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1256Nous sacrifions à ce que certains jugeront notre péché mignon, mais qui est une règle que nous nous imposons d’aller voir chez les autres, lorsqu’ils ont les compétences pour cela, ce qu’il faut observer et constater de ce qui se passe chez nous. (Le “Nous” pas majestatif en l’occurrence, c’est la France, dont la capitale était hier, selon son président à la poire glorieuse, “la capitale Of the World”.) Bref, il s’agit de la fastueuse journée d’hier où l’on vit, dit-on, un peuple se lever pour défendre ce qu’il a de plus cher : la liberté d’expression (disons free-speech en anglais), que menacent les terroristes, notamment ceux qui firent ce que l’on sait à Charlie Hebdo. On devrait donc trouver d’un intérêt remarquable le long article du professeur John Turley, professeur de droit public à l’université George Washington, dans le Washington Post du 9 janvier 2015
Puisqu’il était donc question d’un peuple entier (affirmation de la communication officielle) qui s’est levé pour défendre la liberté d’expression/free speech, il est intéressant de lire ce qu’en dit le professeur Turley qui est un de ces spécialistes de droit qui ne se laisse arrêter par aucun parti-pris politique. (Turley a défendu aussi bien des personnes qui contestaient la légalisation de la polygamie que des personnes accusées de terrorismes, que des “lanceurs d’alerte” de la NSA.) Le constat qu’il fait de l’état de la liberté d’expression/free speech en France, notamment celle qui est liée aux affaires concernant Charlie Hebdo, est intéressant ; et, pour dire le vrai, il est pour le moins singulier, sinon attristant, sinon accablant. C’est donc pour cela que le peuple de France a envahi par millions ses propres rues, ce dimanche 11 janvier 2015... Voici un extrait du texte de Turley, qui ne donne qu’une partie de son argumentation factuelle largement documentée et imparable. (Encore laissons-nous de côté toutes les pressions, tous les artifices, toutes les consignes non-dites mais chuchotées dans un clin d’œil, un sous-entendu même pas exprimé, voire un réflexe pavlovien complètement personnel et parfaitement appris qui forment les limitations, censure et autocensure, du comportement naturel et courant aujourd’hui de ceux qui en sont les fleurons, de la liberté d’expression, – nos magnifiques non-confrères de la presse-Système.)
«Indeed, if the French want to memorialize those killed at Charlie Hebdo, they could start by rescinding their laws criminalizing speech that insults, defames or incites hatred, discrimination or violence on the basis of religion, race, ethnicity, nationality, disability, sex or sexual orientation. These laws have been used to harass the satirical newspaper and threaten its staff for years. Speech has been conditioned on being used “responsibly” in France, suggesting that it is more of a privilege than a right for those who hold controversial views.
»In 2006, after Charlie Hebdo reprinted controversial cartoons of the prophet Muhammad that first appeared in a Danish newspaper, French President Jacques Chirac condemned the publication and warned against such “obvious provocations.” “Anything that can hurt the convictions of someone else, in particular religious convictions, should be avoided,” he said. “Freedom of expression should be exercised in a spirit of responsibility.”
»The Paris Grand Mosque and the Union of French Islamic Organizations sued the newspaper for insulting Muslims — a crime that carries a fine of up to 22,500 euros or six months’ imprisonment. French courts ultimately ruled in Charlie Hebdo’s favor. But France’s appetite for speech control has only grown since then.
»The cases have been wide-ranging and bizarre. In 2008, for example, Brigitte Bardot was convicted for writing a letter to [President] Nicolas Sarkozy about how she thought Muslims and homosexuals were ruining France. In 2011, fashion designer John Galliano was found guilty of making anti-Semitic comments against at least three people in a Paris cafe. In 2012, the government criminalized denial of the Armenian genocide (a law later overturned by the courts, but Holocaust denial remains a crime). In 2013, a French mother was sentenced for “glorifying a crime” after she allowed her son, named Jihad, to go to school wearing a shirt that said “I am a bomb.” Last year, Interior Minister Manuel Valls moved to ban performances by comedian Dieudonné M’Bala M’Bala, declaring that he was “no longer a comedian” but was rather an “anti-Semite and racist.” It is easy to silence speakers who spew hate or obnoxious words, but censorship rarely ends with those on the margins of our society.
»Notably, among the demonstrators this past week at the Place de la Republique was Sasha Reingewirtz, president of the Union of Jewish Students, who told NBC News, “We are here to remind [the terrorists] that religion can be freely criticized.” The Union of Jewish Students apparently didn’t feel as magnanimous in 2013, when it successfully sued Twitter over posts deemed anti-Semitic. The student president at the time dismissed objections from civil libertarians, saying the social networking site was “making itself an accomplice and offering a highway for racists and anti-Semites.” The government declared the tweets illegal, and a French court ordered Twitter to reveal the identities of anti-Semitic posters...»
Pour illustrer également le climat actuel, en France où l’on se dresse pour la défense de la liberté d’expression, on se reportera à l’impressionnant “bruit de fond” français et parisien qui remet à l’honneur le fameux Patriot Act voté par une majorité stalinienne au Congrès des États-Unis à l’automne 2001, et qui est considéré comme la matrice de l’installation d’un pouvoir discrétionnaire d’État contre le speech right (et aussi, dans la foulée qui s’enchaîne naturellement, contre la liberté pure et simple des citoyens, avec des dispositions instituant notamment la légalisation de l’assassinat et de la torture). (Le même Yurley a fait un article là-dessus le 2 avril 2012, – et la documentation d’une diversité extrême de sources ne manque pas aux USA sur ce thème.) L’idée avancée en France est de se diriger vers un Patriot Act “à la française” (Valérie Pécresse), bien entendu “sans les excès américains ” (Claude Goasquen) car la France est mère de sagesse et de mesure. Le site Lescrises.fr présente un dossier sur ce “bruit de fond” (voir le 12 janvier 2014). Pour l’instant, c’est surtout à droite que l’on réclame de telles mesures mais il nous semble, à nous, bien assuré que l’on n’en restera pas là ; sans se risquer au “délit de faciès”, il suffit de voir les mimiques de guerrier furieux défenseur de l’ordre républicain de Manuel Valls lorsqu’il évoque ce problème pour conjecturer là-dessus dans le genre “aux armes citoyens”.
Cela établit donc le quiproquo parfait, comme l’on dit en américaniste perfect storm, issu des quelques jours qui viennent de s’écouler, et de la grande symbolique de masse qui nous a été offerte ce dimanche. L’union sacrée est totale, – sauf pour ceux qui n’ont pas fait leur dévotion, – pour partir par millions, comme l’on fait une levée en masse, à la défense de l’essentiel de la cause et à la promotion de l’essentiel du contraire de la cause. Cette observation suffit à nous faire comprendre combien les comportements massifs de communication et symboliques de ces tout derniers jours, dans le chef de cette réaction collective paroxystique, globalisée, surréaliste, aux événements de la semaine dernière, ont fait progresser le problème fondamental qui affecte les pays du bloc BAO, et la France en particulier, dans le sens de l’exacerbation, de la contradiction, de l’incompréhension, de l’anathème réciproque... Et certes, tout cela s’est déroulé dans des conditions de tension extrême bien plus extrêmes que tout ce que l’on a pu imaginer jusqu’ici. Les “crises nerveuses”, fussent-elles globalisées, ne sont pas les meilleures conseillères du monde.
Précisons bien que nous sommes, dans ces conditions et à propos de ce problème, dans le domaine de la tactique à l’intérieur d’un domaine imposé et nullement dans celui de la stratégie qui pourrait changer les conditions fondamentales de ce domaine imposé. Nous sommes dans le champ délimité, c’est-à-dire effectivement le “domaine imposé” par le Systèmes et ses normes. Nous devons donc acquiescer à toutes ses exigences, fussent-elles complètement incompatibles, – et justement, ajouterions-nous, parce qu’elles sont incompatibles car c’est bien là la marque du Système.
Par conséquent, l’on pourrait avancer sans trop de risques l’idée que l’immense démonstration d’unité nationale d’hier, à Paris “capitale du monde”, en France “centre de la postmodernité qui régit le monde”, a mis en place un paroxysme qui devrait largement servir à tous les excès de la désunion nationale, de la fureur partisane, du lynchage médiatique de communication, des frustrations longtemps contenues et venues à leur expression les plus fortes et ainsi de suite. Il ne s’agit ni de l’annonce d’une insurrection ni de celle d’une guerre civile au sens classique de ces termes, mais d’un état de dissolution civique dépassant largement en conséquences catastrophiques les guerres civiles et les insurrections de l’ancien temps. Dans cette époque postmoderne, il suffit de quelques rafales de Kalachnikov et de quelques malheureuses victimes dont le nombre n’atteint pas la vingtaine pour renforcer et conduire à son paroxysme les conditions d’une insurrection/guerre civile qui n’a aucun rapport avec ce que ces concepts ont désigné jusqu’ici... L’énoncé de cette phrase implique d’ailleurs, et c’est notre complète conviction, que cette situation d’“insurrection/guerre civile” postmoderne existe d’ores et déjà, et que la grande affaire d’hier où la France fut le centre de la globalisation postmoderne a largement contribué à la rendre paroxystique.
C’est bien entendu dans ce cadre et selon cette logique, avec les évolutions qu’elle peut engendrer, que nous plaçons l'observation centrale de notre texte du 11 janvier 2015 sur la “crise nerveuse globalisée”. C’est-à-dire qu’il nous paraît absolument risible et dérisoire de ne pas concevoir comme une évidence aveuglante que cette formidable démonstration d’unité globalisée autour du Système doit déboucher directement et très rapidement sur des conditions tout aussi formidable d’un activisme antiSystème exacerbé, dans tous les sens, de toutes les façons, c’est-à-dire dans un désordre considérable dont nous espérons bien qu’il acquerra très vite la vertu de devenir “hyper-désordre”. (Pour rappel, et en espérant ne pas décourager ceux que notre “arsenal sémantique” rend dubitatifs, on rappelle ici, par références interposées, la nuance fondamentale d’inversion entre “désordre” et “hyper-désordre”, comme explicitée dans notre texte du 17 décembre 2014, dans le paragraphe «Du désordre global à l’hyper-désordre global».)
La question honnête est bien de savoir si l’énorme spasme d’hier en France globalisée et postmoderne mérite d’autres commentaires que celui-ci : événement quantitativement énorme, presque écrasant à force d’accumulation de tous les poncifs réalisés et produits en direct dans une mise en scène à la façon d’un Cecil B. DeMille qui se prendrait pour Howard D. Griffith, dans une présence massive, collective et populaire à faire pleurer d’extase les plumes de nos chroniqueurs-Système, – cela, pour une signification qualitative d’une simplicité extrême, presque enfantine, – “tout ça pour ça” ... “Vous êtes, doit-on dire au brave peuple de France, en train de travailler avec une vigueur collective jamais vu pour accoucher du contraire de ce que l'on attend de vous et de ce que vous croyez qu'il est bon d'attendre de vous“. Quelle simplicité, indeed. Ce n’est d’ailleurs pas une tare, cette sorte de constat, bien au contraire, puisque la France pourrait bien, justement c'est notre thèse, avoir accouché hier d’un embryon d’une dynamique antiSystème d’une force jamais vue jusqu’ici. Alors, hein, gloire au peuple de France.
Mis en ligne le 12 janvier 2015 07H29
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