Le linge sale de la famille

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1039

Certains articles commencent à nous donner une bonne appréciation du “9/11 financier”, et certaines de ces “bonnes appréciations” sont également révélatrices de l’état d’esprit de ceux qui nous les donnent, qui sont en général anglo-saxons, qui sont ainsi parties prenantes dans le drame. Ainsi en est-il d’un long article du 28 septembre, du Sunday Times.

Il s’agit à la fois d’une longue analyse, avec une foule de détails et de déclarations sur la situation présente, les perspectives, les positions des uns et des autres; en même temps, quelque chose de très exclusif, comme l’on fait quand on lave son linge sale en famille, et Dieu sait si les bijoux de famille sont crasseux ces derniers temps; ce qui nous donne un état des lieux extraordinairement catastrophique du système anglo-saxons, en même temps qu’une réaffirmation singulière de la vanité anglo-saxonne. On dirait que ces gens, les Britanniques surtout, vont jusqu’à revendiquer le fait qu’une catastrophe causée par leur soins exclusifs leur donne exclusivement le droit d’en tirer les leçons et d’envisager, eux-mêmes, la suite. Ainsi demande-t-on leurs avis à tous ces experts, fonctionnaires, professeurs d’université, qui ont soutenu pendant des décennies ce système monstrueux, pour tirer les leçons de son effondrement, et recommander la façon de le remplacer, – effectivement les mieux qualifiés pour le faire. De même fit-on, après la catastrophe irakienne, une place bien chaude dans tous les organes de communications aux neocons qui nous y avaient conduits, pour nous conseiller pour la suite. Pour eux, l’échec est le meilleur certificat de compétence dont on puisse rêver.

Voici donc, de-ci de-là, quelques extraits, avec quelques commentaires, somme toute assez joyeux, parce qu’après tout ils vont devoir ramasser les gravats de leur Ground Zero financier pendant un certain temps.

• L’importance des événements en cours est définie par ce premier passage, de facture assez classique dans le sens où il va de soi que, plus que jamais, tout se passe aux USA; c’est aux USA que tout s’est passé (tout s’est effondré), par conséquent, selon la logique anglo-saxonne impliquant que les responsables de l’échec dès lors qu'ils sont Anglo-Saxons sont les mieux placés pour donner les conseils pour s’en sortir, et selon la logique également de la puissance impérative des USA point final, c’est aux USA, selon les conceptions US et conformément aux intérêts US, que l’on rebâtira le système… «Should ordinary taxpayers bail out the rich? Would delay hurt the poor even more? Is the bail-out really socialism by the back door? In the White House and on Washington’s Capitol Hill, Democrats, Republicans and presidential candidates argued while smoke rose from the burning banks. One US economist said decisions taken now would “shape the type of capitalism we will live in for the next 50 years”.»

Un certain nombre de paragraphes plus loin, assez loin sans doute pour que ne se découvre pas un lien de cause à effet qui obligerait à la confrontation des deux groupes de remarques, on apprend que les USA, au mieux, si l’on arrive à s’en sortir, dépendront quasi complètement des autres; donc que les autres auront leur mot à dire, et qu’il faudra les écouter, notamment pour rebâtir un système noiuveau. Comment concilier cela avec le fait qu’il est évident que tout se décide exclusivement et plus que jamais à Washington? «Uncle Sam needs $2 billion a day from foreign investors just to keep going. “For years to come, Wall Street and Washington will be unable to manage without strong co-operation from other markets,” observed Jeffrey Garten, professor of international trade and finance at Yale. “Most governments and investors outside the US never shared the American system of cowboy capitalism. Now they have good reason to demand that fundamental changes be made in the way the US manages its financial institutions.”»

• Un autre aspect d’une éventuelle “réforme” du système qui commencerait pas le plan de sauvetage Paulson, c’est la simple dimension disons démocratique. Qu’en pense l’opinion publique US? Elle est dans un état d’esprit détestable et l’on imagine ce qu’il sera lorsque le plan aura été voté et entériné. Ce point-là, l’action de l’opinion publique, est un sacré point d’interrogation. «The public, however, balked at paying to rescue the bankers and financiers who had largely caused the shambles in the first place. Protesters railed against the Paulson plan outside the New York stock exchange. Thousands of other opponents bombarded Congress with e-mails. One Democratic congressman said calls from constituents were “running at 50% ‘no’ and 50% ‘hell, no’. Out of 100 calls you are lucky if one of them is positive”. Demonstrations were organised in 41 states. In Denver, Regina Jackson made her point baldly. “I don’t want to bail out Wall Street millionaires,” she said. “I say let them go bankrupt.”»

• Que vaut la direction US dans cette affaire? L’actuel président US est décrit avec fougue et d’une plume bien expéditive de cette manière, lors du fameux sommet de jeudi 25 à la Maison-Blanche, comme l’archétype de l’impuissance et de l’inconscience politiques: «Bush made an appeal in wry desperation, according to two of those present. “Can’t we all just go out and say things are okay?” he asked. However, the president who has fought two wars seemed impotent. There was no bombing to be done — banks were doing enough of that by themselves. All he could do was warn: “If money isn’t loosened up, this sucker could go down.”»

Le même article s’attarde à John McCain, durant la même réunion, et nous donne une vision extraordinaire ce que pourrait être l’activité de cet éventuel futur président, qui n'a pas un mot à dire durant une réunion de cette importance (qu'il avait lui-même exigé le premier!) sur la plus grave crise qui déchire son pays depuis les années 1930: «One Republican proposal was for all banks to pay into an insurance scheme on which those in trouble could draw. What did the presidential candidates think? Obama asked questions but McCain sat largely quiet. Obama seized his opportunity. “What do you think of the plan, John?” he repeatedly asked. McCain did not answer. By one account, for 40 minutes of the meeting McCain said absolutely nothing. […]

»While opponents of Obama pointed to his inexperience, McCain seemed unable to decide what to do. After his reticence at the White House, the next morning he relayed a message to Republicans on Capitol Hill. According to a senior Republican aide, McCain urged: “We need a deal, we need a deal, we need a deal.” He put forward no plan of his own. He struggled even to decide whether to participate in the first presidential debate scheduled for that evening. Having earlier said that he would not, he decided to go ahead.»

• Un mot tout de le même sur le “reste du monde”, qui continue à exister et qui a son mot à dire. Il s’agit certes du “minimum syndical” pour des commentateurs anglo-saxons standard, chargés du mépris habituel pour tout ce qui n’est pas anglo-saxon, qui tend à réduire les actes du reste à une simple humeur traduisant a contrario l’impuissance. Il n’empêche qu’une inquiétude pointe : et si les critiques franco-allemandes étaient fondées?

«Amid the American chaos, the cheese-eating schadenfreuders of Europe could not resist a bit of self-satisfaction. Global capitalism needed retooling, declared President Nicolas Sarkozy of France, who is considered too much of a fan of America by some of his countrymen. “Self-regulation is finished,” he said. “Laissez-faire is finished. The all-powerful market which is always right is finished.” Peer Steinbrück, the German finance minister, told his parliament: “The US will lose its status as the superpower of the world financial system. The world will never be the same again.”

»While their barbs may reflect long-standing rivalries between US and European economic models, even US experts recognise that the crisis will weaken America’s place in the world.»

Concluons d’une façon générale. La description de ce formidable chaos qu’est devenu l’Amérique, s’il n’entame en rien la certitude évidente de la supériorité anglo-saxonne, laisse transparaître une angoisse générale qui va très, très profond.


Mis en ligne le 29 septembre 2008 à 06H31