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440318 juillet 2007 — Un renforcement naval US dans le Golfe Persique apparaît, aujourd’hui (par les temps qui courent), comme un signe quasi certain d’une possibilité d’attaque contre l’Iran, — surtout lorsqu’il s’agit d’un groupe de porte-avions (un porte-avions avec son escadre, “Strike Carrier Group”). Ce fut donc le cas lorsque, le 10 juillet, comme l’annonce l’International Herald Tribune, on apprend que le porte-avions Enterprise était en route vers le Golfe Persique.
«The U.S. Navy said Tuesday it had sent a third aircraft carrier to its 5th Fleet area of operations, which includes waters close to Iran, whose dispute with the West over its nuclear plans has stoked regional tensions.
»The carrier will join two aircraft carriers already in the area, which recently gave the U.S. Navy its biggest presence in the Gulf since the Iraq war began in 2003, a Navy spokeswoman said.
»The carrier Enterprise “provides navy power to counter the assertive, disruptive and coercive behavior of some countries,” as well as supporting U.S. soldiers and marines in Iraq and Afghanistan, a navy statement said.»
La nouvelle est largement intégrée dans diverses analyses qui recueillent les échos d’un durcissement de l’administration GW Bush dans la crise iranienne.
On citera deux exemples :
• Le 13 juillet, Justin Raimundo s’interroge : «Is War With Iran Inevitable?». Il répond “oui”, sans le moindre doute, et énumère ses arguments. On y trouve notamment la nouvelle du renforcement de la 5ème Flotte par un troisième groupe de porte-avions (nous nous permettons de souligner en gras le chiffre important):
«Indeed, the third Gulf War has already begun, and all that remains is for the aerial phase of it to commence. The presence of three U.S. carriers in the Gulf is a prelude to a much larger operation, and…»
• Le chroniqueur Patrick J. Buchanan aborde la même question le 17 juillet, dans un article intitulé «Tonkin Gulf II and the Guns of August?», aboutit à la même réponse que Raimundo, présente également ses arguments où l’on trouve également le troisième porte-avions :
«As Congress prepares for its August recess, the probability of U.S. air strikes on Iran rises with each week. A third carrier, the USS Enterprise, and its battle group is joining the Nimitz and Stennis in the largest concentration of U.S. naval power ever off the coast of Iran».
Il existe une deuxième version de la chose (quelle “chose” ? La nième crise iranienne, la nième annonce d’une attaque contre l’Iran…). Elle apparaît dans le Guardian du 16 juillet.
• D’une part, l’article annonce la possibilité d’une attaque US contre l’Iran, notamment (et essentiellement) parce que Bush aurait changé d’avis (?) et se serait rangé du côté du belliciste Cheney :
«The balance in the internal White House debate over Iran has shifted back in favour of military action before President George Bush leaves office in 18 months, the Guardian has learned…»
• D’une façon plutôt inattendue par rapport à ce qui précède, l’affaire du troisième porte-avions est mentionnée, mais d’une façon qui tend à affaiblir l’information que donne le quotidien en l’inscrivant dans le temps :
«Almost half of the US's 277 warships are stationed close to Iran, including two aircraft carrier groups. The aircraft carrier USS Enterprise left Virginia last week for the Gulf. A Pentagon spokesman said it was to replace the USS Nimitz and there would be no overlap that would mean three carriers in Gulf at the same time. No decision on military action is expected until next year. In the meantime, the state department will continue to pursue the diplomatic route.»
Enfin, il y a une dernière version, dont le destin est assez étrange puisqu’elle donne une situation opérationnelle exactement opposée à celle que nous avons vue développée.
• Le 16 juillet, le site World Tribune met en ligne la nouvelle, datant pour ce site du 12 juillet, que le groupe de l’Enterprise doit non pas constituer un troisième groupe mais, au contraire, remplacer les deux groupes sur place.
«The United States has pledged to reduce its naval presence in the Gulf but officials said the rotation did not represent a change in strategy. Officials said the Defense Department plans to remove two carrier strike groups from the Gulf over the next two weeks. They said this would leave one carrier group by August. “This change in carrier presence does not reflect a change in commitment or concern for the region,” Pentagon spokesman Bryan Whitman said on July 12. “Carrier presence is but one means by which the U.S. engages in the region.”»
• Nous-mêmes, dans notre Bloc-Notes du 11 juillet, avions répercuté l’interprétation modifiée du porte-parole du Pentagone annonçant que le groupe de l’Enterprise ne constituait pas un renforcement mais un remplacement d’un et peut-être des deux groupes de porte-avions déployés dans le Golfe. Notre très rapide analyse concluait à une baisse du niveau d’engagement des militaires correspondant à une baisse des perspectives d’affrontement, et aussi à la confirmation de l’attitude très modérée du secrétaire à la défense et de l’U.S. Navy dans cette affaire iranienne. Les explications supplémentaires données le 12 juillet, selon World Tribune, semblent montrer que le Pentagone (Gates en l’occurrence) est un peu sur la défensive, ne voulant pas être accusé d’interférer dans une éventuelle politique officielle de confrontation.
Finalement, le lecteur se fera sa religion sur cet aspect de la question de la crise iranienne (prochaine attaque ou pas?). Il verra ce qu’il faut penser du renforcement ou d’un affaiblissement du dispositif naval US dans le Golfe. Ce qui nous intéresse et nous arrête ici, c’est le cheminement de l’information, c’est la relativité désormais complète de l’information “officielle” dans le système-clef de la communication qu’est l’univers américaniste. (“Système-clef” en tant que système de référence de fonctionnement et d’information actuel, aussi bien que système de référence historique à cet égard.)
L’exemple développé ici n’est pas du tout du domaine de la spéculation, de l’opinion, de la polémique idéologique ou politique. Il s’agit du déplacement d’un porte-avions, sa mise en place dans un dispositif qui en sera ainsi renforcé ou affaibli selon l’objectif de la mission. Ce sont là des faits bruts et des faits techniques d’un processus militaire bien connu (rotation des déploiements opérationnels des porte-avions). Ils ne devraient laisser subsister aucune ambiguïté dans l’interprétation qu’on en fait. Pourtant, c’est tout le contraire. Sans qu’on puisse accuser l’un ou l’autre commentateur ou journaliste de “faute professionnelle” ou de déformation volontaire de la réalité, on aboutit ici à la conclusion d’un renforcement du dispositif, donc un renforcement de l’hypothèse d’une attaque en préparation ; et l’on est conduit là à la conclusion d’un affaiblissement (qu’on suggère ou non temporaire) du dispositif, conduisant évidemment à la conclusion que cet aspect-là de la situation militaire réduit fortement l’hypothèse d’une attaque en préparation.
Du côté officiel, il n’y a pas eu à proprement parler manipulation de l’information. La seule attitude qui pourrait s’en rapprocher est l’approche prudente du Pentagone, qui semble clairement ne pas vouloir faire de publicité à l’explication technique normale qu’il communique, qui dément complètement l’interprétation d’un renforcement préludant à une attaque par ce moyen (naval). On peut comprendre pourquoi, par une spéculation assez simple fondée sur l’expérience. Cette spéculation nous suggère que le Pentagone veut freiner toute possibilité d’attaque en se réfugiant pourtant derrière l’explication technique qui lui évite l’accusation de mener sa propre politique. Il ne tient pas à démentir les interprétations alarmistes (l’IHT en premier) parce qu’il sait que sa hiérarchie théorique (la Maison-Blanche, Cheney dans tous les cas) pousse pour la possibilité d’une attaque.
Nous comprenons tout cela, sans rien voir d’extraordinaire dans les divers détails qui sont énumérés comme autant d’arguments souvent contradictoires (intention d’attaque, troisième porte-avions, flotte dans le Golfe réduite à un porte-avions, etc.). L’extraordinaire du cas est bien que “tout cela” est possible et ne provoque aucun remous, aucune mise au point, aucune reprise en main à l’intérieur du gouvernement. L’extraordinaire du cas est qu’il n’existe aucune confrontation des “divers détails qui sont énumérés comme autant d’arguments souvent contradictoires (intention d’attaque, troisième porte-avions, flotte dans le Golfe réduite à un porte-avions, etc.)”. Cette affaire se terminera bientôt par l’oubli devant la rapidité des informations, leur superficialité et l’inattention qu’on leur porte : la rotation va se faire dans le Golfe, ou bien est-ce effectivement un renforcement (pour ceux qui jugent que l’explication de la rotation est une ruse et permet un renforcement subreptice pour une attaque) ; Cheney presse pour une attaque, Bush hésite ou dit qu’on va y aller ; puis on passe à autre chose (un plan de paix pour le Moyen-Orient, par exemple). Peut-être y aura-t-il une attaque un jour, d’ailleurs, peut-être même en août, comme l’annonce Buchanan, — puisqu’on y est …
• La première conclusion à tirer de cette étrange aventure est la confirmation de l’extraordinaire parcellisation du pouvoir à Washington. Il semble que plus aucune coordination et coopération naturelles, plus aucune autorité centralisatrice n’existe. Cela est devenu très spectaculaire depuis que Gates, adversaire notoire de la politique belliciste, est au Pentagone. Le gouvernement américaniste est devenu un énorme monstre aux multiples tentacules autonomes, chacune vivant sa vie et suivant sa politique.
• La seconde conclusion à tirer concerne le crédit qu’on doit accorder à l’information “officielle” qui apparaît elle-même tout aussi “déstructurée” que l’est le gouvernement qui la dispense (ce qui est assez logique, au reste). L’information “officielle” est désormais un ensemble disparate sans aucune cohérence. Il s’agit de l’échec même du concept de “communication”, constat paradoxal pour une époque qui s’affirme comme celle de la communication. Ce qu’on nomme aujourd’hui “la communication” est la maîtrise du flot d’informations venues de diverses sources en une cohérence générale par le moyen de l’intégration. Si le “communicateur” est objectif, ce qui suggère un étrange oxymore, il tente de donner une synthèse se rapprochant le plus d’une vérité objective ; s’il est manipulateur, proposition qui se rapproche de la tautologie, il cherche à offrir une synthèse qui renforce sa vision du monde, les intérêts du groupe qu’il représente, la force de l’idéologie qu’il véhicule et ainsi de suite. Eh bien, l’on est conduit au constat que la “communication officielle” n’existe plus aujourd’hui, reflétant l’éclatement du pouvoir central en centres de pouvoir concurrents, avec l’impossibilité de la maîtrise des informations qui en émanent en une “communication” intégrée et centralisée. Ainsi avons-nous plusieurs “communications” concurrentes sur un seul événement présenté selon des informations diverses et concurrentes également, comme dans le cas du porte-avions Enterprise. L’événement politique de cette impuissance à “communiquer” (c’est-à-dire à maîtriser l’information en l’intégrant) renvoie à l’effondrement de la légitimité de l’autorité politiques, et la perte de crédit à mesure. La fin de l’autorité et de la légitimité politiques que l’on constate partout aujourd’hui, — alors que notre époque a au contraire un ardent besoin de cette légitimité politique dans sa direction, — entraîne la fin de la communication officielle.
• Dans ce désordre, le mensonge ne joue qu’un rôle partiel, contrairement aux accusations rituelles qui accablent notre analyse critique de l’époque. Il est un peu partout mais il est aussi dans tous les sens, — et ceci compense un peu cela. Il n’y a pas (plus?) complot (situation des mensonges maîtrisés vers un but centralisé), il y a désordre (situation des mensonges allant dans tous les sens, sans intégration centralisatrice). L’intérêt de l’exemple du “porte-avions volant” (analogie du “Hollandais volant”) est également paradoxal dans ce cas. Il n’y a nulle part mensonge et l’on arrive pourtant à une situation de désordre complet de la communication. L’exemple montre bien, — non que le mensonge n’existe pas, car il existe tellement dans d’autres cas, — mais que le mensonge ne joue pas un rôle décisif dans le désordre de la communication puisqu’il est absent dans ce cas.
• A nous la main… Nous, les obscurs, les sans-grades, nous qui avons pris notre part du pouvoir des “communicateurs” grâce au réseau, à la “Toile”, au Web. Nous avons accès à toutes les sources. Nous savons discerner les mensonges aussi bien, mieux même que les “communicateurs” officiels, évidemment manipulateurs et prisonniers de leur virtualisme. En un sens, nous sommes également manipulateurs car nous avons une cause à défendre et nous devons employer les moyens qu’il faut. La différence se fait dans la justification de la cause, dans sa valeur, elle se fait enfin et essentiellement dans sa légitimité. Nous qui sommes si loin du pouvoir officiel que nous en sommes nécessairement les adversaires ; nous acquérons une sorte de légitimité à mesure que ce pouvoir se dépouille lui-même de la sienne par ses outrances, ses sottises, ses illusions et sa médiocrité. Enfin, le pouvoir officiel de notre système occidental, virtualiste et suprématiste, s’est si complètement dépouillé de sa légitimité que nous pouvons crier : “le roi est nu”.