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124631 janvier 2003 — Le discours de GW a été un détonateur, pour ceux qui n’attendaient que cela, — être allumés au quart de tour. Nous vivons avec des gens d’influence dont le comportement est proche de celui que F. Scott Fitgzerald décrivait, quand il décrivait le New York de 1926, au temps de la Prohibition, loi qui semblait avoir été instituée pour être violée délicieusement, lorsque Fitgzerald dit que les gens à New York « semblait continuellement en état d’ivresse ». (Cette attitude hystérique s’exprime différemment aujourd’hui, mais c’est la même : pour en lire une analyse vivifiante, voyez le texte de Stuart Reid sur “the Anti-Europeans”.)
D’autre part, la situation, depuis ce discours, peut-elle être définie par le titre que nous avons choisi ? Dans les années 1930, le révolutionnaire professionnel Victor Serge publia effectivement Le tournant obscur, ce moment où la révolution bascula (la révolution, celle dans laquelle Serge mettait sa foi), où sa pureté se dissipa pour se fondre dans la main-mise bureaucratique, où l’immonde Staline chassa tout le reste (dont Trostki, dont Serge était idéologiquement proche). Sommes-nous à un de ces moments-clé ?
L’extraordinaire originalité de cette époque est qu’on peut s’interroger, développer l’hypothèse, alors que l’événement se déroule sous nos yeux, à l’instant même. (Il avait fallu 10 ans à Serge pour arriver à cette même réalisation). On peu regarder le monde en marche à l’instant où il s’ébranle, et nous regarder en train de le regarder. Nul ne peut mesurer les conséquences d’un tel phénomène. (Lequel s’exprimera d’une façon très concrète, — étrange coïncidence du calendrier, — lorsque la guerre se déclenchera ou sera sur le point de l’être alors qu’un mouvement anti-guerre d’une ampleur sans précédent et qui prépare son coup depuis longtemps se répandra dans les rues occidentales, le week-end du 15 février. Ainsi l’événement majeur aura-t-il lieu et, dans l’instant qu’il aura lieu, serons-nous, non seulement en train de le juger, mais déjà de commencer à y résister.)
Les acteurs sont d’une extraordinaire médiocrité. Ils n’ont pas de “fond”, aucune substance, ou, s’ils en ont, ils l’écartent sur le conseil impératif du conseiller en communication, — le véritable deus ex machina de la bande, le shakespearien postmoderne. Ce vide, cette facture sans réalité, cette insignifiance des manipulateurs, cela dégage la scène et donne plus de poids aux événements. On devine mieux “les choses derrière les choses” (selon le mot de l’artiste-peintre suicidaire de Quai des Brumes, ce chef d’oeuvre du clair-obscur du désespoir humain). On distingue donc, plus nettement depuis le 28, qu’une tragédie se prépare.
L’autre caractéristique de ce temps historique, c’est, à côté de la tragédie, de la menace sombre qui plane (le possible emploi du nucléaire, par exemple), un irrépressible sentiment de dérision. Ces hommes médiocres qui manient cette puissance formidable sont dérisoires, et cela peut leur jouer des tours. Ils ont le sens de l’image, pas celui de la tragédie. L’image d’Hollywood, qui a remplacé celle d’Épinal en tuant la tradition, est l’antithèse, l’adversaire acharné de la tragédie. Ces nains vont peut être déclencher une tragédie qui pourrait les dépasser, à laquelle ils ne comprendront d’ailleurs strictement rien. Le résultat sera une salade russe.
A la fin de 1983 (il y a presque vingt ans), alors qu’on prévoyait que 1984 serait une “année orwellienne” où un grave conflit était possible, un chanteur avait fait un succès sous le titre : « Ça sent drôlement la guerre ». Aujourd’hui, on pourrait essayer, en sacrifiant le rythme de la phrase : “Ça sent drôlement l’après-guerre”, — car c’est là, déjà, rapidement puisqu’ils la prévoient fraîche et rapide ces pleutres, que se jouera le sort de cette immense tragédie dérisoire. En 1992, William Pfaff avait écrit un article critique avec hauteur des ambitions les plus détestables de son pays, qu’il avait introduit par ce titre, que nous gardons et chérissons tant il exprime bien la situation et notre profonde conviction, — « To Finish in A Burlesque of An Empire »