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2409Si le système de l’américanisme documentait les connexions diverses entre le régime nazi et lui-même avec autant de minutie vertueuse et au-dessus de tout soupçon que les élites médiatiques et intellectuelles du “parti des salonards” parisien font avec le régime de Vichy, chaque solitaire indépendant bien informé devrait prévoir une extension massive de sa bibliothèque. Quoi qu’il en soit, des bulles intempestives percent parfois la surface de notre virtualisme pointilleux et vertueux.
C’est le cas avec le rapport du département US de la justice, qui a été rendu public après quatre années passées à tenter de le dissimuler, complètement ou en partie. Le New York Times, qui a obtenu une copie complète du rapport, répond à sa mission d’information également vertueuse en en rendant compte, ce 13 novembre 2010. En gros, il s’agit de la documentation sur la façon dont divers services de sécurités nationales de l’américanisme aidèrent différentes catégories de personnages nazis à la fin de la guerre et après…
«A secret history of the United States government’s Nazi-hunting operation concludes that American intelligence officials created a “safe haven” in the United States for Nazis and their collaborators after World War II, and it details decades of clashes, often hidden, with other nations over war criminals here and abroad.
»The 600-page report, which the Justice Department has tried to keep secret for four years, provides new evidence about more than two dozen of the most notorious Nazi cases of the last three decades.»
La même information, – qui n’est pas fondamentalement nouvelle et ne devrait rien avoir pour étonner, – a donc été reprise par les réseaux européens, New York Times oblige, dont notre vénéré Le Monde du 15 novembre 2010, qui reprend l’information du NYT relayée par l’AFP.
Comme nous l’écrivons, tout cela n’est pas fondamentalement nouveau mais la nouveauté est bien entendu qu’il s’agisse d’un document officiel. Pourquoi un tel rapport (rédigé, semble-t-il, autour de 2004-2006) au sein du département de la justice, sans aucune obligation extérieure ni consigne particulière, alors que tout a été fait par ailleurs pour empêcher sa diffusion parce que son contenu est parfaitement dérangeant pour la vertu du système ? Nous ferons l’hypothèse de la machinerie du système, qui répond aveuglément à diverses contraintes bureaucratiques, dont le juridisme et la documentation de tous les actes que le système a lui-même produits. Par conséquent, l’épisode concerné n’échappe pas à ce processus mécanique, même s’il officialise finalement un cas fort embarrassant pour la réputation du système.
D’une façon assez significative, on trouverait d’ailleurs des similitudes beaucoup plus systémiques et bureaucratiques entre le système de l’américanisme d’une part, le système nazi en tant qu’avancée extrême du système pangermaniste tel qu’il prit son essor au long de la deuxième partie du XIXème siècle, et particulièrement à partir du départ de Bismarck en 1890. Cela nous conduit évidemment au cœur de la thèse de La grâce de l’Histoire, qui place l’Allemagne et les USA, parallèlement et successivement dans cet ordre, comme les supports et les moteurs de la “deuxième civilisation occidentale”, qui est ce “déchaînement de la matière” exprimant sa dynamique sous la forme du système du technologisme, avec plus tard le système de la communication comme complément. Ce système général implique un développement maximal de la bureaucratie en même temps que des pratiques les plus violentes et les plus puissantes du capitalisme, pour donner une définition totale, sinon totalitaire, de la modernité… Là-dedans, les idéologies (les idées) n’ont qu’une fonction d’habillage, de satisfaction donnée à la raison pour la payer de sa soumission au système. Dans cette perspective, pour ce qui concerne l’Allemagne, le nazisme est un prolongement extrémiste et une aberration pathologique par rapport au système, bien qu’il en garde beaucoup d’aspect. En réalité, la dynamique systémique était déjà passée de l’Allemagne aux USA avec la défaite de 1918, et la seule référence conceptuelle et “idéologique” qui puisse convenir est celle que donne Guglielmo Ferrero, de l’“idéal de la puissance”, – contre l’“idéal de la perfection”…
Ces grandes tendances expliquent notamment qu’il soit resté longtemps, malgré les postures d’affrontement et les conflits réels entre les deux, une grande proximité entre le système pangermaniste et le système de l’américanisme, qui ne s’est aucunement effacée avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir. A côté de ce que nous signalent le NYT et le rapport du département de la Justice, avec renvoi à des documents indépendants déjà très largement documentés (L’affaire Paperclip, de Linda Hunt, de 1991, traduit chez Stock en 1995, retraçant la récupération massive de savants nazis par les USA dès l’armistice de 1945), on mentionnera plusieurs aspects de cette proximité.
• Les conceptions de suprématisme, souvent présentés selon l’optique raciale, mais qui implique sans aucun doute une dimension systémique, furent évidentes d’abord aux USA, avant l’Allemagne hitlérienne. Nombre de lois hitlériennes sur des domaines tels que l’euthanasie étaient courantes aux USA, dans nombre d’Etats de l'Union, entre les années 1900 et les années 1930. Les politiques US de quotas concernant l’immigration ressortaient également de ces notions suprématistes, qu’on retrouve également dans les origines de la création du complexe militaro-industriel (CMI)…
• Cette dernière notion, des rapports entre le CMI et le suprématisme, mais aussi des rapports entre le CMI et les nazis, ou, dit autrement, les méthodes et les conceptions scientifiques et d’organisation nazies, est largement évidente et documentée. On se référera notamment à deux textes publiés sur ce site le 26 janvier 2003. Particulièrement intéressantes, les précisions données par Nick Cook sur les similitudes conceptuelles entre le CMI (le Pentagone) et les démarches scientifiques sous le régime nazi, notamment alimentées par l’afflux de savants nazis dans le cadre de l’opération Paperclip. A propos du système black (programmes secrets) mis en place par le Pentagone, Cook déclarait :
«It is remarkably similar to the system that was operated by the Germans —specifically the SS — for their top-secret weapons programs during the Second World War.»
Quant au délicat aspect idéologique, Cook précisait, prudemment mais tout de même de manière significative :
«I'm not for a second saying that there is direct linkage there. What I do mean is that if you follow the trail of Nazi scientists and engineers who were recruited by America at the end of the Second World War, the unfortunate corollary is that by taking on the science, you take on—unwittingly—some of the ideology.»
• Une autre connexion majeure est celle du business. Les relations d’affaire, d’investissement, aux plus hauts niveaux financiers et du capitalisme, furent intenses entre les USA et l’Allemagne dès après la défaite de l’Allemagne en 1918. Elles se poursuivirent malgré les vicissitudes politiques et idéologiques. Il est admis qu’en planifiant l’offensive stratégique aérienne US contre l’Allemagne dès 1940, les officiers de l’U.S. Army Air Force chargés de ce travail entrèrent en contact avec les grandes banques et groupes industriels US pour identifier et localiser les entreprises allemandes avec forts investissements US, et les placer hors des objectifs des bombardiers US. Plus encore, divers grands groupes US (Standard Oil of New Jersey, ITT, Chase Manhattan Bank, Ford, etc.) continuèrent à travailler avec l’Allemagne nazie, même durant la guerre avec l’engagement des USA, jusqu’en 1945, y compris sur des contrats à caractère stratégique. Dans son livre Trading with the Enemy, the Nazi-American Money Plot, 1933-1949 (Barnes & Noble, 1983), Charles Higham a largement documenté ce domaine. (Higham, Britannique demi-juif dont une partie de la famille avait péri dans les camps nazis, avait pris la nationalité américaine par choix idéologique et c’est la découverte des réalités du système de l’américanisme qui le poussa à écrire son livre.)
Mis en ligne le 16 novembre 2010 à 11H30
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