Le tango d’Obama avec son moment de vérité

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Dans la tempête générale, Obama est toujours une sorte, disons, d’“objet politique non identifié”, dans le sens où l’on ignore toujours quelle est, quelle sera son orientation véritable. Il a déjà connu plusieurs changements d’orientation et a été beaucoup secoué et pas mal critiqué lors des affaires des bonus d’AIG et du plan de sauvetage de Wall Street, sorte de resucée du “plan Paulson”, qu’ont préparé deux des chefs de son équipe économique, Summers et Geithner.

Ce dernier point, surtout, est perçu par certains comme un tournant pour Obama, quoi qu’il reste à déterminer dans quel sens va ce tournant. Paul Jorion présente, sur son site, ce 27 mars 2009, un texte qui annonce sa participation à une émission de BFM TV de Thomas Misrachi, aujourd’hui 28 mars. Le thème est pour Jorion de rendre compte de la conférence de presse d’Obama du 25 mars. Il en rend compte d’une façon intéressante, en délaissant le fond dont il estime qu’il n’a guère d’intérêt par son caractère stéréotypé, pour s’attacher au comportement, aux attitudes de l’homme, et tenter de rendre compte de son état psychologique et, au-delà, de sa situation politique.

«D’abord, son allocution d’entrée, précédant le moment des questions et réponses, Obama s’est contenté de la lire sur un prompteur, et c’est davantage un texte aseptisé, genre communiqué de presse lu par un porte-parole officiel, que la déclaration d’un Président au pouvoir depuis soixante jours seulement. Ensuite, et tout le monde l’a remarqué, la presse susceptible de lui poser des questions délicates, New York Times, Washington Post, Wall Street Journal, a été ignorée, au point que la journaliste d’une publication mineure à qui il donne la parole, n’y croit pas vraiment – à moins qu’il ne l’ai carrément réveillée en sursaut – et il est obligé de lui dire “Eh oui! C’est à vous que je parle!”

»Ceci dit, encore heureux qu’il n’ait pas eu à répondre à des questions sur la finance : une petite question relative à AIG, sur le temps qu’il lui a fallu pour réagir à l’affaire des bonus, provoque de sa part une réponse en quatre mots qui est davantage l’aboiement d’un chien enragé qu’une véritable réponse.

»Ce qu’on a vu là, à l’occasion de cette deuxième conférence de presse, c’est un Président qui aurait de loin préféré passer la matinée au bord de l’eau, à contempler la mer ou un torrent de montagne, plutôt que d’être en face d’un micro. Déjà las et exaspéré. Un seul diagnostic possible: il ne savait pas qu’il avait été acheté par Wall Street et la nouvelle lui vient comme une très mauvaise surprise. Plutôt naïf donc que retors : les bons sentiments qu’il exprime dans ses livres doivent être les siens. Un avocat brillant sans aucun doute mais qui n’avait pas compris l’Amérique: aïe! Il est en train de la comprendre et ce qu’il découvre, il ne l’aime pas du tout. En particulier Mrs. Geithner et Summers lui revendant le Plan Paulson comme la seule issue possible.

»Ce qu’il a dit est sans intérêt, ce qui est logique puisqu’il s’est refusé à parler de quoi que ce soit d’important. Donc pour ce qui est du fond : zéro. Pour ce qui est de la forme : épuisé mais en colère, donc pas encore désespéré.»

Obama découvre-t-il qu’il est prisonnier de Wall Street, ou “acheté” par Wall Street, à l’occasion du “plan Geithner”? C’est une possibilité sérieuse. Dans tous les cas, cette atmosphère, cette évolution un peu chaotique du Président, dans une séquence qui marie des épisodes radicaux, parfois en sens contraires, tout semble effectivement présenter une situation d’extrême instabilité où le président peut parfois se trouver dans les situations délicates. Les hypothèses qui viennent à l’esprit dans ce cas rappellent, par exemple, la situation très tendue de John Kennedy durant la crise des missiles de Cuba (octobre 1962), particulièrement dans ses relations avec les généraux du Pentagone. Remplacez le Pentagone par Wall Street. Obama se trouve dans une sorte de crise des missiles de Cuba prolongée, sans qu’on en distingue la fin, avec pas d’ennemi identifié avec qui traiter, avec des groupes d’intérêt féroces qui le surveillent et ne lui passeront pas la moindre incartade.

(Des documents rendant compte des délibérations des chefs d’état-major au sein du Joint Chiefs of Staff durant la période de la crise des missiles de Cuba ont montré l’extraordinaire agressivité et le mépris complet avec lesquels était traité le président des Etats-Unis. Il s’agissait, – le JCS, – d’un groupe puissant, se considérant comme complètement autonome et propriétaire de sa propre puissance. Le président était perçu comme une personnalité accessoire, ne disposant lui-même d’aucune force propre, à qui était tout juste dévolu un rôle de coordinateur, et dont l’autorité fondamentale n’était pas acceptée et était même ridiculisée.)

Les conditions objectives de la situation montrent effectivement qu’il existe un énorme enjeu entre Obama et Wall Street, qui peut aussi bien déboucher sur une sorte d’“allégeance” acceptée par le président, ou une “révolte” du même contre Wall Street. Ce sont les conditions de la crise qui rendent acceptable l'hypothèse de cette alternative de deux termes extrêmes, la tension de la situation écartant les situations modérées où se côtoient sans trop se heurter l’influence massive de Wall Street et la latitude laissée à l’autorité du président de s’exprimer. Tant que la crise dure, cette tension existe et cette alternative est fondée; d’autre part, pour réduire la crise et dissiper la tension, en un sens, on serait en droit de penser que, justement, l’alternative devra être tranchée et le président devra choisir sa position. Obama reste toujours confronté à cette question de l’hypothèse de l’“American Gorbatchev”, mais dans la position très difficile de se trouver emprisonné dans un maillage d’influences et de forces diverses qui rendent difficile une action décisive et efficace, et qui rendent également difficile le choix de l’orientation d’une action (dans quel sens s’affirmer? Contre qui? A quel moment viendra le moment de vérité? Etc.).

En attendant, et puisqu’il s’agit de faire bonne figure de part et d’autre, Obama reçoit les patrons de Wall Street à Wall Street (hier, 27 mars 2009). Tout le monde se dit ravi de la rencontre, dans le meilleur des mondes possible.


Mis en ligne le 28 mars 2009 à 08H55