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892L’un des grands inspirateurs du “libéralisme interventionniste” occidental et transatlantique (les liberal hawks dans le jargon anglo-américaniste), cette doctrine qui triompha avec Tony Blair durant les jours heureux (pour ces gens-là) de la guerre du Kosovo, c’est l’intellectuel britannique Timothy Garton-Ash, – disons toujours TGA pour faire bref. Dans le Guardian du 4 septembre 2008, TGA nous donne une tribune tourmentée où il décompte les blessures du “libéralisme interventionniste” après l’affaire géorgienne suivant le reste et décrète qu’il faut désormais toujours plus de libéralisme et toujours plus d'interventionnisme mais en beaucoup plus discret, – par la force des choses, qui pourrait bien être celle des chars russes.
(Dans un article de commentaire de l’article de TGA, le 7 septembre dans le même Guardian, Conor Foley estime que TGA a écrit la rubrique nécrologique de ce même “libéralisme interventionniste”: «It has taken two bloody conflicts in Iraq and Afghanistan to shatter these illusions, but judging by Garton Ash's article we can finally conclude that liberal interventionism is dead and buried.» On verra et l’on reviendra sur l’article de TGA qui est certes intéressant, ou révélateur disons.)
Pour ne pas perdre tout espoir, et considérant par ailleurs que la partie n’est pas loin d’être perdue en Géorgie pour l’implication féconde et efficace du “libéralisme interventionniste” dont il semble qu’il juge que l’Europe est le porte-drapeau, TGA recommande que cette même Europe (c’est-à-dire l’UE et Sarko en tête) porte toute son attention sur l’Ukraine. C’est là, juge TGA, que l’on pourra juger de l’excellence du “modèle européen”… Une fois de plus, le “modèle européen” qui rencontre son moment de vérité.
«Our new working assumption, however, must be that it will for the foreseeable future remain Putin's Russia: a ruthless great power, determined to roll back the influence of the west and establish its own 19th-century style sphere of influence in the post-Soviet space; and one prepared to use violence, intimidation and extortion to realise its national interests, which it defines as extending to the “protection” of millions of Russians in other sovereign states around its borders – in Crimea, for example, a part of the sovereign state of Ukraine where slightly more than half the population identify themselves as Russians and the Kremlin has its Black Sea fleet harboured at Sevastopol.
»Yalta, c'est fini, declared Sarkozy at the Brussels press conference, alluding to the alleged division of Europe into two spheres of influence at the 1945 Yalta conference. But a new kind of Yalta may be beginning – at that very same town in Crimea, and many like it, where Mother Russia yearns to look after her own. Europe must do what it can for Georgia, including a visible presence on the ground. But strategically even more important is to do what it can for Ukraine, a large and pivotal state that (unlike Georgia) still more or less controls all the territory within its borders.
«David Miliband was absolutely right to go there in response to the Georgian crisis. The EU should now give Ukraine a clear perspective of membership. It should put monitors, officials, lawyers, police advisers and development workers – Ukrainian and Russian-speaking – on the ground, especially in regions such as Crimea. Our response should be realistic in assessing not just Russia, but our strengths and weaknesses. Russia does tanks. Europe is not good at doing stuff with tanks. But we do a thousand other things, each smaller, softer and slower than a tank, which, given time and the perspective of eventual membership, can be a force more powerful. This European model is now on trial.»
Cet homme, TGA, confortablement assis sur les ruines de Falloujah ou de quelque village afghan amicalement protégé par les chasseurs de l’U.S. Air Force, recommande donc à l’Europe de s’engager en Ukraine, de s’engager avec ses moyens naturels, – pas les chars, non, la civilisation belle et bonne, – pour sauver l’Ukraine de l’emprise de l’ours russe. (Pourtant, il l’aimait bien, TGA, cette Russie ingrate. Il écrit que l’Ouest avait rêvé d’une grande idylle avec la Russie; avec une générosité sans bornes, comme chacun sait, par tous les moyens possibles, du capitalisme sauvage en Russie au Kosovo et à l’élargissement de l’OTAN. TGA est si généreux à ce propos qu’il est prêt à recommander de garder un interstice ouvert pour la Russie précipitée par sa propre faute derrière la porte de la civilisation dans les ténèbres de l’obscurantisme, pour qu’un peu de lumière européenne et libérale-interventionniste dépasse encore: «It must remain clear that the door is still open to the kind of strategic partnership the west dreamed of in the 1990s, with Russia as a new pillar of liberal international order.»)
On prête tant d’influence à TGA qu’on dit que ses conceptions sur l’Ukraine représentent celle du gouvernement britannique, particulièrement du jeune ministre des affaires étrangères Miliband. TGA ne manque jamais d'encenser le jeune Miliband pour ses discours “de doctrine”, au point qu’on dit et qu'on pourrait croire effectivement qu’il (TGA) prête sa plume au speech-writer de service, pour élever un peu le débat. L'encensoir s'agite à coup sûr.
Ainsi, la pensée de TGA constituerait le cimier fécond de l’analyse britannique, la recette de ce qu’il faut faire en Ukraine, c'est-à-dire libérer cette fois “en douceur” ce pays de l'emprise russe qu'il ne peut plus tolérer. Pendant ce temps, Le Monde constate aujourd’hui: «Le drapeau russe flotte sur le port ukrainien de Sébastopol et dans le cœur de ses habitants.» Dans un autre article même journal, du 6 septembre, l’atmosphère politique nous était ainsi décrite, – et le week-end n’a pas amélioré les choses:
«Rien ne va plus entre les anciens alliés "orange". A l'approche du sommet Union européenne-Ukraine du 9 septembre, la rupture est consommée entre le président Viktor Iouchtchenko et le premier ministre Ioulia Timochenko, qui pourrait former avec l'opposition prorusse du Parti des régions une alliance qui paraissait improbable il y a quelques mois.» (… Effectivement, chaque jour confirme que la redoutable Timochenko envisage cette option qui reviendrait à constituer évidemment un gouvernement très amical avec la Russie, contre Ioutchenko et ses moins de 10% de popularité.)
Les Ukrainiens rencontrent donc une délégation de l’UE demain. Cheney est venu leur dire, à ces Ukrainiens, que Washington compte plus que jamais les faire entrer dans l’OTAN comme ils ne cessent de le désirer chaque jour davantage. De quels Ukrainiens parlent-ils, de TGA à Miliband, du Washington de Cheney à tout l’Occident réuni au chevet de l’Ukraine oppressée par Moscou? A quelle Ukraine rêvent-ils pour leur “narrative” libérale-interventionniste de l’état du monde? De quel monde veulent-ils faire le bonheur “à l’insu de son plein gré”? Cette fièvre virtualiste de nos élites occidentales est un phénomène étonnant à suivre, qu’il faut observer avec le zèle et la patience d’un chercheur qui, lui, ne s’étonne de rien.
Mis en ligne le 8 septembre 2008 à 18H39
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