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1573Il est difficile de ne pas voir, et surtout de ne pas entendre la décision de Poutine de ne pas aller au G8 du 18-19 mai aux USA (à Camp David) comme un “message” indirect au président des USA, et au bloc BAO par la même occasion. Poutine devait voir BHO en tête-à-tête, en marge du G8, cela à l’insistance de la partie US. On devra attendre un mois, puisque Poutine a proposé que cette rencontre “en marge” se passe le 18-19 juin à Los Carbos, au Mexique, en marge du G20, auquel Poutine assistera bien entendu (acceptation immédiate et empressée d’Obama)… “Message” indirect, avec nombre de significations spéculatives, qui se justifient par l’intensité générale de la situation, l’incertitude des relations USA-Russie et l’entame d’une nouvelle présidence Poutine nécessitant une nouvelle politique adaptée à la crise générale que nous connaissons, et qui doit se définir comme “une grande politique de crise”.
L’agence Itar-Tass a annoncé la nouvelle, relayant le porte-parole de la Maison-Blanche, ce 10 mai 2012, avec quelques détails sur la conversation téléphonique qu’a eue Poutine avec Obama. Très poliment, bien sûr, le président russe a avisé personnellement Obama de sa décision, qu’il a justifiée par le travail autour de la formation du gouvernement. Assez drôlement, il a annoncé au président US que c’est Medvedev, le Premier ministre, qui le remplacera. Il est là aussi difficile de ne pas être sollicité par l’ironie de l’explication que Poutine offre comme raison de son absence au G8 : il ne peut pas venir parce qu’il est occupé par la formation du gouvernement, mais le chef de ce gouvernement le remplace… Si l’on considère alors que la raison avancée est de pure forme et à peine sérieuse, le choix de l’explication est entre le peu de cas que fait Poutine du rôle de Medvedev ou le peu de cas que fait Poutine de sa rencontre avec Obama, précisément au G8 et à Camp David. (Ou bien, il n’y a pas de choix, et les deux remarques sont justifiées, ce qui est assez acceptable… Simplement, l’une est plus importante que l’autre mais il semble également qu’il ne faille pas trop se faire d’illusions sur l’importance du rôle de Medvedev dans la Russie du retour de Poutine ; cela, d’ailleurs, n’aurait rien de surprenant.)
«Russian President Vladimir Putin told his U.S. counterpart Barack Obama that he could not take part in the G-8 summit to be held in Camp David on May 18-19 due to the formation of a new government in the country. Russia will be represented by Prime Minister Dmitry Medvedev, the White House press service reported on Wednesday, May 9, after the telephone conversation between the leaders of the two countries.
»During the conversation, Putin and Obama agreed to meet on the sidelines of the G-20 summit due to take place in Mexico’s Los Cabos on June 18-19. Putin said he had obligations to complete appointments to the new Russian government that is why he could not participate in the G-8 summit in Camp David, the White House press service reported. Obama respected President Putin’s decision and lauded Medvedev’s participation in the G-8 summit, the press service said. […]
»The presidents confirmed the commitment to maintaining the dialogue in the spirit of the resetting policy. They noted considerable progress in such issues as nuclear security and the non-proliferation, Afghanistan, the WTO talks, and the expansion of trade cooperation, the press service said.
»Earlier, the Kremlin press service stressed that during the conversation, Obama had congratulated Putin on the inauguration. The press service said the presidents exchanged greetings messages on Victory Day and noted the importance of allied relationship that the peoples of both states had established during WWII and conveyed their good wishes to veterans. The heads of state also discussed prospects for the development of Russian-American relations and personal contacts, the press service said.»
…Il est vraiment très difficile de ne pas interpréter la décision de Poutine, mis à part les ironies relevées ci-dessus, comme une très sérieuse mise au point vis-à-vis des USA et à d’Obama. Interprétons donc.
Poutine veut bien rencontrer Obama, bien entendu, comme Obama lui-même voulait cette rencontre ; mais, à la différence d’Obama qui voulait que cela soit fait très rapidement, Poutine est un peu moins pressé ; il ne veut pas que cela se passe aux USA où a lieu le G8 et il ne veut pas à ce que cela se passe en marge du G8 qui est un groupe dont on peut dire qu’il représente une courroie de transmission du bloc américaniste-occidentaliste. De telles circonstances interprétées conduisent nécessairement à d’autres interprétations, plus générales ; l’on peut ajouter, “quoi qu’en ait voulu Poutine” puisqu’il s’agit d’interprétations et nullement d’actes précisément explicités ; et l’on peut conclure, “alors que Poutine savait que cela serait inévitablement interprété dans ce sens”… Le “message” serait donc précisément ce qu’il est selon ces interprétations, dans la perception des protagonistes.
La signification de ce “message” autorise alors des spéculations, qui éclairent ce que pourrait être l’attitude de Poutine, comme une indication de la politique qu’il va suivre (sa “grande politique générale de crise”). D’une façon générale, cette attitude et cette politique ne pourraient être qualifiées que de “plus dures” par rapport à ce qui précéda, pour ce qui concerne les relations avec les USA, et, plus généralement, les relations de la Russie avec le bloc BAO en tant que tel. Nous disons “bloc BAO en tant que tel”, car cela n’empêche évidemment pas des relations d’une autre forme, beaucoup plus chaleureuses et constructives, de la Russie avec certains pays du bloc, si ces pays acceptent cette perspective. Cela sera notamment le cas de l’Allemagne, dont les liens très nombreux et très forts avec la Russie sont un fait majeur ; cela pourrait être le cas avec la France, si le nouveau président envisage la relation avec la Russie comme un domaine important, et s’il infléchit la politique française actuelle dans un sens un peu moins atlantiste (à noter que Poutine a eu un échange téléphonique personnel avec Hollande).
Quelles peut être dans ce contexte la signification générale de ce “message“ de Poutine ? Spéculons selon plusieurs orientations…
• D’abord, la signification que les relations de la Russie avec les USA, si elles sont très importantes, ne sont pas (plus) essentielles au point de dominer tout le reste et de bousculer quelques axes fondamentaux de la politique russe. Il s’agit dans ce cas d’un nouvel axe, c’est-à-dire l’axe de résistance de plus en plus active de la direction russe aux pressions américanistes-occidentalistes, dénonçant la politique du bloc BAO, et, plus spécifiquement, la politique des USA, vis-à-vis de la Russie. Il s’agit, tout à fait précisément, du domaines des antimissiles autant que du contentieux de ce que les Russes dénoncent comme l’“agression douce” des USA contre la Russie, par moyens d’influence et de communication, avec son interférence hostile dans les affaires intérieures russes et dans la souveraineté de la Russie. En d’autres mots, Poutine ne sacrifiera rien des intérêts russes dans cette sorte d’affaire, pour une relation en apparence “privilégiée” avec les USA.
• Subsidiairement, on peut conjecturer que Poutine ne fait guère de crédit au président Obama, non pas nécessairement sur ses intentions (il ne semble pas y avoir d’hostilité personnelle à cet égard ni une mise en cause de la bonne foi d'Obama), mais sur ses capacités par rapport aux pressions du Système à tenir certaines de ses promesses et à faire progresser une politique de très bonnes relations avec la Russie. Il n’est pas assuré que Poutine ait pris entièrement pour du comptant, loin de là, la communication discrète mais rendue très publique par un micro inopportun qu’Obama avait confiée à Medvedev pour transmission à ce même Poutine. (Voir le 27 mars 2012.)
• D’autre part, il y a un symbole dans le fait que la rencontre Poutine-Obama est reportée de “la marge” du G8 à “la marge” du G20, comme il y a un symbole dans l’absence de déplacement de Poutine au G8, et dans sa venue, bien entendu, au G20. On doit interpréter cela comme une évolution objective, réalisée comme telle ou pas par Poutine peu importe, selon laquelle le G8 perd de plus en plus de son importance au profit du G20. Symboliquement encore plus qu’opérationnellement, cette évolution doit être perçue comme celle d’un monde unipolaire qui s’efface rapidement, pour un monde multipolaire où les USA et le bloc BAO n’exercent plus leur hégémonie et leur magistère. Dans le G20, on trouve des représentations de facto de l’OTAN, mais aussi du BRICS, et de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai). Il est évident que la Russie se trouve désormais bien plus à l’aise dans le G20 que dans le G8, ce qui est une évolution remarquable par rapport aux années 1990 et au début des années 2000.
…Mais tout cela, finalement, n’est que spéculations, et peut-être le président Poutine est-il effectivement très occupé par le choix des ministres du gouvernement dont le Premier ministre le remplacera pour représenter la Russie au G8.
Mis en ligne le 10 mai 2012 à 09H06