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12076 mars 2009 —Notre attention été sollicitée avec force, nous dirions même par une force impérative, en découvrant l’introduction de ce texte de Bill Sweetman, sur le site d’Aviation Week & Space Technology (AW&ST), en date du 4 mars. Le titre de l’article est: «Global Opposition Movement Challenges JSF Program, – Lockheed Martin, Joint Program Office must answer the buzz of a swarm of critics» L’article est publié dans le numéro du 2 mars de l’hebdomadaire.
Ce premier paragraphe dit ceci:
«The first major military aircraft project of the Internet-era, the Joint Strike Fighter, faces a new opposition: a global, networked movement comprising independent and think-tank analysts, retired air force leaders and industry professionals and politicians concerned with the JSF’s financial and operational risks. All of them have immediate access to worldwide news, official reports and program briefings to an extent that was inconceivable when the F-22 was at the same stage of development a decade ago.»
Ces remarques de Sweetman ne doivent pas être prises à la légère. Le statut de ce journaliste, sa position dans le monde médiatique spécialisé (rédacteur en chef de Defense & Technology Intenational, publication-sœur de AW&ST), ses liens avec les milieux industriels et militaires, assurent qu’il exprime un sentiment et un jugement régnant dans ces milieux. De ce point de vue, il décrit une situation réelle. Deux points principaux doivent être retenus de ce passage cité:
• Le JSF défini comme «[t]he first major military aircraft project of the Internet-era».
• Le constat que s’est levée, contre le JSF, «a new opposition: a global, networked movement…».
Le reste n’a qu’un intérêt réduit sur le fond. On peut éventuellement s’interroger sur cette liste d’“objections-réponses” que développe Sweetman à la suite de l'introduction que nous citons; les objections soulevées par les différentes attaques anti-JSF sur Internet et les réponses que le JPO (JSF Program Office) du Pentagone et LM (Lockheed Martin) leur ont apportées indirectement, au travers des déclarations diverses de cette organisation JPO-LM. («There are a few main themes that run through many JSF critiques—some of which are complicated by classified information—but the F-35 Joint Program Office and Lockheed Martin have responded to many of them.»)
La démarche de l’auteur est ambiguë, – peut-être d’ailleurs le veut-il ainsi; ou bien il s’agit de mettre en évidence le caractère dépassé des critiques puisque des réponses leur ont été apportées, ou bien il s’agit de mettre en évidence la faiblesse des réponses. Il y a un contraste considérable entre le potentiel révolutionnaire d’identification des situations et des acteurs contenu dans l’introduction que nous avons citée, notamment la dimension globale qui est accordée à Internet et à son efficacité évidente, et le développement “objections-réponses”. Nous ne nous attachons ici qu’aux remarques révolutionnaires de Sweetman, dont nous nous demandons s’il mesure, lui, leur portée révolutionnaire.
En quelques mots, effectivement, Sweetman désigne une situation extraordinaire et sans précédent. Jusqu’en 2006-2007, le programme JSF était une affaire faite. Nulle critique fondamentale ne pouvait être distinguée comme ayant le moindre effet notable, notamment sur l’attitude des pays coopérants (les huit pays du programme, en plus des USA). La représentation virtuelle du programme était complètement bouclée, quoi qu’il se passât en réalité. Cette situation particulièrement hermétique, représentant un triomphe sans précédent du virtualisme, commença à se fissurer dans le courant de 2007. Elle a atteint un point de “crise” effective en septembre 2008, avec l’ouverture d’une polémique publique montrant que le bloc JPO-LM perdait son sang-froid. On distingua alors, pour la première fois, une réelle faiblesse de la représentation virtualiste du programme. Le groupe JPO-LM sortit, pour la première fois également, de son indifférence assurée et arrogante face aux critiques essentiellement venues d’Internet et il parla in fine d’un “complot” anti-JSF. (Effectivement, le chef du JPO, le général Davis, dénonça des forces hostiles au JSF qui auraient eu, selon lui, un “agenda”.) Depuis, la polémique ne désemplit pas…
Depuis 2007, des sites ont pris une place importante dans l’appréciation critique du programme JSF. Le site hollandais JSFNieuws (avec un lien vers sa traduction-“Google” en français, nécessairement approximative), qui donne un suivi général du programme, mais surtout un suivi politique de la situation en Hollande; le site australien Air Power Australia (APA), extrêmement fourni et puissant au niveau de l’appréciation technique et opérationnelle. En Allemagne, le site DefPro (Defense Professional) est très actif dans l'examen critique du JSF, et publie aussi des articles venus de collaborateurs d'APA. En France (en langue anglaise), le site Defense-aerospace.com suit le JSF avec une attention critique.
La critique du JSF s’est ainsi affirmée puissamment, attaquant toutes les faiblesses du programme jusqu’alors fortement dissimulées par la carapace de virtualisme installée par le bloc JPO-LM. La critique opérationnelle, apparue en 2008, est dévastatrice parce qu’elle est fortement argumentée et détaillée, extrêmement charpentée, et elle inspire indirectement désormais la “grande presse” officielle. (L’article “F-35 Air Combat Skills Analyzed ” de AW&ST, du 5 mars, publié le 2 mars dans l’hebdomadaire, est pour le moins partagée pour ce qui concerne les affirmations de JPO-LM sur les capacités air-air du JSF. Par exemple : «Yet, such performance numbers appear to leave the F-35 short of the kind of air-to-air capabilities provided by other combat aircraft, such as the Russian Su-30MKI or the European Typhoon. And even Lockheed Martin test pilots concede that the F-35—although offering very high initial acceleration due to its powerful 42,000-lb.-thrust F135 engine—could start losing advantage at higher speed and altitude.»)
Un autre élément est que cette critique ne peut plus être “étiquetée” politiquement. Il ne s’agit plus d’une critique “pacifiste”, ou bien “de gauche”, ou bien “anti-américaniste”. APA est un site très “pro-défense”, assez pro-américaniste, très partisan du F-22 contre le F-35/JSF. Ainsi la palette critique s’est-elle élargie à tout l’arc-en-ciel, interdisant le bloc JPO-LM d’exploiter à fond le thème d’un “complot” initialement développé, et montrant encore plus sa faiblesse.
…Certes, le programme JSF a lui-même d’innombrables faiblesses; selon notre appréciation, il ne serait nullement invulnérable à une possibilité d'effondrement, à cause de son gigantisme, de sa perversion interne (y compris conceptuelle), de son caractère incontrôlable, à l’image de toutes les grandes entreprises américanistes décrites comme “too big to fail” et “too big to fall”. Certes, de nombreux avatars publics, aux USA, notamment les rapports successifs du GAO, ont largement documenté ces faiblesses. Mais nous voulons parler ici d’un autre événement; fondamentalement, à un moment donné, la carapace virtualiste mise en place par le bloc JPO-LM autour du programme JSF a été percée, dans un effort anti-virtualiste qu’on pourrait décrire comme décisif; et nous croyons que c’est l’action du “réseau”, du Net, qui a été décisive, justifiant ainsi le caractère “extraordinaire”, volontaire ou non, et sans doute plutôt involontaire, que nous attribuons aux remarques de Sweetman.
Effectivement, le JSF est le «[t]he first major military aircraft project of the Internet-era», mais il est surtout le “premier programme majeur d’avion militaire” à être essentiellement découvert, mis à jour, évalué et mis fondamentalement en cause par Internet. Certes, il s’est levé contre lui «a new opposition: a global, networked movement…», mais, surtout, cette “opposition globale” établie sur Internet n’a été possible que parce qu’Internet a évolué dans ce sens dans “son opinion” implicite et non coordonnée, si l’on peut dire, et a créé une “opposition globale” au programme JSF. (Selon notre point de vue, prendre le terme “new” de la phrase de Sweetman dans le sens de la complète nouveauté; il n’y avait pas d’opposition stricto sensu au JSF; une “nouvelle” forme d’opposition à l’échelle globale s’est créée d’elle-même, à cette occasion, comme seul moyen d’action contre le JSF et elle s’est manifestée contre lui; une sorte de mouvement “altermondialiste“ anti-JSF, contre la globalisation-JSF.) D’une façon générale, cette évolution représente une victoire incontestable d’Internet contre le virtualisme, – ou, dans tous les cas, une bataille entre Internet et le virtualisme, remportée par Internet.
Il n’y ni “complot”, ni “agenda”, il n’y a pas de coordination, il n’y a pas d’orchestre avec un chef, – telle est notre conviction, d'ailleurs confirmée par notre propre expérience. Les uns et les autres, les sites différents que nous citons, d’autres que nous oublions, ont des motifs différents, des conceptions différentes, souvent des langues différentes. Ils n’ont nul besoin de se consulter, voire même de se connaître. Ils agissent en ordre dispersé, mais avec les habitudes d’Internet, l’inter connectivité naturelle au domaine. Il n’y a pas de vanité d’auteur, pas de suspicion de plagiat, ce qui autorise effectivement, voire encourage cette inter connectivité. Certains sites ont des accès payants, d’autres pas. Les promoteurs des sites ont des motifs et des moyens nécessairement différents, – et ainsi de suite. Il n’empêche que le résultat est qu’en dix ans, le programme JSF est passé d’une marche irrésistible d’une sorte de bulldozer bardé de certitudes, sans le moindre frein, sans la moindre opposition sérieuse, sans la moindre critique efficace contre lui, à une position de forteresse assiégée, avec ses flancs percées, une énorme coque déjà lézardée de multiples voies d’eau. Il y a eu, de la part d’Internet une dynamique collective, un élan inconscient mais puissant, certainement suscité par le caractère absolument virtualiste du plus grand programme militaire de l’aviation de combat, dont les prétentions virtualistes et déstructurantes sont évidentes et globales, qui menace l’équilibre stratégique et la souveraineté de divers ensembles. Ce qu’Internet a attaqué, presque viscéralement, par “instinct” si l’on veut, c’est le caractère virtualiste suprématiste, le refus absolu, méprisant de la réalité, l’exercice d’une impudence incroyable du mensonge virtualiste du bloc JPO-LM. On a vu, récemment encore, que cette mise en cause du caractère virtualiste est devenu un argument fortement utilisé et explicité. Pour notre part, bien sûr, ce caractère a toujours été une de nos cibles principales dans le programme JSF.
Il y a eu ainsi une révolution psychologique. Le programme JSF était à l’origine, pour les esprits, la marque de la toute-puissance du système américaniste, la forme même de sa victoire assurée et irrésistible. Toutes les considérations, même les moins bien informées, et surtout les moins bien informées, allaient par penchant psychologique à l’affirmation du caractère invincible et inéluctable de cette victoire. La psychologie a été complètement retournée, changée dans ses réflexes les plus fondamentaux. Aujourd’hui, le sigle JSF est perçu, presque par automatisme, comme par “instinct”, comme la représentation de la catastrophe systémique, comme la voie même de l’échec, comme le symbole du système dans son évolution décadente et catastrophique. C’est sans aucun doute l’effet de l’évolution sur le Net de la perception du programme JSF, alors qu’il était devenu évident qu’on n’aurait aucune information acceptable de la part du bloc JPO-LM, enfermé dans son complet virtualisme. L’effet est d’une profondeur telle qu’aujourd’hui, lorsqu’il dit des choses correspondant à la réalité, le bloc JPO-LM n’est même plus écouté.
Ce qu’on décrit ici n’est pas la fin du programme JSF, – c’est une autre histoire, encore à faire mais qui n’est pas mal engagée si l’on considère les positions d’où l’on vient. Ce qu’on décrit est une évolution, ou une révolution psychologique, initiée et réalisée par la dynamique d’Internet, qui a détruit une carapace de virtualisme mise en place pour assurer une totale impunité à cette immense entreprise de subversion technologique, stratégique et idéologique qu’est le programme JSF. Bien entendu, le fait que cette évolution suive celle du système de l’américanisme en général n’est pas un hasard. On pourrait même croire, même s’il n’y a aucun lien direct de cause à effet, qu’il y a une correspondance de dynamique générale, d'évolution psychologique éclatante, voire de signification spirituelle, dans le fait que l’ouverture de la phase aigue de la crise du virtualisme du JSF ait eu lieu en septembre 2008, en même temps qu’éclatait la crise financière.
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