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1412Une formidable réaction s’est développée en Europe, dans les institutions européennes et dans les États membres qui suivent, contre l’Argentine, à la suite de la décision de nationalisation de la compagnie pétrolière YPF. C'est l'UE, mais c'est aussi et d'abord le Système, à visage découvert, et sans chercher à dissimuler sa fureur, qui est en action.
En Argentine même, le processus de nationalisation se poursuit, avec notamment son affirmation politique. La présidente Cristina Fernandez dispose d’un appui national quasiment unanime, comme l’a montré hier le vote de la Chambre par 207 voix contre 32, suivant un vote du Sénat dans le même sens et selon les mêmes proportions (voir Reuters, ce 3 mai 2012). Une manifestation populaire à l’appel du gouvernement, avec la participation de l’opposition, avait montré l’ampleur de ce soutien (voir PresTV.com, le 28 avril 2012). Un attentat contre la représentation de l’UE en Argentine (PressTV.com, le 2 mai 2012) a montré, enfin, la vigueur de l’antagonisme entre l’Argentine et l’UE, et la rapidité de la mobilisation de divers groupes non officiels dans cette affaire. Le gouvernement argentin a déploré l’attentat et a “exprimé sa solidarité avec l’UE” ; mais les relations politiques et commerciales entre les deux acteurs sont incontestablement très mauvaises, comme le rappelle cet échange datant de la semaine dernière :
«EU Trade Commissioner Karel de Gucht criticized Argentina’s move against Repsol, saying Buenos Aires "puts under risk the future prosperity of the Argentine people," and that “its foreign trade policy was arbitrary.” However, Argentine Foreign Minister Hector Timerman then sent a letter to de Gucht, saying the EU reaction as “excessive” and “unacceptable.”»
Effectivement, la réaction argentine (description de la réaction de l’UE comme “excessive” et “inacceptable”) n’est absolument pas déplacée. Des sources européennes nous décrivent l’atmosphère anti-argentine régnant aujourd’hui au sein des institutions européennes, avec «des mesures frénétiques qui sont prises aujourd’hui à l’encontre de ce pays. Il n’y a pas un avion en partance de Buenos Aires vers l’Europe qui n’ait à son bord son contingent de fonctionnaires UE quittant leurs postes de la délégation EU en Argentine et des diverses filières de coopération avec l’Argentine. Tous les liens sont en train d’être coupés, et même les délégations des services de renseignement travaillant dans le cadre de la coopération entre l’Europe et l’Argentine sont rapatriés. On proclame partout, dans les couloirs et dans les réunion, que l’Argentine n’aura plus un seul investissement étranger…»
Cette réaction de l’UE, déclenchée formellement par la plainte de l’Espagne, a pris une dimension organique et systématique. Une “feuille de route”, un document stratégique, est en cours d’élaboration au sein de la Commission européenne, particulièrement active sinon activiste dans cette affaire, pour mettre en place une politique d’hostilité vis-à-vis de l’Argentine, organisant ce qui serait dans l'esprit un véritable blocus et un boycott de ce pays par tous les moyens disponibles selon les us et coutumes de la guerre économique. Cette réaction est moins l’effet d’un consensus politique que, surtout, d’une réaction bureaucratique et de l’effet des interventions et des pressions des milieux financiers dans le même sens. Il s’agit, pour l’UE et, derrière elle, le Bloc BAO, d’une réaction fondamentale contre une décision qui est perçue comme une attaque contre toutes les règles du dogme et contre l’esprit du Système lui-même. Cette situation nouvelle accompagne une stratégie générale de l’UE qui est en train d’être définie, profondément hostile à la position de l’Amérique latin telle qu’elle est apparue au récent sommet des Amériques (voir le 17 avril 2012), et, par conséquent, complètement solidaire des USA. Là encore, il s’agit véritablement d’une réaction-Système : moins un acte d’allégeance aux USA qu’un acte hostile à un bloc perçu comme évoluant vers une posture antiSystème (au-delà de la posture anti-USA), exactement comme vis-à-vis de l’Argentine. (Il faut noter que cette attitude stratégique générale anti-Amétrique latine, posture absolument bureaucratique renvoyant au Système, provoque certaines “dissidences”, comme l’observent les mêmes sources que nous citons, de la part de certains services ou fonctionnaires inscrits dans le processus, qui s’élèvent contre ce même processus et provoquent parfois des effets parcellaires publics en opposition à cette politique. Les pressions du Système sont si fortes, en regard des dégâts formidables que suscite la politique-Système, que la matière humaine commence à réagir par endroits…)
Il faut répéter, en élargissant l'observation au plan général des grands affrontements, que cette réaction de l’UE, contre l’Argentine pour le cas qui nous occupe, et, d’une façon plus collective, contre l’Amérique latine, ressort moins d’une décision politique concertée et stratégique, même si ces qualificatifs sont employés, que d’une réaction du Système en tant que tel. L’Argentine a réalisé une opération qu’on devrait qualifier en termes religieux (“hérétique” ou “relaps”), contre une politique générale qui est de nature idéologique et s’appuie sur des références (les marchés, l’hyperlibéralisme, l’anti-interventionnisme) également assimilables à des croyances religieuses. Le plus remarquable dans ce cas, dans cette affaire, pour un pays comme l'Argentine qui a profondément souffert de la politique-Système durant les années 1990 (mais qui a commencé à se révolter au tout début des années 2000, en rompant avec la politique du FMI et en dénonçant sa dette), c’est bien la vigueur absolument intransigeante de la réaction du Système. Depuis la crise financière et économique générale de 2008, depuis que tant de crises parcellaires et d’avatars déstructurants montrent le caractère systématiquement catastrophique de cette politique et de l’idéologie religieuse qui la soutient, le Système réagit avec une vigueur et une rigueur absolues face à tous les écarts, toutes les réactions, toutes les ripostes antiSystème en un mot, surtout lorsqu'elles sont si manifestes et “provocatrices” par rapport au dogme. Le Système n’a jamais été aussi intransigeant qu’aujourd’hui, alors qu’il est aux abois, et parce qu’il est aux abois, perpétuant et accentuant ses erreurs et ses effets catastrophiques (perpétuant et accentuant le cycle surpuissance-autodestruction). Dans ce cadre-là, le rapprochement analogique historique “Evita-Mossadegh” (voir le 21 avril 2012), ou Argentine-Iran des années 1940-1950, avec son effet miroir aujourd’hui, à propos de la décision de Fernandes, est tout à fait justifié et s’inscrit dans la bataille des formations antiSystème contre le Système.
L’Argentine ne doit pas en rester là. L’analyse qu’on fait, à l’UE, de sa décision, est que l’Argentine a rompu avec le pétrolier espagnol Repsol en nationalisant YPF, également parce qu’elle jugeait cette société de puissance insuffisante pour l’exploitation des ressources énergétiques argentines. L’Argentine cherche actuellement un autre partenaire, ou négocie déjà avec lui, selon bien sûr des conditions où le gouvernement argentin conserverait souverainement le contrôle de ses ressources nationales. Bien entendu, c’est la nationalité de ce partenaire, autant que sa puissance, qu’il sera intéressant de découvrir. Il est assez douteux qu’il vienne d’un pays du bloc BAO, si l’on considère les conditions politiques et dogmatiques actuelles, et des pays comme la Chine ou la Russie (ou, avec un peu d’humour historique, l’Iran) sont plus volontiers envisagés. Quoi qu’il en soit, cette évolution sera nécessairement perçue comme absolument antiSystème… De ce point de vue, la vérité des situations règne.
Mis en ligne le 4 mai 2012 à 06H12
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