Le sommet du tocsin?

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Le sommet du tocsin?

8 juillet 2009 — Il y a toujours plusieurs façons de considérer un événement comme le sommet de Moscou, dont l’importance se révélera, à notre sens, sur le terme. Pour l’heure, il nous semble qu’une déclaration du ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov, faite à la chaîne de télévision Vesti le 7 juillet 2009 (extraits repris par Novosti) est d’un particulier intérêt. Elle tire une conclusion générale du sommet, elle en dégage la philosophie si vous voulez, ou bien encore parlons de “l’esprit du sommet”, hors de tel ou tel sujet spécifique, communiqué commun, incident de communication, etc.

Cette déclaration nous a arrêtés, bien sûr, parce qu’elle rencontre une impression générale que nous présentions dans un F&C, le 29 juin 2009. Le titre de la dépêche de Novosti reprend la substance de la déclaration de Lavrov: «Les USA s'avouent incapables de contrer seuls les menaces pesant sur le monde.» Il s’agit d’une appréciation générale sur le sens de la démarche d’Obama à Moscou.

«Les Etats-Unis se rendent compte qu'ils ne sont pas en mesure de venir à bout des menaces pesant sur le monde sans la coopération d'autres pays, a déclaré mardi le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dans une interview à la chaîne de télévision Vesti.

»Selon le chef de la diplomatie russe, le président américain Barack Obama a nettement indiqué à Moscou que “son administration réexaminait à présent la situation dans le monde et les menaces à écarter”. “Parmi ces menaces, les principales sont le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massives (ADM), ainsi que tout ce qui en découle”.

»“La principale conclusion tirée par le président Obama est que les Etats-Unis ne sont pas capables, à eux seuls, de contrer ces menaces”, a indiqué le ministre. Et d'ajouter qu'une “coalition d'Etats [...] est nécessaire, et la Russie y joue un rôle irremplaçable”.»

Nous serions sans aucun doute poussés à élargir largement le propos, dans le sens de notre référence que nous donnions plus haut, concernant notre F&C du 29 juin 2009. Il s’agit d’une prise de conscience, – de BHO certes, mais des autres parallèlement et dans certains cas le précédant, car cette conscience est générale, – que nous entrons dans une période précisément eschatologique, alors qu’un système est en train de s’effondrer, que nul ne sait ce qui va le remplacer, que les crises eschatologiques (climat, ressources naturelles) arrivent à maturité, etc.

Nous serons également tenté de nous référer à une autre intervention d’Obama, hier encore à Moscou, dont Novosti donne, ce 7 juillet 2009 quelques très rapides extraits. Ces interventions concernent le commerce et les échanges mais elles concernent, d’une façon sous-jacente, voire d’une façon plus concrète jusqu’à une situation où le problème aurait été abordé entre les dirigeants russes et américains, les relations politiques directes entre les directions. Il s’agit des interférences de la bureaucratie (et d’autres forces, comme les groupes d’influence idéologiques et industriels, type complexe militaro-industriel) qui freinent et déforment, voire interdisent la communication entre les directions, qui provoquent des crises non contrôlées, qui renforcent artificiellement les tensions. Les Russes estiment que la chose a joué un rôle fondamental avec l’administration Bush, où une bonne part de la politique agressive US était suscitée par ces réseaux, ces groupes et ces bureaucraties. (Voir, notamment, ce que Rogozine disait de l’OTAN, le 9 mai 2009.)

Donc, devant un “sommet” réunissant des délégations économiques des deux pays, Obama est intervenu hier:

«Le président Barack Obama a appelé dans un discours mardi à Moscou à bannir la bureaucratie dans les échanges entre Washington et Moscou. “Nous devons œuvrer à l'abolition des problèmes liés à la bureaucratie”, a indiqué le numéro un américain intervenant devant le Sommet d'affaires russo-américain. “On vient de dire que des milliards de dollars ont été perdus ou jetés par la fenêtre uniquement parce que nous n'avons pas pu mettre opportunément à jour nos lois”, a noté le président.»

Cette intervention est donnée à titre exemplaire. Nous voulons, quant à nous, parler de questions beaucoup plus graves et urgentes pour les dirigeants politiques des deux pays, qui concernent également les freinages bureaucratiques, mais le phénomène à un stade très élargi. Il s'agit pour ces dirigeants d’examiner comment court-circuiter leurs bureaucraties respectives et tous les freins d’influence, d’opinion, etc., qui peuvent empêcher une consultation décisive et une prise commune de décision dans des cas d’urgence.

Il y a déjà eu des cas de cette sorte, durant la Guerre froide, où Russes et Américains se trouvèrent dans l’obligation d’organiser des connexions extérieures à leurs réseaux bureaucratiques normaux, dans des circonstances extraordinaires.

• Le cas des relations Kennedy-Krouchtchev entre la crise des fusées de Cuba (octobre 1962) et l’assassinat de Kennedy (novembre 1963) est connu; il mena notamment à la conclusion d’accords nucléaires (l’interdiction des essais en atmosphère) et entretenaient d’autres ambitions.

• Il y eut aussi les relations Nixon-Brejnev en 1973-1974, notamment à cause de l’isolement du président US dans le scandale du Watergate (mais aussi dans un contexte de crise pétrolière grave). Les deux hommes avaient établi des relations d’estime inhabituelles, très personnelles, dont même Kissinger était exclu du côté US. Brejnev soutint Nixon au maximum dans sa bataille du Watergate, et certaines circonstances et rencontres, dans ce climat, les virent évoquer des projets politiques très précis. L’ambassadeur d'URSS à Washington Dobrynine écrit dans ses mémoires que, sans le Watergate et la démission de Nixon, des accords du type de ceux que signèrent Reagan et Gorbatchev une décennie plus tard auraient pu être signés, et qu’on aurait même pu voir des réforme type-Gorbatchev en URSS.

• Il y eut, au printemps 1989, le cas de Bush-père, qui se trouvait enfermé dans un complexe bureaucratique refusant la moindre réciprocité de détente aux initiatives de Gorbatchev. (La bureaucratie du Pentagone et de l’OTAN prévoyait alors, comme mesure urgente alors que l’URSS retirait unilatéralement une partie de son corps de bataille d’Europe de l’Est, la modernisation des armes nucléaires de courte portée installées en Europe.) Bush-père dut faire un véritable “coup d’Etat” bureaucratique en constituant une équipe restreinte autour de l’amiral Crowe (alors président du JCS), pour imposer de telles mesures de réciprocité, notamment pour le sommet de l’OTAN du 31 mai 1989. Tout cela aboutit à une entente remarquable avec Gorbatchev dans les années 1989-91.

Ces cas sont évoqués, non pour suggérer des analogies de circonstances mais pour faire observer que la volonté d’établir des mesures anti-bureaucratiques à l’échelon international correspond évidemment à des périodes de grandes tensions où des directions en général repliées sur leurs intérêts nationaux découvrent qu’elles sont confrontées à des dangers communs. De toutes les façons, les cas évoqués, s’ils ont valeur d’exemple ou de référence plutôt formelle, se situent dans un contexte beaucoup moins grave que celui qu’on connaît aujourd’hui.

Les temps des plus grand dangers

D’une façon plus générale, les précédents historiques évoqués ci-dessus le sont, d’abord pour nous débarrasser des scories des slogans ineptes sur le monolithisme de la Guerre froide qui continuent à être psalmodiés aujourd’hui par une presse Pravda complètement bureaucratisée et lobotomisée; ensuite, pour mettre en évidence, par analogie, que le sommet de Moscou a aussi été l’occasion de considérer une prospective de très grand danger général qui nécessiterait des procédures inhabituelles. De ce point de vue, on rejoint le jugement de Lavrov, avec la remarque supplémentaire que les Russes ne sont certainement pas hostiles à la sorte de coopération qui est évoquée.

Eux, les Russes, plus encore que les Américains, ont conscience des menaces nées du processus d’effondrement du système, en plus des crises eschatologiques qui arrivent à maturation. (Eux-mêmes sont les premiers à réfléchir sur les possibilités d’une crise US majeure, menant à une dislocation du pays. Pour les Russes, il s’agirait d’une “réplique” catastrophique, en beaucoup plus grave, de l’effondrement de l’URSS.) Il semble que l’une des satisfactions des Russes, lors du sommet, a été de rencontrer un dirigeant US qui semble avoir une certaine conscience de cette situation explosive potentielle. Il est évident que ce constat ainsi que l’environnement politique général où il se fait posent la question de la position d’Obama par rapport au système, – cela que nous évoquons constamment. La pensée de Gorbatchev (qu'Obama a bien rencontré hier à Moscou) n’est pas loin, à cet égard, d’être partagée par nombre de dirigeants russes, sur la nécessité de lancer des mouvements structurels radicaux de réforme aux USA, mais sans se dissimuler les risques d’explosion qui vont avec.

De ce point de vue général, ce sommet de Moscou doit être considéré rétrospectivement avec la plus grande attention, notamment dans les semaines qui viennent. Il pourrait s’agir d’une date importante dans un tournant général qui est amorcé depuis le 15 septembre dernier, avec les préoccupations centrales passant des thèmes exploités jusqu’à la corde depuis le 11 septembre 2001 dans le plus complet virtualisme, pour envisager désormais le cadre généra des crises du système et autour du système, de ce que nous nommons la “structure crisique” qui constitue désormais la substance même de la situation générale du monde. On a vu déjà que les militaires des deux pays étaient très sensibles à cette approche; la remarque de Lavrov («[une] coalition d'Etats [...] est nécessaire») va très certainement dans le même sens.

Il se pourrait que nous soyons entrés dans la période de maturation, de réalisation du contexte nouveau installé avec la crise du 15 septembre 2008, mais avec la réalisation qu’on ne peut s’en tenir à cette seule crise catégorielle (financière, économique), toute grave qu’elle soit. Il s’agirait de l’ouverture sur la perspective des temps des plus grands dangers.