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1348Peut-on considérer que le comportement de la Chambre des Représentants, l’une des deux assemblées du Congrès des États-Unis, constitue un cas de fonctionnement démocratique ? (Il s’agit bien entendu du cas, que nous suivons de près, de la contestation depuis plus d'un mois, de la politique de l’administration Obama concernant essentiellement l’affaire libyenne.) On pourrait en avancer l’hypothèse pour pouvoir l’étudier d’un œil intéressé.
…Non que la Chambre soit vertueusement et “naturellement” démocratique, – selon l’entendement théorique et fortement intéressé de la chose, qui charge la démocratie d’une “vertu naturelle”. De ce point de vue, la Chambre ne l’est pas du tout ; elle est corrompue, contradictoire selon ses intérêts de Système, elle soutient le Système, ses membres sont subventionnés par des intérêts particuliers, le corporate power, etc. Pourtant, par un amalgame étonnant de contradictions, d’ambiguïtés, de pressions diverses, notamment des pressions populaires auxquelles elle est attentive par électoralisme (vice conduisant paradoxalement vers la vertu dans certains cas), d’accès dans ses rangs de parlementaires populistes ou issus de mouvements populistes à la mauvaise réputation démocratique (Tea Party), la Chambre a développé un comportement qui aboutit à une position qui peut être considérée objectivement comme louable, selon un processus qu’on pourrait objectivement et paradoxalement considérer comme démocratique.
De ce point de vue, une analyse (dans The Hill du 25 juin 2011) du comportement des élus de la Chambre durant les votes du vendredi 24 juin, montre un comportement qui rompt avec les lignes antidémocratiques, les consignes ou les pressions des directions oligarchiques des deux partis (ou des “deux ailes du parti unique”), l’influence considérable des groupes d’intérêts particuliers dans ces partis, la psychologie corrompue qui y règne… Donc, un comportement finalement très démocratique, où chacun se détermine selon ses propres convictions et ce qu’il juge être les positions de ses électeurs. Même la perspective du dernier vote avant une vacance intermédiaire de près d’une semaine (cas du vendredi 24 juin) n’a pas amené à l’habituelle débandade, l’habituel désintérêt des membres de la Chambre pressés de prendre leurs avions pour leurs vacances… Bien au contraire.
On lit ci-dessous des extraits significatifs de l’analyse de The Hill, montrant le désordre général des votes par rapport aux “étiquettes” de parti, de tendance, etc. On y voit également les hésitations, les délibérations individuelles des uns et des autres, les rythmes différents des votes, ce qui implique des attitudes très diverses, certaines décidées, d’autres encore l’objet de réflexions, ce qui indique une réelle attitude de délibération de choix, donc de liberté de choix, avec réflexions individuelles sur le sens de son vote, sur les raisons de son vote, etc. On croirait voir une “assemblée révolutionnaire” dans les circonstances de fièvre de décision sur des projets également révolutionnaires ; le “désordre démocratique” va jusqu’à l’absence de consignes des directions des “deux ailes du parti unique” à leurs affiliés… (Le “désordre démocratique” va jusqu'à l'interprétation antagoniste d'une résolution, par des parlementaires pourtant insoupçonnables d'allégeance au Système dans ces circonstances, comme Dennis Kucinich et Ron Paul votant dans un sens effectivement antagoniste sur la proposition de résolution portant sur le budget de la “guerre en Libye”.)
«Typically known to vote and dash on the last vote of the week – especially before a weeklong recess – members remained planted on the House floor Friday to watch how their colleagues voted on the more aggressive of two measures meant to rebuke President Obama over Libya.
»They appeared mesmerized by the tally board on the front wall of the chamber, scanning the list of names lighting up lawmakers cast their votes and unlikely alliances were minted with each green-lighted Y and red-lighted N.
»Liberal Reps. John Conyers (D-Mich.) and Dennis Kucinich (D-Ohio) and conservative Republicans – such as Armed Services Committee Chairman Buck McKeon (Calif.) and Rep. Michael McCaul (R-Texas) – were among the first to cast “yes” votes.
»Equally diverse and influential lawmakers such as Foreign Affairs Committee Ranking Member Howard Berman (D-Calif.) and Budget Committee Chairman Paul Ryan (R-Wisc.) were among the early voters with an “N” next to their names. […]
»[The] Chief Deputy Whip Rep. Peter Roskam (R-Ill.) stood on the floor during the 15-minute vote, looking at the board, before he inserted his voting card to oppose the measure that his fellow GOP leaders supported.
»Even Secretary of State Hillary Clinton’s appearance before a scarcely attended Democratic caucus meeting on Thursday couldn’t help the administration’s attempts to sway the party to support an earlier measure to grant limited authority to the president to support NATO in the Libya mission. That measure failed in the House also.
»House Speaker John Boehner’s (R-Ohio) short speech on the House floor, in which he called Rooney’s resolution to allow continued U.S. involvement in search and rescue, intelligence, aerial refueling and operational planning a “reasonable approach,” failed to change many minds in his own conference.
»Eighty-nine House Republicans joined 149 Democrats to ultimately defeat Rooney’s measure, in a vote of 283-180. Thirty-six House Democrats, including outspoken liberal Reps. Dennis Kucinich (Ohio) and John Conyers (Mich.), joined 144 House Republicans in support of the measure.
»As debate over Rooney’s amendment unfolded in the early afternoon, it was clear that neither party whipped their rank-and-file members to vote one way or the other. Diametrically opposed members such as conservative Rep. Tom McClintock (R-Calif.) and Rep. Howard Berman (D-Calif.) discovered allies in each other on the issue. During the debate, the top-ranking Democrats on the House Foreign Affairs Committee applauded McClintock’s position, cutting down a speech given moments earlier by House Speaker John Boehner (R-Ohio.)»
Il s’agit d’un cas très important, malgré l’apparence, à laquelle on peut céder, des circonstances diverses et un peu dérisoires des délibérations diverses. C’est un cas très important parce que la matière du vote est importante, parce qu’on ne peut invoquer l’effet de surprise, l’“accident” d’un vote inattendu et imprévu, dans la mesure où le cas est débattu depuis un mois et déjà largement exploré par des votes divers. Toute cette agitation, ce désordre, sont en connaissance de cause, comme l’expression d’une réelle situation d’incertitude du jugement en fonction de valeurs de pure appréciation de l’enjeu, non en fonction des pressions des partis et autres centres d’intérêt.
Ainsi les lignes de partage entre les deux partis, entre libéraux et conservateurs, votent-ils en éclat. Les “étiquettes” révèlent leur caractère artificiel, face à une situation inédite et très caractéristique d’une époque d’une très grande crise générale sans rapport avec les habituels débats politiques à l’intérieur du Système qui sont faits pour dissimuler les véritables enjeux. Les parlementaires se trouvent engagés dans des processus de jugement qui sont influencés par des références inédites. Ils évoluent d’une façon très autonome, libérés des structures habituelles de cette sorte d’assemblée dans le cadre du Système. Les leaderships habituels des partis, du Système, se révèlent pour ce qu’ils sont : des structures largement influencées par une appréciation générale complètement dépendante du Système ; leur légitimité apparaît quasiment nulle, et leur autorité complètement battue en brèche. Par ailleurs, ils semblent s’arranger de cette situation comme d’une fatalité, en la reconnaissant pour ce qu’elle est puisqu’ils n’émettent pas de consigne de vote. L’autorité de l’administration est elle-même largement réduite, y compris lors d’intervention directe de certains de ses membres les plus prestigieux (Clinton, Gates).
Mais ce qui domine le tout, sans aucun doute, c’est le désordre. Les votes sont d’ailleurs l’expression de ce désordre, et ils sont en général plutôt défavorables à l’ordre en place, qui est en cette circonstance l’administration et sa politique. Bien entendu, l’aspect antiSystème de ce désordre est indubitable, puisqu’il est la raison d’être de ce “renouveau démocratique” ponctuel. La Chambre est devenue “ingouvernable” durant cette phase, et il semble qu’elle continuera à l’être parce qu’il semble que cette phase ne soit pas close, tandis que les habituelles manœuvres des structures acquises au Système se montrent très inefficaces. Devant cette situation, on se demande dans quelles circonstances un fonctionnement véritablement démocratique pourrait se réaliser dans des conditions d’ordre et de stabilité, et l’on est conduit à donner une réponse très dubitative, sinon à tendance négative, impliquant que le fonctionnement démocratique parlementaire est ennemi de l’efficacité et d’une méthode efficace de gouvernement. On en vient à la conclusion que le fonctionnement démocratique est un leurre sans existence stable, sauf dans les moments de renversement, de déstructuration, dans les cas d’une rupture nécessaire, parce qu’il devient alors l’équivalent du désordre nécessaire pour rompre un ordre devenu insupportable ou dépassé, – ce qui est singulièrement le cas du Système et de son “ordre”. Par contre, et en raison de ces aspects très spécifiques, le fonctionnement démocratique peut naître, pour cette fonction rupturielle, dans des circonstances très inattendues, dans un contexte d’intense corruption… Plutôt que voir dans le fonctionnement démocratique l’effet d’un régime spécifique, nous y verrions une dynamique complètement inhabituelle, complètement accidentelle, qui peut être sollicitée pour des circonstances complètement imprévues. Le reste est pure narrative démagogique, en général due au Système, etc. On admettra que il n’est déjà pas si mal, dans le sens de désespérant, de constater que la démocratie existe (très) épisodiquement au sein de notre Système, qu’elle a une utilité transitoire, qu’elle peut s’avérer, d’une façon soudaine, comme un excellent instrument antiSystème, que son désordre est une indication sérieuse du désordre qui caractérise aujourd’hui le Système.
Il serait bien aventureux d’aller au-delà dans le satisfecit très conditionnel et c’est déjà une très grande vertu d’être allé jusque là. Rien de tout cela n’a à voir avec l’idéologie vertueuse dont on fait un crédit aveugle à la chose démocratique, et tout à voir avec la situation du Système ; c’est lui, avec ses pressions, qui exerce un rôle inattendu, qui parvient à faire de la démocratie, temporairement certes, une formule de système antiSystème.
Mis en ligne le 27 juin 2011 à 03H54
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