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1178Dans un article de son blog Le Contrarian, intitulé «L'Europe dans le coma économique. La BCE tente la réanimation!» Charles Sannat, conseiller économique et financier, écrit que le monde ne sortira pas de la contradiction où l'enferment dorénavant ceux (notamment les banquiers centraux) qui veulent créer de la croissance en créant des liquidités, et ceux qui veulent imposer des politiques économiques d'austérité à un moment où les économies pour ne pas se contracter auraient besoin de plus de dépenses publiques...que les Etats sur-endettés ne peuvent plus financer. .
Il conclut son article (édition du 5 septembre 2014) par ces considérations qui méritent pensons-nous la plus grande attention:
« En réalité, il n'y a plus d'espoir. La raison est assez simple. Cette crise c'est une crise de système, une crise de mutation et il faudra que le système ancien s'effondre pour qu'un nouveau puisse prendre sa place. Le concept d'atterrissage en douceur lorsqu'il n'y a plus de commandes de vol, que les moteurs sont en feu et que l'on traverse une zone de turbulences est illusoire.
»Il faudra changer totalement de cadre économique, modifier radicalement la mondialisation, refaire la gouvernance européenne, refondre les traités, redonner de la souveraineté. Bref, pour réussir il faudrait tout simplement, ensemble, avec tous les pays du monde, imaginer une démondialisation commune, un nouveau système monétaire international consensuel, il faudrait s'interroger sur le sens des délocalisations, ou de la robotisation, savoir comment dans un monde sans travail nous allons pouvoir durablement avoir de la croissance sans consommateurs solvables puisque la répartition de la richesse passe par le travail. Il faudrait pouvoir définir et partager une vision commune, une vision novatrice.
»Par essence et par nature, ceci est parfaitement impossible puisque les désaccords, les intérêts divergents et les guerres de pouvoirs empêchent toute solution globale.
»Nous allons donc mourir, soit par l'hyperinflation liée à une création monétaire excessive, soit par une déflation liée à la récession en raison de l'austérité, soit un peu par les deux puisque à force de faire n'importe quoi, nous constatons un phénomène inédit dans l'économie à savoir la coexistence de deux éléments parfaitement contradictoires à savoir l'inflation et la déflation.
»Nous avons réussi à mélanger l'eau à l'huile et ce n'est pas une bonne nouvelle.
»Mario Draghi fera tout ce qu'il pourra. Il gagnera encore du temps. Mais croyez-moi, au bout du compte, quoi qu'il fasse, ce ne sera jamais assez pour que tout redevienne comme avant.
»Nous sommes en train de voir finir le monde ancien.
»Préparez-vous et restez à l'écoute. »
***
Cet article, dont nous partageons très largement les prémisses comme les conclusions, appelle cependant de notre part quelques observations:
Beaucoup d'observateurs diagnostiquent aujourd'hui une crise, voire un effondrement du système. Mais de quel système s'agit-il?
• S'agit-il de ce que beaucoup désignent comme le système de l'américanisme. Lui-même serait le produit monstrueux d'un effort de domination du monde mené depuis la fin de la 2e guerre mondiale par les intérêts économiques et financiers des Etats-Unis, intérêts soutenus par le déploiement, à l'échelle d'une grande partie de la planète et aujourd'hui de l'espace, d'une puissance militaire et technologique encore sans égal?
• S'agit-il plus globalement du système du capitalisme industriel, lui-même relayé par le capitalisme financier, qui impose à tous les citoyens du monde un mode de vie privilégiant la consommation matérielle, poussée par une publicité incessante et décérébrante? Un tel système inspire évidemment une partie du système de l'américanisme, mais on le retrouve aussi, au moins en germes, dans des pays asiatiques s'efforçant de rattraper à grand pas le mode de vie et les solutions politico-économiques américaines.
• S'agit-il plus globalement encore d'un évolution récente de l'espèce humaine (l'anthropotechnique) incapable de maîtriser sa croissance démographique, incapable de s'interdire la destruction du monde naturel et l'épuisement des ressources terrestres, incapable d'empêcher des catastrophes d'une ampleur analogues à celles ayant généré dans les ères précédentes ce que les scientifiques nomment les grandes extinctions?
En fait, le système que Charles Sannat voudrait combattre à l'échelle du monde par des réforme en profondeur qu'il analyse rapidement, mêle inextricablement les caractéristiques des trois systèmes que nous venons d'évoquer, d'une façon d'autant plus intriquée que l'observation s'élève du court terme au long terme. Mais comme il annonce lui-même que ces réformes ne se produiront pas parce que la coalition des intérêts immédiats empêche toute évolution volontariste vers une meilleure gestion de ce que l'on nomme désormais l'anthropocène, il ne laisse guère d'espoir. Son discours qui pourrait être celui d'un philosophe politique réaliste étonne d'autant plus qu'il provient d'un conseiller financier. Il n'en a que plus de mérite – à moins diront les mauvaise langues, qu'il vise sans le dire à provoquer des mouvements de peur dont profiteront les spéculateurs, hausse de l'or ou autres valeurs-refuges par exemple.
Nous pensons nous-aussi que les civilisations humaines vont poursuive inexorablement leur course à l'autodestruction, au moins sous leurs formes actuelles. Les révolutions scientifiques et technologiques attendues par les prophètes de la Singularité ne se produiront pas ou auront des effets contraires à ceux recherchés par leurs promoteurs. Néanmoins quelque chose, plusieurs choses, surviendront nécessairement. En général, les prévisionnistes pensent qu'il s'agira de révoltes, y compris et d'abord dans les pays dits riches, provenant de foules exaspérées par les inégalités et la chute brutale de leur niveau de vie. Ces révoltes seront évidemment réprimées dans le sang. C'est ce à quoi ont reçu l'ordre de se préparer, aux Etats-Unis, nous l'avions indiqué précédemment, la garde nationale et l'armée. Mais ce pourront être parallèlement de nouveaux virus mutés, du type Ebola, faisant en quelques semaines des centaines de milliers de morts, non seulement dans des villes africaines déjà surpeuplées, telle Nairobi, où la majorité de la population cohabite avec des animaux d'élevage sur des monceaux d'ordures, mais dans les mégacités asiatiques et européennes.
Puisque cet article a évoqué le concept de système, nous pourrions dire ici qu'en termes systémiques, nous sommes en présence d'une situation « chaotique ». Le chaos peut être défini comme une situation où coexistent une multitude d'acteurs grands ou petits, se faisant la guerre mais capables aussi de coopérer. Nulle autorité supérieure ne dispose à elle seul du pouvoir de générer ou réfréner le chaos. Il évolue d'une façon qui ne peut être ni décrite globalement, ni prévue. On a dit que le chaos pouvait être créateur. Il est certain que les évènements qui en surgissent ont nécessairement des conséquences, par définition inattendues. Mais rien ne garantit que les humains, entraînés par les forces s'activant au sein du chaos actuel, s'en féliciteront ou pas, s'il leur reste assez de clairvoyance pour comparer ce dont quoi ils viennent et ce vers quoi ils vont.
Jean-Paul Baquiast
Après consultations avec l’auteur, et puisqu’il est question dans son article d’une classification de la notion de “Système”, nous apportons ici quelques précisions pour notre compte. Ces précisions concernent plus précisément le premier point concernant cette classification, où il est question du “système de l’américanisme”, qui est une notion retrouvée souvent et depuis longtemps dans dedefensa.org. (Les mots ci-dessous “éclairés” donnent le lien vers l’article du Glossaire.dde les concernant.)
Pour nous, le système de l'américanisme est un outil conjoncturel, le plus puissant certes actuellement, et celui qui a de fortes chances, disons même le plus de chances de déclencher par son propre effondrement l'acte final de l’effondrement du Système, mais qui en aucun cas ne peut ramener à lui-même ce que nous nommons d'une manière générique “le Système”. Avant le système de l'américanisme, il y a eu ce qu’on pourrait nommer “système pangermaniste”, et avant encore les conditions de transmutation (ce que nous nommons “le déchaînement de la Matière”) permettant la constitution de ce qui allait devenir “le Système”, où la Révolution française et la révolution du choix de la thermodynamique ont autant d'importance au moins que la révolution américaniste. (Voir la rubrique La Grâce de l’Histoire.) Au reste, depuis 2008 (crise de Wall Street) et la constitution de ce que nous nommons “bloc BAO”, l'Amérique n'a plus l'exclusivité de la chose, même si elle reste l'exécutant le plus puissant et le plus zélé du Système. L'UE en tant que telle est devenue un autre acteur essentiel et à part entière, exécutant du Système également, avec ses propres spécificités, et dont nous ne faisons certainement pas un simple supplétif du système de l'américanisme.
Reste certes la Cause Première, l'essence même (ou l'essence invertie, non-essence destructrice de l'essence du monde) de ce qui a engendré le Système. Pour nous, c'est la part métaphysique de la question, la plus importante certes, – mais disons que c'est “une autre histoire” par rapport au propos de l’article, dont on peut bien entendu avoir quelques échos dans le Glossaire.dde notamment et dans des textes hors de cette rubrique (voir Notes sur la proximité du Mal (dde.crisis), le 4 janvier 2013 et le Glossaire.dde sur Le Mal (I)), et également dans La Grâce de l’Histoire en général, bien sûr (références dans la rubrique Les conversations de dedefensa.org ou encore ici).
Philippe Grasset
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