place une “politique de l’armement” qui exprimait implicitement une “troisième voie” entre les deux blocs. Cette situation retrouvée aujourd’hui, disons depuis un ou deux ans d’une façon marquée, signale justement le déclin US et l’exaspération pour l’influence US qui accompagne cette perception du déclin. L’alternative n’est bien entendu plus d’une “troisième voie” avec une situation générale si différente mais d’une libération de l’emprise US. L’observation des «échecs répétés de l'avion-phare de l'industrie aérienne de défense française qui n'a encore jamais été exporté», comme souligne Le Monde avec l’automatisme d’auto-flagellation chronique dans la classe intellectuelle française, mériterait évidemment d’être explicitée dans le sens que nous tentons de faire. C’est parce que nous sortons d’une époque où l’écrasante supériorité US affirmée au niveau de la communication a réduit la France à la non-existence en tant qu’alternative. Cette situation fut renforcée par une politique française qui n’a jamais osé, pendant la période, et à la différence de l’époque gaulliste, s’élever contre cette perception de communication, acceptant ainsi la supériorité illusoire des USA et sa propre réduction dans une position de défense contrainte, voire de défaite acceptée. Même l’épisode glorieux de l’opposition française à la guerre en Irak, à l’ONU, ne changea pas cela, puisque la conclusion des dirigeants français après l’épisode et après la victoire US d’avril 2003 en Irak, fut d’aussitôt rechercher un rapprochement des USA.

On ne dit pas ici que le Rafale emportera toutes les commandes dans les marchés cités. On dit que nous sommes entrés dans une autre époque, qui est celle du déclin US, et que la situation en est profondément modifiée dans le sens décrit ici.


Mis en ligne le 23 octobre 2009 à 07H16