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3081Nous ne résisterons pas une seule seconde au plaisir intellectuel de nous attacher au dernier article de Dimitri Orlov dans Club Orlov, le 30 juin 2015, sous le titre «The Care and Feeding of a Financial Black Hole» (approximativement «L’activité et l’alimentation du Trou Noir Financier»). Effectivement, Orlov choisit le domaine financier pour caractériser son propre Trou Noir, qui ressemblerait comme un frère à notre Système, notamment dans son équation surpuissance-autodestruction et dans son propre caractère central caractérisé par l’expression orlovienne de “very, very stupid”. (Cela nous ramène à notre phrase-fétiche, notre devise quasiment, de René Guénon : «On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature...»)
Dans cette rubrique, Orlov fait la description de son Trou Noir, qu’il qualifie effectivement de “Financier” mais qui, à notre sens, va beaucoup plus loin. D’une façon attrayante, logique et bien enfermée dans son raisonnement, Orlov détaille précisément comment fonctionne son Trou Noir, et comment nous nous le figurons (“nous” figurant la communauté des chroniqueurs, commentateurs et autres du domaine). Bien entendu, nous voulons tout savoir et tout soumettre à l’empire de notre raison, aussi nous faut-il des explications rationnelles. L’une d’elles est celle de la “marionnette” (type de personne régulièrement et disons même honnêtement corrompue, par conséquent manipulée par une autre, un groupe, etc., pour œuvrer en faveur du dessein de ses manipulateurs). La “marionnette” est un élément-clef des théories complotistes, qui émanent en ce moment autant (sinon plus) du Système que des antiSystème ; mais le complotisme est un peu comme la logique de la thèse athéiste qui prétend démontrer l’indémontrable (la non-existence de Dieu) ; elle évolue de “comment” en “comment” sans jamais atteindre le “pourquoi?” originel, parce que ce “pourquoi?” ( “Pourquoi ce qui est est-il ce qui est ?”, “Pourquoi notre raison est-elle impuissante à expliquer ce qu’elle est impuissante à expliquer, et notamment ‘pourquoi ce qui est est-il ce qui est’ ?”), – ce “pourquoi ?” est par définition incompréhensible, inconnaissable et indicible sans une hypothèse nécessairement extérieure à notre raison et à notre entendement (le “pari pascalien”).
• D’abord, Orlov remonte les marionnettes, marionnette-par-marionnette, sinon fil-par-fil. Il commence par l’exemple classique actuel, l’attitude des Russes vis-à-vis du bloc BAO, qui est de plus en plus de traiter les Européens par le mépris et de ne traiter qu’avec les USA. Les Russes, justement, ne traitent pas le bloc BAO en tant que bloc mais comme une pyramide avec une graduation vers l’autorité suprême. En cela, il leur reste de l’esprit “Guerre froide” et le respect pour la puissance matérielle suprême de l’arsenal nucléaire. Même eux, qui ne manquent pourtant pas de mettre en évidence l’irrationalité, l’irresponsabilité, l’insaisissabilité et par conséquent, au bout du compte, l’absurdité de la politique qui leur est opposée, qui est selon leur logique celle des USA, même eux restent sensibles aux attributs de la puissance, par ailleurs eux-mêmes confrontés au spectacle puant de la lâcheté-arrogance ouest-européenne qui explique leur tendance à les traiter comme ils le font. Les Russes devraient pourtant en savoir à propos de la véritable situation d’en face, eux qui prêchent la raison dans les relations internationale, qu’ils n’ont pas en face d’eux l’irrationalité mais la rationalité-invertie de la raison-subvertie... Quoi qu’il en soit, Orlov remonte de marionnette en marionnette (marionnettes européennes des dirigeants washingtoniens, marionnettes washingtoniens de la finance-Wall Street, marionnettes de la finance-Wall Street de... de quoi au fait ? De la cupidité pour l’argent, disons... Et cette cupidité pour l’argent, marionnette d’un énorme Trou Noir Financier qui siphonne le tout.
«The Russians have that pretty well figured out by now. Yes, maintaining a dialogue and cordial directions with the Europeans is important. But it is well understood that the Europeans are just a bunch of American puppets with no will or decision-making authority of their own, so why not talk to the Americans directly? Alas, the Americans too are puppets. The American officials and politicians are definitely puppets, controlled by corporate lobbyists and shady oligarchs. But here's a shocker: these are also puppets—controlled by the simple imperatives of profitability and wealth preservation, respectively. In fact, it's puppets all the way down. And what's at the bottom is a giant, ever-expanding, financial black hole. (...)
• Suit une longue description du processus ainsi succinctement évoqué. Orlov analyse comment Le Trou Noir qui est la base de tout détruit le crédit, les familles, les infrastructures des villes et hors des villes, les individus pris entre dépression et burn-out, les consommateurs entre l’abrutissement de masse et l’abrutissement en masse, des voyages organisés aux soirées TV, de la violence multiculturaliste à l’hédonisme sociétal, du terrorisme organisé par différents sponsors concurrents au terrorisme de communication, des conflits larvés aux narrative de conflits, de la destruction de l’univers au technologisme hip-hop type Google pour sauver un univers qui n’existe pas, en passant comme la cerise trône sur le gâteau par des pays entiers dont la Grèce est un si brûlant exemple, détruite minutieusement, indiscutablement, exclusivement par le vice et la tromperie cynique de la finance, – etcetera, etcetera... Et qui est au bout de la chaîne, qui tire ces multiples ficelles comme un piano fou désaccordé ou super-accordé animant toutes les touches dans une ronde infernale par les Cinq Mille doigts du Docteur T (voyez le film), dans une symphonie de type Art Contemporain, avec une basse contenu en forme de ricanement sardonique ? Le Trou Noir, on l’a dit, mais au gré de cette analyse, Trou Noir enfin dévoilé, Orlov nous livre un secret qui n’est pas pour nous déplaire, encore moins pour nous surprendre bien entendu : le Trou Noir est “very, very stupid” (“très, très con”, si vous voulez pour faire enlevé). Les exemples abondent, en passant par les principales marionnettes du Trou Noir qui ont hérité de ce caractère, à moins que leur caractère les ait prédisposé à la charge de ces fonctions où il importe vraiment d’être “very, very stupid” (“les maîtres du monde” version-troïka qui se cassent leur dentier actuellement sur la Grèce en sont l’excellent exemple du jour, – voir les remarques de Renzi ce même 2 juillet 2015).
«Who is in charge of all this? you might ask. If all there is is the black hole, the puppets charged with its care and feeding, and its hapless victims, then who is making the decisions? Well, it turns out that the black hole is sentient. But it is also very, very stupid. And the way is enforces its will is by destroying the minds of its puppets—by making them unable to understand certain things. However, stupidity is a double-edged sword, and in enforcing its will in this manner the black hole also thwarts its own purpose.
»For example, some time ago the black hole happened upon a rather large item it wanted to suck in, but couldn't. The item is called Russian Federation. It controls a huge territory that is full of all sorts of natural resources the black hole would love to turn into loan collateral and suck in. The problem is that it is full of Russians, who are a difficult people for the black hole's puppets to deal with. They keep telling the puppets to please keep their toes on the other side of that red line over there, and if they don't then click goes the safety on their guns, precluding further discussion.
»This situation calls for negotiation, but the black hole, which, as I mentioned, is very, very stupid, has just one negotiating tactic. It makes its demands, and then waits for the other side to capitulate. If that doesn't work, it applies pressure: imposes sanctions, attacks the currency, complicates financial transactions, arrests the country's foreign assets and so on—and waits for the other side to capitulate. And if that doesn't work either, then the country gets bombed to rubble by NATO or, if NATO doesn't want to come along, by the US alone. That generally works, but in the case of Russia it doesn't. But the black hole, if you recall, is very, very stupid, so it keeps trying anyway. As it does, the minds of its puppets get really warped, to a point where they don't understand what's going on at all.»
• Vient le plat de résistance, qui est la conclusion d’Orlov, qui concerne le destin du Trou Noir, ou Trou Noir Financier. Orlov présente effectivement une version de l’équation surpuissance-autodestruction particulièrement convaincante dans le chef de la constitution du Trou Noir, constitution qui est la clef de sa dégradation à mesure qu’il avale les infrastructures, les pays, les hommes et le reste de l’univers, car plus il se renforce plus il se dégrade, car il est fait d’une matière qui le conduit inexorablement à cette dégradation... Traduisons l’essentiel de ce passage car il rencontre si parfaitement notre conception du Système, en des termes opérationnels, plaqués sur des situations de fait, animés par des évènements dont nous sommes tous les jours les témoins effarés :
«...Parce que, quand il agit, le trou noir se dégrade. Ce n’est pas un vrai trou noir fait d’une matière incroyablement dense, – si dense que les champs gravitationnels en arrivent même à absorber la lumière. C’est un trou noir-bidon, constitué par la combinaison de l’avarice et de la cupidité de chacun. Il a la consistance dans le cœur de lui-même de l’avarice et de la cupidité, et la peur tout autour de lui, et il se maintient en vie en se nourrissant de cette peur. S’il peut continuer à se nourrir d’individus, de familles, de pays qu’il détruit pour les absorber, il peut continuer à faire survivre l’avarice et la cupidité qui le composent, mais s’il n’y arrive plus, alors avarice et cupidité vont devenir sa propre peur, il se réduira, se ratatinera et en mourra...» (Nous avons traduit greed par deux de ses sens, qui ont l’air de s’équivaloir mais qui en réalité diffèrent en se complétant ; qui se complètent justement comme une allégorie de l’équation surpuissance-autodestruction, et selon la description qu’en fait Orlov : cupidité qui est l’amoncellement offensif de l’argent, par l’acte de la surpuissance, de toutes les façons, sans aucune considération de finalité structurante, sans aucun sens collectif, ni de solidarité ni de fraternité, pour la seule satisfaction d’un vice qui est comme une drogue, une drogue qui serait pire qu'une drogue parce qu'elle emporte le reste et les autres en même temps que soi-même ; avarice qui est le repli défensif sur le résultat de l’amoncellement de la cupidité, qui vous plonge au cœur du vice qui vous a poussé à l’amoncellement, qui vous réduit à ce vice, qui vous ratatine dans ce vice jusqu’à n’être plus que lui-même à en mourir, – et en mourir, certes...)
«This one will be interesting to watch. If the black hole does succeed in sucking in Greece, then which country is next? Will it be Italy, Spain or Portugal? And, as that process continues, at what point will enough people say that enough is enough? Because when they do, the black hole will shrivel up. It's not a real black hole that's made up of incredibly dense matter—so dense that its gravitational field traps even light. It's a fake black hole, made up of everyone's combined greed. It has greed at its core, and fear all around it, and it sustains itself by feeding on fear. If it can continue sucking in people, families and entire countries, it can keep the greed at its core alive, but if it can't, then the greed will also turn to fear, and it will shrivel up and die. And I hope that when it dies all of its brain-damaged puppets will snap out of it, realize how deluded they have been, and go find something useful to do—farm sheep, grow vegetables, dig for clams...»
Il nous paraît intéressant, bien entendu, de constater la convergence des analyses sur le sort du produit de l’époque eschatologique que nous vivons, – que l’un la nomme Trou Noir Financier, que l’autre la nomme Système. L’aspect le plus intéressant, pour notre compte, de l’exposé d’Orlov, c’est le passage sur la densité constitutive du Trou Noir, c’est-à-dire la question de la Matière, – car nous considérerions pour notre part que la greed (cupidité-avarice) constitutive du Trou Noir d’Orlov n’est pas autre chose que la transcription de la Matière dans sa forme maléfique dans la psychologie humaine. (Le débat sur ce qu’est “la Matière” dans nos conceptions où elle constitue le matériau constitutif du Mal, de façon décisive depuis son déchaînement, reste à mener, bien entendu, et ce n’est pas le moindre.)
Nous nous rencontrons alors avec lui (Orlov) dans le champ de nos conceptions “déstructuration, dissolution & entropisation” (dd&e), dans la mesure où l’élément constitutif du Trou Noir Financier lorsqu’il arrivera au terme de sa mission prédatrice sera d’une telle fragilité, d’une telle vulnérabilité, qu’il lui sera impossible de se structurer en quelque chose de durable (on ne structure pas des formes pérennes avec du sable), donc que sa tendance nécessaire pour conduire sa mission à se structurer pour tenir et s’établir est non seulement totalement vouée à l’échec, mais en vérité inéluctablement conductrice d’un destin qui ne peut être que sa mort (celle du Trou Noir, celle du Système). Surpuissance-autodestruction, rien n’arrêtera cet enchaînement, – qui est d’ailleurs complètement dans la logique métahistorique de sa mission qui est celle de la mort dans le sens matériel du concept, puisque le terme ne peut être que la mort de celui qui cause la mort, – et notre “pari pascalien” étant que cette mort interviendra avant que le reste de sa mission ait été accompli parce qu’en plus d’être “very, very stupid”, le Système/le Trou Noir est bel et bien en train de devenir fou, de la folie du constat de ce que son propre destin le conduit à accomplir.
Mis en ligne le 2 juillet 2015 à 12H41
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