Les généraux israéliens, face à l'Iran ou face à Netanyahou ?

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C’est une occurrence remarquable, ou bien une occurrence qui n’en est pas vraiment une, de lire, presque parallèlement, deux interventions de deux généraux israéliens (en service ou à la retraite “active”), exposant des positions complexes vis-à-vis de l’Iran, – des positions peut-être contradictoires, ou peut-être pas du tout, et peut-être complémentaires sinon coordonnées, et largement divergentes de celles du pouvoir civil, c'est-à-dire de l'équipe Netanyahou-Barak…

• D’une part, il y a une conférence, mercredi 1er février, du général Benny Gantz, commandant en chef des forces armées israéliennes. Haaretz présente cette conférence le 1er février 2012, tandis qu’Antiwar.com la répercute, avec d’autres éléments critiques, le 2 février 2012. L’ensemble rend un son assez ambigu sur la question centrale qui est, lorsqu’il s’agit d’Israël, de savoir si ou quand une attaque de l’Iran doit avoir lieu. Antiwar.com critique Gantz pour faire l’apologie des pressions et des sanctions exercées contre l’Iran et estimer qu’il faut les poursuivre et les accentuer, alors que, estime le même Antiwar.com, ces sanctions et ces pressions s’avèrent inefficaces et rapprochent d’une possibilité de guerre. («Actually, the sanctions and other aggressive postures have been detrimental to regional stability and have failed to deter Iran from its nuclear policy, precisely the opposite of what Grantz claimed.») Gantz utilise l’argument de l’annihilation d’Israël et assure que l’Iran veut produire une arme nucléaire ; pour autant, lorsqu’il s’agit d’une attaque contre l’Iran, Gantz, comme on dit, “botte en touche”, avec un argument absolument spécieux et extraordinairement sophistique : c’est à l’Iran de décider, par son comportement, si on doit l’attaquer ou pas, – ce comportement étant évalué, bien entendu, par ceux qui lanceraient l’attaque… Le résultat est tout de même que Gantz recommande implicitement de surtout ne pas se précipiter vers une attaque. (Ci-après, Selon Haaretz.)

«Speaking to the Herzliya Conference, Gantz said that Iran's nuclear program is a “global problem and a regional problem”. He added that Iran could cross the nuclear threshold within a year, if it decides to do so. “There is no doubt that Iran is seeking military nuclear capability,” Gantz said.

»Gantz said that Gulf states are just as concerned about Iran's nuclear program as Israel is. He added, however, that “we must not forget one basic thing: Israel is the only country in the world which someone is calling for its destruction and which someone is building the tools to do so. This is something that cannot be ignored.”

»“The world and the region must continue to isolate Iran,” Gantz said. “It is correct to continue economic pressure and sanctions, from which we are starting to see signs of achievement and progress in terms of what is going on in Iran. It is correct to act and continue to disrupt processes associated with the development of the Iranian nuclear project and to work to enhance oversight over what is happening.”

»Gantz said that there must be a strong military option, ready to be used “if and when it is needed”. Gantz estimated that “only the Iranian regime will decide at the end of the day if it will give up on a military nuclear capability. But determined and consistent action will bring [Iran] to this strategic insight.”»

• D’autre part, il y a une interview (exclusivité de The Independent, le 2 février 2012) d’un général israélien à la retraite, mais semble-t-il toujours actif, et qui est, qui plus est, un “proche du ministre de la défense Ehud Barak”. Il s’agit du lieutenant général Amnon Lipkin-Shahak. Ses déclarations sont extrêmement alarmistes, ou dans tous les cas formulées et présentées dans ce sens. Pour lui, une attaque contre l’Iran aurait des conséquences catastrophiques auxquelles les planificateurs ne semblent guère attacher d’importance, impliquant les ripostes de l’Iran, des interventions du Hamas et du Hezbollah, etc. Implicitement, Lipkin-Shahak laisse entendre que les sanctions contre l’Iran commencent à avoir de l’effet, ce qui est une thèse largement contredite par tout un courant d’analyse contraire, et que toute la hiérarchie militaire et de sécurité israélienne (donc, Gantz compris) est contre une attaque contre l’Iran “au point où l’on en est” actuellement. En un sens, Lipkin-Shahak dit donc à peu près la même chose que Gantz, mais en insistant sur l’aspect catastrophique d’une attaque “pour l’instant”, sans nous instruire en quoi une attaque dans un an par exemple, s’il s’avérait que les sanctions ne marchaient pas, serait moins catastrophique. En effet, considérant l’état d’armement et d’alerte maximaux où se trouvent les agresseurs potentiels, essentiellement les USA et Israël, considérant la tendance de crise qui va vers la restriction des budgets militaires dans ces pays (particulièrement les USA), considérant enfin les progrès défensifs et contre-offensifs réalisés par les Iraniens depuis 7 ans et qu’ils vont continuer à développer, on ne peut dire que le temps travaille dans le sens où une attaque dans un an aurait des effets moins catastrophiques qu’aujourd’hui. Manifestement, le but de Lipkin-Shahak est de décourager l’idée d’une attaque “pour l’instant” sans se préoccuper du reste...

«Lt-Gen Amnon Lipkin-Shahak, who is close to Defence Minister Ehud Barak, said there had been little analysis of what happens the “day after” when the Tehran regime and its paramilitary allies retaliate. He warned that an assault may lead to Mahmoud Ahmadinejad benefiting from popular anger against foreign aggression.

»General Lipkin-Shahak stressed that Iran with a nuclear arsenal would be a hugely destabilising factor in the region. But, he said: “It is quite clear that much if not all of the IDF [Israeli Defence Forces] leadership do not support military action at this point.” […]

»General Lipkin-Shahak stressed he had no idea what decision the security cabinet would reach. He said the current Chief of General Staff (CGS), Lt-Gen Benny Gantz, and Mr Dagan's successor at Mossad, Tamir Pardo, would offer advice. “We have to remember that the CGS and the head of Mossad are there to serve the State of Israel, they are not party political. They will no doubt offer judgement and advice on what is best for Israel,” he said. “In the past the advice of the head of the IDF and the head of Mossad had led to military action being stopped.”

»Sanctions on Iran imposed by the EU and the US, including an oil embargo, were stronger than many people had expected, said Lt-Gen Lipkin-Shahak. “They are already having some impact on the Iranians on the street, they are worried. They may feel that it is the actions of the [Iranian] government which has created this situation. So one would think it would be worth seeing what impact the sanctions have before taking the next step.”»

Désordre, désordre… Ainsi Gantz et Lipkin-Shahak disent-ils la même chose sous des formes complètement différentes, selon une tonalité différente, mais tous les deux dans un seul but : gagner du temps par rapport aux intentions supposées de Netanyahou-Barak de lancer une attaque le plus rapidement possible. Le point de friction est que, pour les uns, les sanctions vont marcher et conduire les Iraniens à la capitulation, et que, pour les autres, les sanctions ne marcheront pas et qu’il faut donc attaquer tout de suite. The Independent ajoute une précision sur une querelle entre Gentz et Netanyahou sur la nomination du nouveau chef de la force aérienne ; Gentz vaut faire nommer un de ses “hommes”, le général Eshel, Netanyahou veut faire nommer son ancien conseiller militaire, le général Locker ; le second, on s’en douterait, est supposé plus favorable que le premier à une attaque contre l’Iran… Tous ces militaires israéliens, en activité ou à la retraite, qui parlent de toutes les façons et sur des tons bien différents, mais dans le même sens qui est hostile à Netanyahou, sont identifiés par The Independent comme faisant partie du groupe Dagan.

On ignore exactement qui fait quoi et qui tient les nœuds de l’affaire en Israël, – et pour cause, après tout, – mais on commence à observer un paysage particulièrement chaotique avec ce qui ressemble de plus en plus à une fronde organisée des militaires et autres chefs des services de sécurité. La phrase de Lipkin-Shahak, dite après l’affirmation que la hiérarchie militaire et de sécurité nationale est contre l’attaque, pèse de tout son poids, comme un avertissement au pouvoir civil israélien : «In the past the advice of the head of the IDF and the head of Mossad had led to military action being stopped.» Cela ne signifie pas qu’on aille vers un basculement du pouvoir en Israël, mais plutôt qu’on continue à évoluer vers un fractionnement du pouvoir qui pourrait conduire à la paralysie et à l’impuissance. Nous avons déjà envisagé que l’attaque contre l’Iran pourrait bien désormais dépendre d’une sorte de “coup d’État” de Netanyahou contre sa hiérarchie de sécurité nationale, pour forcer dans une occurrence brutale à une attaque, éventuellement avec l’aide de l’une ou l’autre provocation ; on est désormais conduit à imaginer plus loin encore, que même ce type de “coup d’État” interne devienne impossible, si les hiérarchies en place acquièrent de plus en plus de poids et d’audace, et qu’on soit conduit au-delà, justement vers des situations d’impuissance et de paralysie. Cela participe de cette évolution qu’on a déjà décrite, vers une “tension figée”, et, dans tous les cas, vers toujours plus de désordre, dans le pays concerné, dans la crise concernée, dans la région où tout cela se déroule et ainsi de suite…


Mis en ligne le 2 février 2012 à 12H36