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1281Dans cette période de grande agitation diplomatique, diverses rencontres ont lieu entre bureaucraties concernées, souvent à un niveau élevé de l’analyse stratégique et de la planification. Ainsi en est-il, bien entendu, entre les pays membres de l’UE, et c’est d’un tel cadre que nous relayons les informations et les impressions que nous allons détailler, à partir de sources qui suivent régulièrement ces échanges.
… “Grande agitation diplomatique”, parce que les choses du monde le veulent ainsi, qu’un nouveau président français arrive après le retour de Poutine et avant les présidentielles US, parce que la situation en Syrie est crisique et critique, que la crise de l’Iran est à un tournant de négociation et ainsi de suite. Le point plus précis que nous voulons aborder est celui de la “politique européenne” dans la crise iranienne, politique suivie par l’UE, mais sous l’inspiration des principaux États membres, donc politique de ces États membres essentiellement. Cette politique est extrêmement radicale, complètement verrouillée, parfois même et même souvent, plus que celle des USA, qui nous ont pourtant habitués au pire en la matière. La question étrange que soulève cette politique est de savoir si elle correspond à une rationalité analytique, à une logique stratégique, à une volonté politique, – y compris d’influences manipulatrices, “complotistes”, etc. La réponse est évidemment négative, également pour ce qui est de la manipulation, du “complot”, etc., qui constituent des explications complètement aléatoires, sollicitées et sans le moindre fondement.
«Ce qu’il y a de plus étonnant, explique une de ces sources, c’est de découvrir, au cours d’échanges complètement informels, hors même du cadre des réunions de travail, c'est-à-dire hors de la supervision interne du cadre professionnel, que des hauts fonctionnaires importants, qu’on a entendus exposer la nécessité de cette politique radicale, finissent par admettre qu’il s’agit d’une politique sans issue, dont ils ne distinguent pas la logique et le dessein.». Il existe certes une certaine complication dans la mesure où tous ces centres de pouvoir, – les États membres, les services européens, etc., – doivent arriver à une certaine homogénéité parce qu’il s’agit, au bout du compte, de répondre «à la loi de fer d’une politique commune occidentale». Le plus étonnant est que ce “compromis” se fait dans le sens le plus extrémiste, sans qu’il soit possible, ni même acceptable d’y voir l’action de forces humaines d’influence, de manigances internes, etc. Ce “tout extrémiste” est d’ailleurs défendu paradoxalement par des arguments de modération complètement sophistiques, appuyées sur des considérations psychologiques extraordinairement erronées, et selon des arguments stratégiques paradoxaux ; c’est le cas lorsqu’il est dit que “plus nous sommes durs dans les sanctions, dans les pressions, dans les ingérences vis-à-vis de l’Iran, plus nous poussons les Iraniens à accepter des compromis, plus nous ôtons aux Israéliens des arguments pour attaquer”. Le plus souvent, dans les deux cas, c’est l’effet inverse qui est obtenu, sanctions, pressions et ingérences poussant l’Iran à la radicalisation et cette radicalisation donnant à Israël un argument supplémentaire en faveur de l’attaque.
On peut même voir et entendre des interlocuteurs de pays différents s’étonner du radicalisme de l’autre, et en chercher la source dans des situations bureaucratiques ou autres, sans pour autant réaliser qu’on pourrait dire la même chose d’eux-mêmes. C’est ainsi que les Français s’étonnent de la position très dure des Allemands ; puis ils constatent qu’«il y a un certain désir des Allemands de modérer leur position, mais ils ne le peuvent pas à cause de leur bureaucratie qui a verrouillé une approche extrémiste». Certains Allemands, de leur côté, estiment que la politique extrémiste est improductive et reprochent à certains pays, – la France, pour ne pas la nommer, – d’entraîner et d’obliger les autres à cet extrémisme, à cause de leur propre activisme. Il y a aussi le discours démocratique standard (“imposer la démocratie”, éventuellement par les pressions sinon par la force), qui s’étend à d’autres crises où sont impliqués des pays musulmans, à la Syrie, à d’autres, qui sont doublés de confidences informelles sur l’inefficacité avérée et le danger sans cesse renouvelé d’une telle politique.
Ces divers constats et contradictions, venus du plus haut niveau, nous font penser à nos hypothèses constantes sur la présence de pressions du Système, venues du Système comme s’il s’agissait d’un acteur humain et organisationnel, disposant d’une influence puissante et irrésistible. (Ainsi le “compromis” évoqué plus haut qui aboutit d’une façon surprenante à une politique absolument extrémiste alors qu’un compromis est le contraire de cela, s’expliquerait parce qu’il s’agit d’un “compromis” avec le Système, et qu’en la matière il s’agit d’un faux “compromis” parce que le Système l’emporte toujours et que sa politique nihiliste est nécessairement extrémiste.) Les divers fonctionnaires, planificateurs, etc., de hauts niveaux, parlant de ces questions, semblent être et agir comme s’ils se trouvaient dans l’emprisonnement de cette influence, sans en mesurer la réalité mais en constatant plutôt la contradiction entre ce que cette influence leur fait développer en fait de politique, et ce qu’ils jugent eux-mêmes de cette politique. Aux niveaux plus bas, disons intermédiaires, s’établit un complet cloisonnement, qui empêche même le regard critique et paradoxal qu’on évoque, pour l’absence complète d’un regard intégrant l’ensemble de la politique. Ces services travaillent donc sur leur zone parcellaire, sans s’occuper du reste ni de l’effet de leur travail, tout en entretenant une opinion générale marquée de maximalisme, dans ce cas par pur conformisme bureaucratique au Système, mais qui a tout de même un effet de radicalisation constante de la portion de travail dont ils sont chargés.
La situation telle qu’elle est décrite est à son intensité maximale dans les étranges caractères qu’on décrit, en même temps qu’elle se trouve aujourd'hui proche d’une possibilité de révision, éventuellement de bouleversement. La situation française est un facteur capital à cet égard, et cela pour deux raisons.
• D’une part, l’action de pression constante de Sarkozy, y compris et surtout en dehors des canaux du Quai d’Orsay, a été prépondérante pour fournir une aide décisive à la dynamique-Système qu’on décrit. Sarkozy a vraiment servi de verrou à cet égard, arcbouté sur son affirmation du premier jour (dès août 2007, après sa rencontre avec Bush) que son maximalisme dans les pressions et les négociations était “le seul moyen d’empêcher une attaque catastrophique d’Israël”. Il y a là un trait de caractère d’une volonté arrêtée, acharnée et très efficace, appuyé sur une analyse évidemment sommaire d’une pensée qui l’est également, – cette explication, infiniment plus prépondérante que toutes les hypothèses d’influence diverses qui lui ont été prêtées. Il y a (il y avait) chez Sarkozy une impuissance intellectuelle entière à comprendre les principes d’une grande politique d’équilibre (particulièrement nécessaire pour une “grande politique de crise”), de celle qu’affectionne et que devrait nécessairement rechercher la France, au profit pour Sarkozy de l’exécution aveugle d’une politique d’affirmation qui est nécessairement l’affirmation d’une puissance de pression ou d’intrusion. (Cela revient à en faire un exécutant de l’“idéal de puissance” au lieu d’être un interprète de l’“idéal de perfection” [ces deux expressions renvoyant à Guglielmo Ferrero].)
• D’autre part, l’arrivée de la présidence Hollande implique évidemment une révision, ou, à tout le moins, un regard extérieur sur la politique en cours. Des langues vont se délier, notamment de la part de hauts fonctionnaires français dont les voix et l’influence ont été étouffées sous la présidence Sarkozy. Les indications très claires des premiers échanges et consultations depuis l’arrivée de Hollande est que «les choses vont bouger» du côté de la politique française (voir le voyage de Rocard en Iran) et que cela ne pourra être, par la logique des situations qui fait qu’on ne peut faire plus extrémiste politique qu’on ne fait actuellement, que dans la voie d’une certaine modération.
Ce qu’il faut admettre comme hypothèse fondamentale est que cet ensemble ne répond plus à une influence hégémonique de l’américanisme, même si ce facteur a encore un rôle mais plutôt devenu mineur. Il faut admettre l’hypothèse fondamentale d’une formidable influence dont la source centrale est une entité qui est le Système (dont les USA sont bien entendu, eux aussi et plus que les autres, les comptables et les serviteurs). Cette entité engendrant une dynamique de surpuissance transformée en autodestruction, entraîne une politique effectivement surpuissante mais absolument nihiliste, et qui se détruit elle-même par conséquent.
Mis en ligne le 14 mai 2012 à 06H46
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