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12854 juin 2009 — Barack Obama, en voyage dans la région, parle au Caire. Il s’agit d’un grand discours du président des USA destiné au monde musulman; un connaisseur, BHO, avec son deuxième prénom (Barack Hussein Obama) et sa paternité musulmane. Ce qui nous importe à cet égard, c’est le très grand débat politique derrière ce discours et ce voyage, – débat encore assez discret, la grande presse-Pravda préférant les vaticinations essentielles sur les droits de l’homme place Tienanmen, il y a vingt ans. On a les occupations qu’on peut, et le passé ripoliné comme il se doit est une option intéressante pour la pensée progressiste quand le présent donne du fil à retordre.
Trêve de sarcasmes et passons à ce “très grand débat politique”, qui concerne les relations entre les USA et Israël qui, sous la direction éclairée de BHO, commencent à prendre une drôle de tournure. Chaque jour qui passe confirme le durcissement spectaculaire dans sa substance de la politique US. Comme on pu le lire, Arnaud de Borchgrave juge que c’est la plus grave crise entre les USA et Israël depuis 1956 (Suez). Disons-le autrement et plus justement, c’est la plus grave crise tout court entre les USA et Israël, parce que cette gravité existe aujourd’hui alors que les liens USA-Israël étaient, il y a quelques mois encore, resserrés comme ils n’avaient jamais été auparavant, et surtout pas en 1956, lorsque les liens USA-Israël n’avaient absolument aucun rapport avec ceux de la période GW Bush. (Tout a basculé, dans la connivence USA-Israël, à partir de 1967, avec accélération irrésistible à partir du début des années 1980, lorsque le Pentagone est devenu le principal inspirateur de la politique militarisée d’Israël.)
Une question vitale, également effleurée par Borgrave, c’est l’attitude du Congrès US: «Mr. Netanyahu's new team is also confident Congress would never allow Mr. Obama to make aid to Israel conditional on a settlement freeze, let alone dismantling 160 major colonies that house about 300,000 Jews.» BHO n’est-il pas un homme pour lequel il faudrait songer au fameux adage “ne dites jamais ‘jamais’”?
Il y a eu quelques échos sur les réactions au Congrès jusqu’à ce point, à propos d’une évolution qui est pourtant désormais évidente, au moins depuis deux mois. Antiwar.com faisait, hier 3 juin 2009, un rapide check-up des critiques de BHO au Congrès.
Dan Froomkin, dans le Washington Post du 2 juin 2009, cite divers commentaires de nombreuses sources, exposant les changements de la politique US avec Obama, les réactions du Congrès, etc. Pour rappel, il situe le problème dans son contexte, avec des remarques intéressantes, – notamment cette précision (souligné en gras par nous: BHO «believes Israel has been indulged – even deluded – by previous administrations, to its own détriment»), qui implique qu’Obama met en cause non seulement la politique de Bush vis-à-vis d’Israël mais la politique “des administrations précédentes” qui aurait conduit Israël à se faire des illusions sur la coïncidence complète des intérêts US avec les siens, – ce qui pourrait nous faire remonter loin…
«President Obama's call for a “new dialogue” in the Middle East – one in which the U.S. would be “honest” about what Israel has to do to achieve security – is the clearest indication yet that the new administration is taking a dramatically different and much more assertive approach with its long-time ally.
»Obama's comments indicate that he believes Israel has been indulged – even deluded – by previous administrations, to its own detriment. By contrast, this president's view seems to be that what Israel really needs is to be pushed into making the difficult concessions that are in its own long-term interests. And Obama has been clear that the first concession Israel needs to make is to freeze the growth of Jewish settlements in the West Bank that both literally and figuratively set the occupation of Palestinian territories in concrete.»
C’est certainement dans le texte qu’a publié Ben Smith, de Politico.com, le 1er juin 2009, qu’on trouve le plus d’indications sur l’attitude du Congrès.
«“My concern is that we are applying pressure to the wrong party in this dispute,” said Rep. Shelley Berkley (D-Nev.). “I think it would serve America’s interest better if we were pressuring the Iranians to eliminate the potential of a nuclear threat from Iran, and less time pressuring our allies and the only democracy in the Middle East to stop the natural growth of their settlements.” “When Congress gets back into session the administration is going to hear from many more members than just me,” she said. [...]
»[E]ven a key defender of Obama’s Mideast policy, Rep. Robert Wexler (D-Fla.), is seeking to narrow the administration’s definition of “settlement” to take pressure off Obama. And the unusual criticism by congressional Democrats of the popular president is a sign that it may take more than a transformative presidential election to change the domestic politics of Israel.
»Other Democrats, in interviews with Politico, raised similar concerns. While few will defend illegal Jewish outposts on land they hope will be part of a Palestinian state, they question putting public pressure on Israel while — so far — paying less public attention to Palestinian terrorism and other Arab states’ hostility to Israel.
» “There’s a line between articulating U.S. policy and seeming to be pressuring a democracy on what are their domestic policies, and the president is tiptoeing right up to that line,” said Rep. Anthony Weiner (D-N.Y.), who said he’d heard complaints from constituents during the congressional recess. “I would have liked to hear the president talk more about the Palestinian obligation to cut down on terrorism.”
» “I don’t think anybody wants to dictate to an ally what they have to do in their own national security interests,” said Rep. Gary Ackerman (D-N.Y.), who said he thinks there’s “room for compromise.” “I have to hear specifically from the administration exactly how they define their terms and is there room for defining the terms,” he said, referring to the terms “settlement” and “natural growth.”»
Les républicains sont évidemment encore plus critiques des initiatives de Barack Obama, selon les arguments habituels dont l’extrême est celle d’un Israël exposé à la destruction totale par l’Iran dont on sait la puissance unique dans l'histoire, alors que le président US chicane sur des implantations dérisoires. Il s’agit de l’habituelle hypocrisie, la monotonie de la déformation, la pensée réduite au slogan, tout cela un peu épuisant et à laisser pour nourrir les éditos de la presse-Pravda parisienne. A noter ceci, tout de même, fort intéressant à plus d’un égard… «The pro-Israel lobby AIPAC last week got the signatures of 329 members of Congress, including key figures in both parties, on a letter calling on the administration to work “closely and privately” with Israel — in contrast to the current public pressure.» … “Fort intéressant” parce qu’on voit soudain la véritable crainte de Netanyahou et de la bande parlementaire US qui le suit: que les critiques soient publiques, que la querelle soit exposée sur la place publique, comme elle en prend le chemin. On devra revenir là-dessus, parce que cela est tout simplement essentiel, parce que c’est là-dessus qu’on jugera de la capacité d’Obama à ne pas céder.
Terminons par ceci, toujours du même texte, qui n’est pas moins intéressant :
«Other Democrats allied with Israel didn’t respond to questions about Obama’s policy, however. And the rhetoric, even from Obama’s critics, remains relatively sedate compared with the open insurrection other presidents, from Carter to the elder Bush, have triggered with attempts to apply direct pressure on Israel.
»“There’s such a desire for him to be successful that he’s lived this charmed life that most politicians, and most presidents, dealing with Israel wouldn’t have,” said one congressional Democrat. “In the early months, the finger is off the hair trigger on these issues.”»
Vis-à-vis d’Israël, aujourd’hui, s’il y a un homme qui pourrait avoir un regard “gaulliste” posé sur ce pays avec sa politique devenue à tous égards nuisible; avec une direction archi-belliciste et complètement conformée à l’orientation politico-militaire du Pentagone et à l’idéologie maximaliste qui soutient cette orientation, – cet homme c’est Barack Obama, – BHO “gaulliste” sur ce point, cela pourrait servir à la compréhension des choses du vaste monde de Sarko. Ce “regard gaulliste” tient dans le fait d’élargir le problème d’Israël à tous les composants de la sécurité de la région, au lieu de s’en tenir à la seule sécurité d’Israël, dont la présentation est faite selon des facteurs répartis en général et à parts à peu près égales entre des dissimulations, des obsessions, des actions terroristes de relations publiques et de lobbying, et ce qu’il y a d’arrangeant dans la réalité pour la cause présentée. “Regard gaulliste”, ou disons plutôt, pour être plus précis, “possibilité d’un regard gaulliste”, – et la restriction montre bien que, pour autant, rien n’est dit, et surtout pas la messe.
Un premier point essentiel est le climat nouveau installé autour du problème israélo-palestinien qui tient à cette question de linkage entre ce problème israélo-palestinien réduit aux chicaneries dont les Israéliens sont experts des implantations, et la question iranienne. C’est là le fondement opérationnel de la remarque de Borchgrave déjà rappelée ci-dessus: «Iran's nukes also are pulling apart the Obama administration and Israel's new government under Prime Minister Benjamin Netanyahu. For the first time since 1956, when President Eisenhower ordered Israel, France and Britain to cease their occupation of the Suez Canal, U.S. and Israeli strategic interests are no longer seen as one and the same.»
La question de la divergence des “intérêts stratégiques” entre USA et Israël implique que l’administration Obama n’accepte plus la division dramatique et habile que les Israéliens ont toujours fait. D’une part, la question israélo-palestinienne, avec les chicaneries sans fin des implantations, qui est un marais où se perd l’énorme importance de la situation générale du Moyen-Orient avec la question nucléaire iranienne, où Israël peut arguer sans fin et embrouiller le cas dans les arcanes de discussions byzantines, d’où il sortira toujours vainqueur face aux Palestiniens, grâce à la puissance de sa pression et de sa politique brutale. D’autre part la question de l’Iran nucléaire isolée de son contexte, où Israël peut arguer dramatiquement de la “menace existentielle” contre lui, où le sentiment exacerbé et entretenu dans son exacerbation comme l’on sait, écarte la fermeté de la raison. En liant les deux (linkage), on éclaire l’aspect irresponsable et partisan de la politique israélo-palestinienne des implantations et on relative l’argument iranien, aussi bien le soi disant destin tragique d’Israël (“menace existentielle”) que les véritables intentions iraniennes qui sont dégagées des incantations extrémistes. En d’autres mots, on élargit la question de la sécurité d’Israël à la question de la sécurité collective de la région, où est naturellement incluse la question de la sécurité d’Israël.
C’est le second apport du texte de Borchgrave, là où diffèrent brutalement les “intérêts stratégiques” des deux pays (USA et Israël). Il y a l’analyse apocalyptique des USA sur les risques de prolifération nucléaire, non pas vers certains Etats, mais vers des groupes terroristes. (Cette analyse vaut ce qu’elle vaut et on peut la critiquer et la dénoncer aisément comme excessive, liée aux obsessions terroristes; en l’occurrence, n’en tenons pas compte si, par ailleurs, cette analyse conduit à des possibilités nouvelles de traitement du problème général de la zone.) Les Israéliens peuvent difficilement rejeter l’argument puisqu’il s’agit d’un argument fondé sur l’obsession terroriste dont ils sont les maîtres, et l’argument finit pas se retourner contre eux et les conduit vers une impasse qui éclaire cette divergence stratégique dont parle Borchgrave. La logique de l’administration US, c’est de pousser le cas iranien jusqu’à un constat qui pourrait être ceci: pour éviter une prolifération nucléaire vers les terroristes, il faut faire entrer l’Iran dans le cadre légal international de la situation nucléaire. Si l’Iran y est conduit dans des conditions qui le satisfont, il se trouvera à son tour, par ses propres intérêts, conduit à lutter contre la prolifération vers des terroristes. Pour ce faire, une seule solution qui ne passerait pas par l’acceptation du nucléaire iranien devenu armes nucléaires: accepter que l’Iran arrive au “seuil” (capacité de faire des bombes sans les faire) dans le cadre d’une zone (Moyen-Orient) qui doit être dénucléarisée pour satisfaire les exigences de l’Iran sur sa propre sécurité. Puisqu’il s’agit d’une dénucléarisation générale (suppression des armes nucléaires) de la zone, cela implique Israël dans le problème central de sa position de supériorité absolue, qui est une menace pour tous les autres Etats, de son arsenal nucléaire. La position de propagande d’Israël d’un Etat menacé d’anéantissement est exposée dans sa fausseté, d’une façon publique. Les USA ont déjà sorti ce lapin iconoclaste de leur chapeau. Cela tend à prendre Israël à sa propre rhétorique si l’on revient au motif général exposé plus haut: puisqu’Israël brandit la menace terroriste comme menace suprême, la logique ainsi exposée répond à son argument. Dans le schéma idéal de la zone dénucléarisée (pas d’arme nucléaire pour aucun des Etats concernés), l’Iran ne peut plus fournir une arme nucléaire au Hezbollah et deux hypothèse apocalyptique agitées par les stratèges israéliens comme “menace existentielle” contre Israël (l’Iran nucléaire qui menace Israël et la prolifération nucléaire vers les terroristes) sont réduites à néant… Mais, bien entendu, Israël doit être aussi dénucléarisé.
L’intérêt de cette logique est qu’elle est un peu comme le diable sorti de sa bouteille, image qu’on emploie pour l’apparition du nucléaire. Une fois qu’on a sorti publiquement l’argument que la zone dénucléarisée est le moyen, et finalement le seul moyen sûr d’éviter pour cette zone un Iran nucléaire et la prolifération vers des groupes terroristes, il est très difficile de le réduire d’une façon décisive lorsqu’on argue par ailleurs (Israël) que le terrorisme et un Iran nucléaire sont les deux menaces existentielles. La seule réponse décisive qu’Israël puisse apporter est la destruction assurée du nucléaire de l’Iran, et la seule assurance totale à cet égard (nous sommes dans le domaine de la réflexion théorique absolument radicale mais d’une logique implacable), ce ne sont pas quelques raids mais une véritable guerre victorieuse contre l’Iran, c’est-à-dire une invasion victorieuse de l’Iran.
(Tous ces gens discutant d’une attaque contre l’Iran se souviennent-ils qu’une étude du National War College US de fin 2007, examinant l’option extrême de l’invasion terrestre, a déterminé qu’elle nécessiterait une mobilisation d’un millions d’hommes aux USA, qui prendrait quatre ans pour sa seule préparation, avant l’engagement des opérations? Cela situe la logique complètement irréaliste et absurde de l’option de l’attaque qui, pour être assurée, condition de la certitude en matière nucléaire, doit prendre en compte de manière pressante l’option d’une guerre d’invasion.)
Le dernier point est celui qu’on a déjà souligné plus haut. L’exigence de l'attaque des réseaux d’influence israéliens (AIPAC) contre la politique d’Obama, c’est qu’Obama s’abstienne de rendre publique la querelle. C’est à la fois une habileté et un aveu de faiblesse. Une habileté parce qu’un débat retiré du public, c’est le champ ouvert à toutes les manœuvres d’influence, de pression, etc., où les Israéliens sont maîtres et où ils peuvent mobiliser tous leurs soutiens (notamment au Congrès) qui n’ont plus peur de s’exposer à une impopularité électorale en s’opposant publiquement au sacro-saint président populaire; un aveu de faiblesse parce que la manœuvre reconnaît implicitement que les cas en litige tels qu'ils sont perçus par Israël (non seulement la politique israélienne des implantations mais le refus implicite d'Israël d'envisager l'idée d'une une zone de non-prolifération comprenant implicitement son nucléaire) sont loin d’être “vendables” publiquement sur leurs propres vertus, et que ce serait même le contraire.
La seule issue pour Obama, c’est donc de suivre une diplomatie publique, faite de déclarations publiques, d’interventions publiques. Le Congrès le bloquera-t-il? Tout sera fait pour cela, certes. Mais il y a d’une part les restrictions qu’on a vues, qui reposent curieusement sur ce facteur bien exotique du “charme d’Obama”: sa popularité et le désir qu’on a de le voir réussir («There’s such a desire for him to be successful that he’s lived this charmed life that most politicians, and most presidents, dealing with Israel wouldn’t have»), – facteur exotique mais si important dans le climat électoral et démagogique constant où vit Washington en crise permanente. Bien sûr, cela ne vaut en principe que pour les parlementaires US mais tout est là; les Israéliens de Netanyahou, qui détestent Obama, n’ont rien à faire de son “charme” mais doivent tenir compte de la sensibilité à la fois électorale et de midinette des parlementaires US. D’autre part, l’on sait depuis janvier (avant Obama), avec l’affaire Freeman depuis, que le situation israélienne aux USA se détériore.
C’est le point décisif, concernant la détermination d’Obama, qui, pour l’instant, semble chaque jour se confirmer. Obama tiendra-t-il dans sa campagne publique vis-à-vis d’Israël? A partir d’un certain point dans le cas d’une réponse positive, lorsque tout aura été mis publiquement sur la table des intentions de BHO, si ces intentions sont bien ce qu’on en a dit ci-dessus, on se trouvera au point de non-retour. Les masques tomberont. Chacun sera ce qu’il est, dans la vraie position qui est la sienne. Alors, la solution sera là, et la paix enfin atteinte? Pas du tout, car il y a bien autre chose que l’enjeu de la situation au Moyen-Orient. Le véritable affrontement commencera, notamment avec l’exposition publique des véritables liens d’influence d’Israël aux USA, qui constituent une scandaleuse situation d’influence empiétant sur la souveraineté en matière de sécurité nationale de la première puissance du monde; avec, à l’inverse, l’exposition des liens d’influence du Pentagone et du complexe militaro-industriel sur la direction israélienne. Seront mis en évidence le caractère de gouvernement militariste qui mène Israël et l’action déstabilisante et militariste des milieux du CMI américaniste qui inspirent et soutiennent cette direction israélienne. C’est là l’épreuve suprême et on jugera BHO sur le fond du fond.
Alors, la question pour conclure est finalement assez simple: est-ce dans cette politique israélo-iranienne des USA avec toutes les implications qu’on a dites que va se manifester ce que certains attendent de révolutionnaire chez BHO, cette hypothèse de l’“American Gorbatchev”? Comme disait, entre autres analystes, Depardieu dialogué par Labro, “c’est une putain de bonne question”. On ne peut, pour l’instant, rien dire de plus, sinon éventuellement n’en penser pas moins, – et constater qu’on en a déjà dit pas mal pour quatre mois de présidence.
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