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1403Qu’est-ce qui n’est pas une crise aujourd’hui, ou qu’est-ce qui n’est pas de nature crisique ? Rien puisque la crise est devenue substance des relations internationales et que l’on devrait parler naturellement des relations crisiques internationales. C’est dans ce contexte qu’on doit placer la récente analyse de Justin Raimondo sur le Mexique (sur Antiwar.com, le 20 octobre 2014).
Le Mexique connaît aujourd’hui quelques remous d’hyper-désordre supplémentaires dans ce pays qui n’est plus qu’hyper-désordre, – notamment des disparitions et des liquidations d’étudiants qui protestaient contre la corruption de la police, un soubresait de plus dans ce chaudron de violence... Le Mexique, État de non-droit, “État failli”, avec des forces diverses qui occupent de facto des parties du pays où elles imposent leurs lois. Les narcotrafiquants tiennent des régions entières où ils imposent leur “loi” qui est celle de la violence, de l’arbitraire et de la sauvagerie. Des citoyens regroupés en “milices de vigilance” tiennent des villes où ils assurent eux-mêmes un ordre que les forces de l’ordre, pulvérisées dans la corruption et l’incompétence, n’assurent plus nulle part. On n’en finirait pas de détailler les aspects sans nombre de l’hyper-désordre mexicain.
Raimondo s’y emploie tout de même, pour en arriver à la question essentielle : pourquoi les USA laissent-ils faire ? Pourquoi, eux qui ne craignent rien tant que désordre chez eux ne font-ils rien de sérieux contre cette nébuleuse de désordre qui a déjà largement pénétré leur territoire, et qui constitue une passoire gigantesque pour le passage en masse des illégaux venus du Mexique lui-même et des autres pays proches d’Amérique centrale, cohortes de pauvres aux abois qui viennent grossir les masses incontrôlées suscitant des tensions et des mécontentements grandissants aux USA même ? Voici la partie du texte de Raimondo consacrée à cet aspect de la crise mexicaine sans fin, qu’on lira selon le point de vue de la situation washingtonienne (et sans trop relever certaines suggestions historiques qui font un peu trop l’impasse sur la responsabilité de l’influence US dans la situation actuelle du Mexique)...
«What’s astonishing about all this is Washington’s reaction – or, rather, non-reaction. Obsessed with ISIS, the Middle East, and other foreign policy issues even farther afield – in Ukraine, for example – our clueless leaders are ignoring a ticking time-bomb right on their southern doorstep. They are all over the problem of how to save the failed Iraqi state – but the failure of the Mexican state, with its long and porous border with the US, is never even acknowledged.
»This is an occupational hazard of imperialism: putting the far frontiers of the empire in close-up focus while ignoring – or, really, not seeing – the very real dangers closer to home. The Mexican cartels already have a presence in the American southwest: how long before the kind of spectacular murder scenes being uncovered south of the border start popping up north of the Rio Grande? Washington has funded the corrupt Mexican law enforcement apparatus to the tune of over $1 billion – and what we have to show for it are fresh mass graves, uncovered daily, in that country’s heart of darkness. US aid to Mexico must end, now – until and unless they can reform their corrupt police on both the local and national level.
»Uncle Sam needs to get his head out of the Middle Eastern sand and direct his attention back to his own hemisphere – where, right next door, a major crisis is incubating. Secondly, we need to realize that we’ve already done too much of the wrong thing – funding and supporting successive Mexican governments that have repressed their own citizens and presided over the looting of the country. Thirdly, our policymakers need to understand that Mexico, in spite of its proximity to our shores, is just like any other failed state in that its history lends itself to failure.
»Like Iraq, or any number of African countries in crisis, Mexico was never really a unified country: its borders were established by the depredations of Spanish conquistadors and their Mexican successors, without regard for indigenous peoples or their property rights. The feudal land ownership arrangements inherited from Spain were abolished by the Mexican Revolution only to be turned into state-controlled “land reform” schemes whereby the central government parceled out land to its friends and supporters, leaving peasants landless and poor.
»In short, Mexico’s problems are systemic, and wouldn’t even be touched by the ending of the "drug war," which is routinely blamed for all the country’s problems. The average Mexican lives on less than $13 per day. Less than half of Mexico’s students graduate from high school. And while Mexico is a poor country, that’s not its biggest problem: what’s significant is that the bonds of trust that go to make up a society are frayed to the breaking point. The country’s future is either ongoing slow disintegration or else some traumatic event such as a civil war.
»In either case, the message to Washington couldn’t be clearer: Pay attention! Yet our “leaders” are too afflicted with Middle East myopia to see what is happening in plain sight.»
... Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé ! Depuis 2005-2006 pour la séquence actuelle, les alertes ont été innombrables, les plans d’intervention non moins, l’annonce d’une stratégie d’intervention à combien de reprises, etc. On pourrait référencer tant de textes, depuis plus de dix ans, où nous rendions compte de cette situation et observions des risques d’intervention, des décisions stratégiques probables, des nécessités pour les USA de réagir, etc. (Citons-en quelques-uns, le 4 février 2003, le 7 juin 2006, le 10 juin 2008, le 10 janvier 2009, le 24 juillet 2010, le 2 août 2010, le 28 janvier 2013, le 8 juillet 2014...)
C’est dire si on ne peut avancer qu’il y a eu, délibérément, pour une raison ou l’autre, inconséquence ou désir secret de laisser se développer des troubles pour on ne sait quelle raison, une politique spécifique de désintérêt des USA vis-à-vis de la situation au Mexique. Au contraire, la situation mexicaine est nécessairement un point d’intérêt incontestable pour les USA, pour Washington, un sujet central de discours des hommes politiques, et un sujet pour Obama lui-même (bien qu’il ne réunisse plus guère les foules et même les fasse fuir au contraire...). Qu’importe, rien n’y fait et rien ne change.
• Il y a principalement deux facteurs opérationnels qui agissent pour expliquer la paralysie de Washington, ou l’action de Washington réduite à des velléités sans lendemain. Le premier est simplement le facteur universel de la paralysie du gouvernement washingtonien dans toutes ses composantes, – administration, Congrès, groupes de pression, etc. Le phénomène n’est pas spécifique à la situation mexicaine, bien entendu, mais il joue à plein pour cette situation, aggravé en permanence par le débat sans fin et chroniquement bloqué de l’immigration sur le sujet duquel différentes factions politiques institutionnelles s’affrontent.
• Le second facteur est la concurrence des diplomaties et des services et agences concernés. Il n’y a aucun point de crise de cette importance où tous les services de sécurité nationale des USA, internes et externes, soient impliquées, et soient impliquées aussi directement : les services des frontières, les services antidrogues, les services de surveillance des transports, le FBI, les services de renseignement des différents départements jusqu’à la CIA, les services de sécurité des États, les milices diverses (y compris privées), le département de la Sécurité Intérieure (HSD), la Garde Nationale, le Pentagone (DoD)... Il en résulte une cacophonie sans égale, où la bataille pour le prérogative compte plus que la bataille des frontières, jusqu’à ces cas où certains services US s’allient temporairement aux cartels mexicains contre d’autres services US (voir le scandale Fast & Furious, où des armes US furent livrés par des services officiels aux narcotrafiquants).
Voilà les conditions de base. Il s’y ajoute des conditions psychologiques paralysantes qui ne cessent de s’affirmer, notamment en fonction du désordre (de l’hyper-désordre) qui est devenu le caractère principal, non seulement de la situation mais de la politique-Système elle-même. Cette situation alimente, de plus en plus dans les élites-Système et les directions-Système, le découragement et la fatigue psychologique (comme on a pu voir le 20 octobre 2014 chez un caractère pourtant notoirement militant comme celui d’un Robert Kagan). Ce découragement et cette fatigue psychologique conduisent à une sorte de “laissez-faire catastrophique”, qui s’exerce particulièrement dans ce cas de la crise mexicaine, d’une façon particulièrement illustrative en raison de sa proximité, sinon son intimité avec les USA. On “laisse-faire”, au-delà de la doctrine économique bien connu, au-delà de l’idéologie neocon qui avait adopté avec une certitude débridée la même logique enthousiaste par le biais de la création de l’hyper-désordre générant de lui-même la solution à tous les problèmes, simplement parce qu’il apparaît désormais qu’il n’y a rien d’autre à faire. On vit donc au jour le jour, au gré des événements, c’est-à-dire au gré de la terrible situation mexicaine en constante et accélérée détérioration.
Cette attitude est renforcée par les vieux restes de la logique de l’hybris, jusqu’alors hystériquement contraignante, mais qui est de plus en plus poursuivie, elle aussi, plus par impuissance et par fatalisme. Cette logique signalait que l’hybris de l’“Empire” ne supportait pas qu’on observât un tel désordre dans l’“intimité” de ses proximités immédiates, et que par conséquent l’on s’abstiendrait d’insister là-dessus ; la même logique se poursuit, cette fois par fatalisme et abandon, et l’excitation par habitude du désordre psychologique provoqué par l’hyper-désordre du Moyen-Orient, qui reste la marque des restes de la soi-disant hégémonie, ne cesse de renforcer l’indifférence pour l’hyper-désordre dans l’“intimité” du ventre mou du susdit “Empire”. Il y a, dans l’attitude du système de l’américanisme, un parfum indubitable d’abdication, d’épuisement, de désengagement de soi-même jusqu’à une indifférence pour les facteurs constitutifs de soi-même qui a, elle, le parfum de l’autodestruction par défaut...
Mis en ligne le 21 octobre 2014 à 05H47
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