Le tango McCain-JSF ira loin

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Selon la fameuse déclaration fondatrice, “il faut être deux pour danser le tango”. John McCain a trouvé son partenaire : il se nomme JSF, F-35 pour les amis. La hargne du lunatique sénateur de l’Arkansas se porte désormais, à boulets rouges, sur le programme JSF. Il faut dire que le programme JSF, qui s’avère bon danseur, lui donne du grain à moudre.

• La dernière du JSF, comme ça, c’est, surprise surprise, une augmentation de coût imprévu sur la première tranche des 28 avions de série. Le coût prévu étant ce qu’il était, il fallait lire $1,5 milliard de dépassement de coût et non $770 millions de dépassement de coût. Stephen Trimble, sur un ton très british, vous explique ça sobrement sur le site Flight Global (Flight International), le 15 juillet 2011… «The F-35 programme office has confirmed the estimated cost overrun for the first 28 production jets is roughly $1.15 billion, and not $771 million as previously reported. The higher figure includes the roughly one-third share of the overrun absorbed by Lockheed Martin and Pratt & Whitney. The US government has to pay the remaining $771 million in extra costs under the terms of the first three lots of low-rate initial production (LRIP).»

• John McCain était déjà au courant, depuis le 13 juillet 2011. Et il exultait de fureur (oxymore), McCain, sur son poste Twitter, adressé à tous ses fidèles électeurs et constituants. Emportement sauvage de McCain, en quelques mots, puis communiqué salé, tel que The Hill nous restitue ces choses, le 14 juillet 2011

«McCain, long a critic of the Lockheed Martin-led program, and one of the Senate's most outspoken and blunt members let his feelings about the new cost spikes be known in the same tweet. “Outrageous! Pentagon asking for $264M down payment now. Disgraceful,” he tweeted. […]

» “I intend to strongly oppose future ‘reprogramming requests’ unless they can be fully justified to the American taxpayer," McCain said later Thursday in a statement. “Any new requests for additional funding by the Department of Defense should be submitted to the Congress for formal review, debate, amendment, and approval by the appropriate defense committees and the full body of both Houses of Congress," McCain said. "This should be done as a request for emergency funding or be funded through supplemental appropriations legislation by Congress and offset against commensurate, identified cuts in spending.”»

• Mais ce n’est pas tout… On apprend en effet, par l’intermédiaire de Eric Palmer, sur son site ELP DefenseNews, le 15 juillet 2011, que McCain a mobilisé séance tenante son complice et vis-à-vis de la commission sénatoriale des forces armées, Carl Levin (McCain en est le vice-président pour les républicains, Levin le président démocrate) pour rédiger et signer une lettre colmmune adressée au secrétaire à la défense, le tout nouveau Leon Panetta. Palmer nous restitue un extrait de cette lettre, dont le contenu a été obtenu par des voies non avouables par Inside Defense (accès payant, donc nous n’insistons pas et nous contentons de l’extrait-Palmer). Dans cette lettre, le couple Levin-McCain, eux aussi danseurs de tango, demande des explications à Panetta sur la facture en question, et, en passant, pose rien moins que la question de savoir combien il en coûterait au peuple des Etats-Unis d’abandonner le JSF…

«According to Inside Defense (subscription), the usual suspects over at the Senate Armed Services Committee (Sens. Carl Levin (D-MI) and John McCain (R-AZ)) have sent a formal letter to the new Secretary of Defense Panetta requesting an estimate of what it would take to cancel the F-35 program.

»A quote from the letter obtained by Inside Defense states: “The Committee is concerned about three quarters of a billion dollars in increases in these three contracts since last year,” […] “That raises many questions that must be answered before a decision is made on this reprogramming, including . . . what would be our legal obligations and our costs if we were to terminate the F-35 program now.”»

John McCain est un étrange “objet parlementaire parfaitement identifié”. Nous l’avons catalogué, récemment (le 23 mai 2011), dans la riche et paradoxale rubrique des “systèmes antiSystème”, où l’inadvertance est reine. McCain est le premier à avoir soulevé l’“option nucléaire” (l’abandon du JSF), qu’il évoque à nouveau ici, en forçant la main à son compère Levin pour signer la lettre à Panetta. Nous écrivions à son propos, dans ce texte référencé, dans le cadre de sa nouvelle croisade anti-JSF qui fait de lui cet “antiSystème par inadvertance” :

«C’est une situation étrange, dont personne ne prend la mesure. Il y a chez McCain un mélange de vanité, d’irresponsabilité, de démagogie, d'énergie provocatrice, un désir de se distinguer et d’effectivement affirmer une réputation d’originalité, qui conduisent cet homme à embrasser des causes qui lui paraissent originales et avantageuses, et qui s’avèrent en réalité explosives. McCain est, potentiellement, un formidable déstabilisateur du programme JSF, avec des effets déstructurants au Pentagone et dans tout le Système, sans l’avoir précisément voulu, sans même avoir imaginé qu’il pourrait l’être…»

McCain est tout cela, et bien plus encore, alors que le JSF s’avère de plus en plus mystérieux, plus son programme avance. Ce dernier dépassement de coût, suivant d’autres et, sans aucun doute, avant bien d’autres, est un des caractères de ce mystère. Plus le JSF est “repris en main” (depuis 2009) par le Pentagone, avec des armées de surveillants, de comptables, de watchdogs, avec des pressions constantes et constamment en augmentation sur Lockheed Martin, qui ne demande qu’à jouer le jeu, – plus le JSF continue à échapper à tout contrôle. Cela vaut pour les coûts, effectivement, mais cela vaut aussi pour la technologie et l’intégration des systèmes, qui continuent à poser des problèmes. (Notamment la mise en place de l’énorme “habillage électronique”, ou electronic suite, du système. La chose se compte en millions de lignes de code-source, et l’on en serait, selon les “sources”, entre 5% et 15% du travail pour arriver à un ensemble acceptable pour un JSF vraiment opérationnel.)

L’étrange (un de plus) cas du F-22 constitue un précédent effrayant pour qui attend la lumière du temps qui passe. Bien loin de débroussailler les problèmes à cet égard pour le JSF, le F-22 signale que ces problèmes ne font que s’aggraver à mesure que le système se rapproche de l’utilisation dans le champ opérationnel, à mesure qu’il s’y déploie, à mesure qu'il s'y installe, ce qui est une complète inversion dans la marche du Progrès. Le JSF est, encore plus que le F-22, un artefact correspondant complètement au niveau “climat” philosophico-technologique du Pentagone, où l’approche des problèmes se fait (depuis les années 1990) selon un mode complètement déstructuré, tant du point de vue de la gestion, de la bureaucratie, de l’évaluation opérationnelle, et, enfin, de l’intégration des systèmes (notamment électronique). Alors que toutes ces questions demandent un centralisme de fer pour être résolue (ce que tente d’imposer le Pentagone au programme JSF depuis deux ans), la nature déstructurée, quasiment “deleuzienne” de l’ensemble qui tendrait à devenir anthropomorphique, oppose une résistance farouche et accroît ses objections dans tous les champs considérés, jusqu’à des situations de blocage incompréhensibles. (C’est aussi bien le cas pour le coût du JSF que pour l’interdiction de vol de tous les F-22 depuis deux mois et demi.)

Face à cette énigme qui ne cesse de grandir et d’échapper à toute maîtrise en même temps, McCain apparaît à la fois comme un iconoclaste et un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il est loin d’être inefficace, puisqu’il a entraîné Levin dans la signature d’une lettre qui évoque, bon gré mal gré, l’option de l’abandon du programme. Bien entendu, il s’agit d’un argument rhétorique, d’une pression exercée sur Panetta et sur le Pentagone, et personne n’envisage sérieusement l’abandon du JSF, pas plus qu’on n’envisagerait la mise à pied du Progrès dans l’organisation du Système. Mais McCain est McCain, personnalité imprévisible et incontrôlable, pétroleur en diable, capable effectivement de “chevaucher le tigre”, c’est-à-dire soudain de s’emporter fondamentalement pour une cause qu’il n’avait soulevée que par simple tactique parlementaire. McCain est un de ces personnages capables de jouer comme un beau diable sur l’argument faussaire du “attention, je vais faire sauter ce programme !”, – et, soudain, apercevant l’opportunité, emporté par son tempérament de buffle lunatique et inconscient, s’écrier : “Après tout, pourquoi pas !”

Deux arguments rendent l’hypothèse sympathique…

• Le premier est le désordre général où baignent Washington D.C., le Pentagone, Lockheed Martin, le Congrès, le pouvoir, etc. Cela signifie qu’il est très difficile d’élever des obstacles cohérents (face auxquels il s’inclinerait) contre la fougue irresponsable d’un McCain. La signature de Levin au côté de la sienne, au bas de la lettre, est bien un signe de cette absence de structure “anti-McCain”.

• Le deuxième est que, au plus il avance, au plus le JSF se plonge dans le désordre de son incontrôlabilité alors qu’il devrait au contraire arriver dans des eaux plus maîtrisées de la production en série et du service opérationnel. L’énigme vue de plus haut est là, pressante, insistante, complètement opaque et aussi insaisissable qu’un simulacre. Pendant ce temps, le temps presse, puisque Obama trône sur un Himalaya de dettes qui appelle des contraintes budgétaires, que le Pentagone, lui-même sur un Himalaya de crédits budgétaires à son avantage (bien plus de $1.000 milliards l'an), s’apprête à envisager des réductions qu’il prévoit catastrophiques, comme si les couches supplémentaires de neige (les centaines de $milliards) sur le sommet de son Himalaya ne faisaient qu’ajouter à l’énigme qu’il est, lui aussi, pour lui-même. Tout cela fait désordre et appelle des décisions, des prises de position rapides. C’est là où McCain l’irresponsable frétille…


Mis en ligne le 16 juillet 2011 à 09H51