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1222Nous revenons sur des remarques faites, dans cette même rubrique, le 13 septembre 2010, à propos du climat politique aux USA, et de la situation qui pourrait en naître à l’occasion des élections de novembre (hypothèses de “civil uprising” ou de révolte contre Obama d’un Congrès devenu républicain). Nous y ajoutons une pièce intéressante, avec le rapport annuel du World Economic Forum de Davos sur la compétitivité, basé sur des données économiques et des interviews de plus de 13.500 dirigeants économiques, et ayant pour but de déterminer les nations les plus compétitives du point de vue économique. (Rapport présenté le 9 septembre à Pékin.) Les USA, incontestable n°1 du domaine depuis que ce rapport existe, passés à la deuxième place en 2009, se trouvent en 2010 à une humiliante 4ème place, derrière la Suisse, la Suède et Singapour.
Une dépêche AP/Raw Story du 9 septembre 2010 explique cette chute des USA, notamment mais avec insistance, par un facteur non économique de perception, avec ses conséquences psychologiques : «[
@PAYANT Nous ne voulons pas commenter directement le sort de la qualité de la compétitivité US qui, dans le chef de l’évolution de ce rapport, ne cesse de chuter depuis la crise du 15 septembre 2008, mais d’une part l’évolution psychologique qui accompagne la détérioration économique structurelle rapide qui en est la cause, d’autre part les conséquences au niveau du monde politique US et la traduction de cette perspective dans ce qui est anticipé de la situation avec les élections de novembre, du point de vue de la perception également. C’est pourquoi nous lions ce rapport avec ce que nous disions hier dans le texte déjà référencé. Nous insistons sur le fait que nous parlons de perception, donc du rôle de la psychologie, mais non sans observer que certaines paroles précises ont été dites, comme nous le rapportions hier, à propos d’un candidat républicain au poste de sénateur du Nevada évoquant les pressions de la base républicaine, reprises par certains candidats, pour une “insurrection civile” si le Congrès ne passait pas au républicain («[Tarkanian's] admission that many people in the Republican Party were encouraging him to advocate a civil insurrection if Congress doesn't change hands»).
Pour bien comprendre la portée dissimulée des points précis du rapport du WEF comme autant de craintes de la “communauté internationale du business” selon les lignes que nous avons signalées (très grave instabilité interne des USA), il faut lier les remarques citées avec les échos recueillis hier sur l’état d’esprit dans la campagne électorale. Nous parlons non seulement de la concurrence acharnée entre les deux partis, de la violence de cette concurrence, mais plus encore, de cette menace désormais évoquée épisodiquement d’une façon ouverte de la possibilité, voire de la nécessité d’envisager le recours à l’“insurrection civile” si tel ou tel résultat politique n’est pas atteint. Par exemple, il est manifeste que divers et puissants éléments du parti républicain, sous la pression de Tea Party, veulent absolument une sorte de “changement de gouvernement”, soit par les urnes (capture du Congrès) soit pas la pression de la rue. Dans ce cas, qui est absolument essentiel, le parti républicain, qui croyait phagocyter Tea Party à son avantage, est phagocyté par lui dans le sens de l’extrémisme et de l’action éventuellement illégale, complètement hors des normes du système. C’est ce climat que le rapport du WEF décrit d’une façon théorique et neutre en citant comme cause de la baisse significative de la compétitivité US la rupture entre le public et le gouvernement d’une part, entre le public et le monde dirigeant de l’économie d’autre part. En quelque sort, lorsqu’on confronte toutes ces informations, on observe que cette rupture est un fait majeur de la campagne, et qu’il y a la menace d’une translation directe de cette observation théorique dans les projets explicites d’une partie non négligeable du parti républicain, surtout de sa partie la plus activiste, avec Tea Party comme manipulateur.
Il faut d’ailleurs préciser que cette perception n’implique aucune réserve… Si le parti républicain ne prend pas le Congrès, il faut une pression publique brutale et déstabilisante (“civil uprising”). Si le parti républicain prend le Congrès, il faut qu’il impose un changement complet de politique ou, plutôt, une situation nouvelle où il donne foi à la perception qu’il a vraiment “pris le pouvoir”. Répétons-le, il s’agit d’un saut qualitatif dans l’aggravation de la menace de déstabilisation aux USA, avec une partie de l’establishment dérivant de plus en plus vers le refus des règles du jeu du système, vers la possibilité d’une action brutale dès la période à partir de novembre 2010. Et il y a une préoccupation internationale dite indirectement, dans le rapport du WEF, à ce propos (il ne peut évidemment en dire plus en raison de la délicatesse du sujet et de son caractère purement intérieur). C’est un facteur politique incontestablement nouveau, montrant une accélération de la déstructuration de l’architecture de fonctionnement et de contrôle du système de l’américanisme tel qu’il règne à Washington.
Faut-il s’attendre à des remous avec et après novembre 2010 ? C’est au moins possible, peut-être probable, sans assurance quant à la sorte de “remous”. Mais, d’ores et déjà, l’idée en est répandue et les psychologies évoluent très vite en fonction des signes qui renforcent l’idée. Cette évolution signifierait qu’on est en train de passer à une phase où tous les efforts de compromis (ceux d’Obama notamment) entre les deux forces en présence semblent vains (entre les démocrates, assez désorientés entre ligne de compromis et ligne dure, et les républicains, de plus en plus débordés et “récupérés” par l’extrémisme populiste qu’ils croyaient contrôler à leur avantage) ; une phase où l’affrontement sous toutes ses formes est perçue comme devenant la seule issue possible. Quoi qu’il en soit de l’affrontement qui aura ou n’aura pas lieu, et sous quelle forme, ce qui importe, sans aucun doute, c’est bien l’évolution de la perception, qui touche également les milieux internationaux (rapport WEF) ; perception que l’Amérique est menacée d’affrontements internes non à cause d’une subversion, d’un projet politique subversif, mais simplement parce qu’elle ne cesse de se confirmer comme ingouvernable, – peut-être structurellement ingouvernable, plus que conjoncturellement ingouvernable, comme on pouvait le penser encore dans la période 2006-2008 Bush/majorité démocrate au Congrès.
Il s’agit là d’une situation avec des effets autoalimentés, typique de cette époque où domine le système de la communication, avec l’évolution de la psychologie comme facteur beaucoup plus important que d’hypothétiques actions insurrectionnelles. La perception d’une possibilité prospective n’est pas l’assurance de cette possibilité, mais elle alimente la psychologie puis l’esprit dans ce sens, donc aggrave involontairement cette possibilité, donc la situation elle-même. Il n’est nullement assuré que l’on aille, avec cette évolution, dans le sens des prédictions prospectives précises, mais il est assuré qu’on accroît le climat d’incertitude, de déstabilisation. On accroît la possibilité d’événements déstructurants, sous quelque forme que ce soit.
Il s’agit d’une situation pré-électorale dont on n’a jamais vu l’équivalent aux USA, par sa potentialité explosive. Le point important et inédit est que cette potentialité existe au cœur de l’establishment, et dans un cas caractéristique d’affrontement fratricide (entre deux fractions de l’establishment), quelles que soient les causes extérieures. La poussée populiste, très large mais aussi très indéterminée et insaisissable dans ses buts et ses orientations, a la vertu complètement nouvelle de ne pas se présenter comme une pression extérieure qui peut être aisément identifiée, isolée et récupérée, mais comme une dynamique qui s’est transformée en un mouvement d’“entrisme” dans certaines forces de l’establishment, ce qui rend impossible son annihilation. De ce point de vue, et contrairement aux analyses classiques, il n’est pas mauvais qu’il y ait en jeu des intérêts du corporate power, dont certains soupçonnent qu’ils favorisent indirectement la poussée populiste dès lors que cette poussée attaque le pouvoir du gouvernement. (Ce corporate power, lui aussi gagné par les courants obsessionnels, a une crainte panique et complètement irréaliste de l’interventionnisme du gouvernement Obama, alors que ce gouvernement a déjà montré combien il était attentif à ce même corporate power.) Là aussi, nous pensons que dans ces occasions de collusion possible, ou dans ce rapprochement objectif par une haine commune du pouvoir du gouvernement central, c’est le mouvement populiste sous sa forme si originale et inédite qui l’emporte sur le corporate power, en accentuant le désordre déstructurant qui, de toutes les façons, frappe de plein fouet l’establishment dont fait partie ce corporate power.
Mis en ligne le 14 septembre 2010 à 06H09