Le terrorisme aux échecs

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L’échec de l’attaque terroriste contre le vol Northwest/Delta 253 prouve, d’une façon convaincante, que, dans la situation actuelle du système, le terrorisme est particulièrement efficace quand il ne fonctionne pas jusqu’à son terme après avoir été conduit efficacement presque à son terme.

Nous ne sommes pas adeptes des nombreuses enquêtes, considérations, éditoriaux larmoyants qui accompagnent cet “acte manqué”. Mais nous trouvons particulièrement intéressant que le cas atteigne le blog d’Aviation Week lui-même, en la personne de notre ami Bill Sweetman. (Bill Sweetman qui, décidément, trouve désormais plus passionnant l’évaluation des capacités du gouvernement Obama contre le terrorisme que celles du JSF. Etrange? On verra.)

Ainssi Sweetman écrit-il, le 28 décembre 2008 :

«Back in 1998 I interviewed Harry Stonecipher when he was president of Boeing (and Phil Condit was CEO) just after the company's manufacturing system had fallen apart. I asked him whether he was going to change the leadership of the Commercial Airplanes unit. “Firing people isn't the answer,” he said.

»Three weeks later, he fired BCA boss Ron Woodard.

»It's easier with Homeland Security Secretary Janet Napolitano. First, she should be placed under oath and directed to explain why terrorists will not now detonate their weapons 61 minutes before arrival. And then reconsider her job.

»Since the terrorist attempt Friday on Northwest/Delta flight 253, Napolitano has repeatedly said "the system worked." But it didn't. A terrorist was able to get a bomb aboard the airplane. It is no thanks to Napolitano that the passengers on 253 are alive, not in fragments in a warehouse somewhere, being identified by technicians. The system failed, but fortunately the bomb did too.»

Puis Sweetman conclut: «The absence of any kind of critical thinking along those lines is why Napolitano maybe should be fired. But that would reflect badly on her boss, and what we've seen in the last year is that, ultimately, that's what matters in Washington.»

Là-dessus, il s’attire aussitôt une sévère réplique d’un de ses lecteurs manifestement partisan du Prix Nobel de la Paix 2009, le président Obama, dans la rubrique des commentaires… «Now, Sweetman, you really ought to try harder not to show your wing-nut, far-Right, fascist stripes so readily, when part of your job depends on keeping up at least the appearance of objectivity. Why in the world should Napolitano have to be the fall-girl for a systemic problem, when the system that failed was not put in place by her, but by her predecessors in the Bush administration? What this attempted bombing shows is that Bush & Co. never made us safer; they only fabricated the appearance of having done so.»

Pourtant, dans le cours du texte, Sweetman glisse une remarque intéressante, dont il ne tire pas toutes les conséquences qu’elles mériteraient. «…The system failed, but fortunately the bomb did too. Unfortunately for the rest of us. For a tiny cost, terrorists apparently have panicked officials into inflicting more damage on the global air transportation system, by imposing humiliation and discomfort on passengers, while not making the terrorists' job any harder.» C’est effectivement là que nous voulions en venir, en élargissant notre cadre de réflexion bien au-delà du seul domaine du transport aérien.

Notre commentaire

@PAYANT Si l’attentat avait réussi, que se serait-il passé? L’émotion serait à son comble dans tout le monde civilisé, dans une sorte de remake de 9/11, avec Kouchner et Bernard-Henri Lévy signant un article commun dans Le Monde, sous le titre de «We are all Barack Obama». Car notre civilisation hautement sophistiquée est prompte aux larmoiements lorsqu’il s’agit de nous-mêmes, et au resserrement des liens immémoriaux de nous-mêmes avec nous-mêmes. Nous acceptons avec le cœur assez léger qu’on massacre des Irakiens, des Palestiniens, des Afghans et quelques autres peuplades du même acabit, par erreur ou par information approximative (par exemple, confondre une cérémonie de mariage avec le déplacement d’un groupe d’al Qaïda, aisément reconnaissable à sa robe de mariée). Par contre un avion civil qui explose à la suite d’un attentat soulève en nous le frisson de la barbarie qui est à nos portes et proclame la mobilisation générale de la guerre sans fin. Cette vague d’horreur et d’anathèmes civilisateurs, d’émotions universelles, aurait largement brouillé le problème de l’efficacité du système. Au contraire, l’affaire du vol 253 sain et sauf, avec bombe prouvée, terroriste arrêté, etc., et tout cela passé au contrôle sans bavures malgré de multiples avertissements, expose d’une façon presque indécente l’incurie complète du système.

(Comment peut-il en être autrement, d’ailleurs, avec la fréquence des vols, les encombrements des aéroports, la pression des déplacements de vacances, bref le système qui tourne à plein régime? Avec les antagonismes entre agences et services, les cloisonnements qui nous carapaçonnent, le virtualisme du “groupthinking”, les systèmes de hautes technologies qui saucissonnent les évidences, les systèmes de sécurité qui se font concurrence, les bureaucraties qui s'affrontent, les règlements qui s'empilent, bref le système qui tourne à plein régime? Nous ne nous attarderons même pas à décrire la stupidité sans limite humaine visible consistant à “se battre” contre le terrorisme comme on se bat contre une armée en campagne ou contre un pays belligérant; cela, d’ailleurs, pour en arriver à nous révéler à nous-mêmes, après huit ans de stupidités accumulées, qu’en fait il faut faire du “contre-terrorisme” et du “contre-insurrection” plus avec sa tête et avec un sourire aguichant pour les peuplades concernées qu’avec les armes (méthode Petraeus, Irak revu-Afghanistan), mais à les faire tout de même d’une façon telle qu’on ait besoin d’encore plus de logistique que lorsqu’on menait les guerres conventionnelles contre le terrorisme. Cet imbroglio de stupidités à valeurs ajoutées conduit effectivement à un monde où la surveillance systématique et sans une seule bavure autorisée est la seule réponse possible au terrorisme ainsi convié à agir… Et comme l’absence de bavure d’une telle méthode est impossible, et, qu’avec un tel système c’est une proposition insensée et absurde – nous avons des bavures.)

Mais l’échec de l’attentat, l’absence de victimes, n’empêchent nullement la levée des passions puisqu'il s’agit tout de même de terrorisme, tant le terrorisme est devenu l’Alpha et l’Oméga de la prétention de notre système à servir à quelque chose d’une façon efficace et à détourner l’attention du reste, de tout le reste; et cette levée des passions, justement, pour constater que cette prétention à contenir et à détruire le terrorisme qu’on entretient par ailleurs par nos méthodes est totalement abusive, injustifiée, sans raison d’être. Ainsi l’attaque ratée mais prouvée en tant qu’attaque du vol 253 constitue-t-elle un coup bien plus rude que si l’attaque avait réussi jusqu'au bout. Elle accentue le phénomène qui est désormais parmi nos favoris de “discorde chez l’ennemi” puisqu’elle est d’ores et déjà devenue un objet d’affrontement sévère aux USA, entre républicains et démocrates, éventuellement entre les différentes agences de renseignement, etc. Elle ouvre un nouveau front dans la besace déjà épuisante à porter sous son poids de guerres diverses du Prix Nobel de la Paix 2009, avec le Yemen comme nouvel objectif, puisque la trace d’al Qaïda dans cette affaire nous conduit notamment au Yemen. Il y a déjà les suggestions d’attaquer le Yemen, notamment venue du sénateur Lieberman – et pourquoi pas de l’envahir pendant qu’on y est et alors qu’on n’y est pas encore? Les terroristes devraient étudier cette nouvelle forme de G4G très sophistiquée, revue par la méthode Sun-tzi: les attentats parfaitement montés jusqu’au moment de leur exécution, et non accompli au terme pour nourrir les querelles innombrables à l’intérieur du système sans lui permettre de noyer son incurie sous l’émotion de midinette qui constitue l’essentiel de notre pensée politique.


Mis en ligne le 29 décembre 2009 à 13H34