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200211 octobre 2007 — Nous avons rapproché et confronté quelques nouvelles pour observer combien la notion de “nouveau conflit” lié directement ou indirectement à la crise climatique est en train de devenir très actuelle. Et combien elle concerne l'Europe enchaînée aux USA
• La loi fiscale FY2008 votée par le Congrès pour le département de la défense et d’autres agences de sécurité contient une disposition inédite et remarquable. Le Congrès enjoint au Pentagone de se lancer dans l’étude et la planification de conflits directement liés à la crise climatique (selon Government Executive du 4 octobre).
«The measure requires military planners to assess the risks of projected climate change on current and future missions, update defense plans based on those assessments and develop the capabilities needed to reduce future impacts.
»In addition, the provision specifically directs military planners to consider the effects of climate change when developing the next quadrennial defense review, national security strategy and national defense strategy. The Defense secretary is to use the mid-range projections of the fourth assessment report of the Intergovernmental Panel on Climate Change or more recent “mid-range consensus climate projections” if they are available.
»The legislation follows the recommendations of a panel of retired generals and admirals who studied the impact of climate change on national security for the CNA Corp., a nonprofit research firm that includes the Center for Naval Analysis and the Institute for Public Research.
»The retired leaders, who issued a report earlier this year, concluded that the national security implications of climate change are significant. Changing weather patterns are causing increased drought or flooding, for example, which leads to mass migrations of people. This threatens political and economic instability, especially in parts of Asia and Africa. Additionally, the resulting pressure on international borders is creating new tensions over vital resources such as food and water.»
• L’injonction du Congrès est donc de s’appuyer sur un imposant rapport d’anciens chefs militaires, disponible depuis avril 2007 sur le site de CNA Corp. On trouve des indications assez complètes sur ce rapport, sur le site Environment News Service (ENS) en date du 16 avril 2007. Nous citons deux extraits du texte de ENS, qui concernent des estimations de deux des anciens officiers généraux qui ont participé à la rédaction du rapport. Le premier est cette appréciation de l’amiral Joseph Lopez, qui fut commandant en chef des forces navales en Europe et de Southern Command (le commandement Sud de l’OTAN):
«Climate change can provide the conditions that will extend the war on terror. Rising ocean water levels, droughts, violent weather, ruined national economies-those are the kinds of stresses we'll see more of under climate change.
»In the long term, we want to address the underlying conditions that terrorists seek to exploit. But climate change will prolong those conditions. It makes them worse.»
Le second extrait concerne la situation africaine dans le cadre de la dégradation climatique, et l’intervention de l’ancien général de l’USAF Charles “Chick” Wald:
«The report focuses on the ways in which climate change can contribute to shortages of food, drinking water and farmland, adding strain in a region that is already the source of 30 percent of the world's refugees. It states: “Such changes will add significantly to existing tensions and can facilitate weakened governance, economic collapses, massive human migrations, and potential conflicts.”
»“We ought to care about Africa because we're a good country,” retired Air Force General Charles “Chuck” Wald said in the report. […] “We have a humanitarian character; it's one of our great strengths, and we shouldn't deny it. Some may be tempted to avert their eyes, but I would hope we instead see the very real human suffering taking place there. We should be moved by it, challenged by it.”
»“Even in the context of security discussions, I think these reasons matter, because part of our security depends on remaining true to our values,” General Wald said.
»“We import more oil from Africa than the Middle East —probably a shock to a lot of people — and that share will grow... we'll be drawn into the politics of Africa, to a much greater extent,” he said.»
• On comprendra, d’après les deux extraits ci-dessus, et avec leurs significations combinées, l’intérêt nouveau des USA pour l’Afrique, avec l’établissement en février 2007 d’un nouveau commandement de théâtre, — African Command (AFRICOM) dont le quartier-général vient d’être établi (le 1er octobre) à Stuttgart, en Allemagne, pour devenir effectif le 1er octobre 2008. C’est ce point de la localisation qui nous importe en l’occurrence : l’Allemagne, et pas l’Afrique? Le site SpaceWar.com reproduit le 9 octobre un texte de Dina Lyakhovich, de l’Agence Novosti. Dina Lyakhovich explique que AFRICOM est en Allemagne parce qu’à part le Libéria, pays trop excentré et insuffisamment intégré dans l’ensemble africain, les USA n’ont pas trouvé de pays qui accepte ce quartier-général.
«The new command has extensive, even if a bit vague, tasks, such as promoting stability and civic development, improving living standards and preventing the spread of terrorism, training African servicemen and supplying weapons, and bringing medical aid to Africa.
»It all sounds good and noble, but why then have the majority of African states, which hardly ever refuse humanitarian, economic and military aid, said “no” to the Americans? Washington was taken aback.
»The explanation is simple: African nations fear that AFRICOM and its headquarters will attract the attention of terrorists and other enemies of the United States.
»Magazine Jeune Afrique wrote in September that locating AFRICOM's headquarters in Africa would create a situation similar to that in the Middle East, to which the United States brought fire and bloodshed, allegedly in a desire to spread democracy. Instead of protecting the continent from terrorism, AFRICOM will attract terrorists to Africa like a magnet attracts metal, the same as the invasion of Iraq by the Anglo-American armies attracted terrorists to Mesopotamia, the magazine writes.
»There are solid reasons behind that comparison with the Middle East. The proclaimed goals of the new U.S. regional command sound very much like Washington's plans to spread democracy to the Broader Middle East. The relevant examples of that policy are Afghanistan, Iraq and Lebanon, where human suffering has not abated.
(…)
«Although the proclaimed goal of AFRICOM is to find common language with African nations, nobody can guarantee that it will do better there than it did in Iraq or Afghanistan. I am referring not only to stabilization and the spread of democracy— after all, opinions of these goals can differ — but also, and mainly, to trying to understand the locals and their requirements, to become accepted in a foreign land. […] In fact, what the United States wants in Africa is oil, which will soon account for 25% of American oil imports. It needs to protect and guarantee future deliveries, because competition is growing in Africa at breakneck speed.»
La question des “guerres de l’environnement”, ou “guerres de survie” liées à la crise climatique, est une question posée à la stratégie depuis beaucoup plus de temps qu’on imagine en général. Du côté US, elle fut posée dès 1988, avec le rapport Competitive Strategies, réalisé par un groupe d’experts du Pentagone sous la direction du n°2 du département, Fred C. Iklé. Pour autant, on ne peut dire que des progrès aient été faits dans la compréhension de ces conflits, la façon de les aborder, les implications qui les accompagnent, etc. On (le Congrès) en est encore, comme on le constate, à envoyer des instructions au Pentagone pour qu’il entame une étude sérieuse de ces conflits.
On voit aussitôt l’orientation qui sera prise au travers du rapport cité, qui sera sans aucun doute utilisé comme base de travail. Les guerres de l’environnement, comme les conçoit Washington, seront perçues comme la suite, l’extension, la transmutation de la guerre contre la terreur (voir la déclaration de l’amiral Lopez). Un symbolisme extrêmement fort y invite: le caractère définitif, presque mystique, de survie de la civilisation de la guerre de la terreur, — fabrication évidente de la machine de communication du système, — devient une réalité. Les guerres de la crise climatique sont de véritables “guerres de survie” et il est bien tentant d'amalgamer la “survie” de l’humanité à la lutte contre la Terreur. La dimension morale et vertueuse de l’Amérique, passant de la guerre contre la terreur aux “guerres de survie” en restant du bon côté, est assurée.
L’établissement du commandement AFRICOM suggère dans ce sens la signification à venir des “guerres de survie”. C’est en Afrique notamment, voire principalement, qu’auront lieu nombre de ces conflits et les troubles divers qui les accompagnent, les préparent, les aggravent, etc. Bien entendu, l’établissement d’AFRICOM ne peut être présenté du côté US que comme une mesure unilatéraliste de salubrité et de morale internationaliste. Le commentaire du général Charles “Chuck” Wald, général retiré de cette fameuse ONG humanitaire qu’est l’U.S. Air Force, est à couper le souffle… A lire ces observations à la lumière de ce qui se passe en Irak et de tout ce qui a précédé, il ne peut être question d’impudence, d’hypocrisie, de menteries et de toute cette sorte d’embrouillaminis trop humains; nous sommes, à 180 à l’heure, dans le domaine de l’inculpabilité US… Que veut-on, pense-t-on aussitôt, — c’est plus fort qu’eux, ils sont bons, ils sont humanitaires, c’est leur nature même.
«We ought to care about Africa because we're a good country. […] We have a humanitarian character; it's one of our great strengths, and we shouldn't deny it…»
On sent le poids de la charge du destin, de la charge de la vertu qui pèse sur les pauvres USA. A peine est-il utile de préciser le lien de cause à effet de la vertu à la nécessité, comme fait le général de l’USAF, et sans qu’il faille y voir de mauvais esprit, — surtout pas, l’erreur serait grossière, — d’ailleurs il ne s’en dissimule pas une seconde puisque la rengaine ONG humanitaire enchaîne effectivement et directement sur l’évidence candide de la défense des intérêts de cette “good country” (nous, America the Beautiful): «We import more oil from Africa than the Middle East —probably a shock to a lot of people — and that share will grow...»
Y a-t-il réellement de quoi s’étonner que les Africains, dans leur sagesse immémoriale, réagissent comme ils le font aux propositions d’établissement de AFRICOM? Ne peuveut-ils craindre qu’AFRICOM déclenche, comme disait le Che en 1965, “cent, mille Irak” sur le continent africain, du fait des Américains, spécialistes en la matière? Ne peut-on se demander d’où vient the Coming Anarchy qu’annonçait Robert D. Kaplan en 1994 …?
Résumons la situation par quelques points qui sont des constats et des supputations pour l’avenir, autant de voies et de voix de réflexion.
• Prise dans son sens le plus large, d’une façon ou d’une autre, quels que soient les arguments contournés autour des responsabilités directes, la crise climatique est la crise du Progrès, ou la crise de la civilisation occidentale. Il y a une collision évidente entre nos besoins exponentiellement et artificiellement suscités par les exigences de notre production globalisée (notre «économie de force», otage du machinisme et de la technologie) et l’exploitation de ressources finies par définition et à un moment ou l’autre, et de plus en plus rapidement. La crise climatique dans son sens le plus large, y compris le saccage de l’environnement qui pèse autant sur nos corps que sur nos psychologies, que sur notre équilibre spirituel, cette crise est le produit indiscutable de notre modernité, par toutes les voies possibles. Ce “dégât collatéral” du Progrès est en train de prendre le devant de la scène.
• Le principal artisan de la chose, c’est l’américanisme en tant qu’avancée extrême de la modernité, — dont nous (Européens) sommes partie prenante malgré des aspects subversifs en plus propres à l’aventure américaniste, qui distinguent les USA. (Nous sommes à la fois moins et plus coupables que les USA, — moins parce que c’est l’évidence de notre psychologie et de notre esthétique et que nous avons une vision critique plus ou moins forte de l’américanisme et de sa folie; plus parce que cette vision critique montre que nous nous doutons de quelque chose et que nous n’avons rien fait.)
• Ce sont donc ces mêmes américanistes qui sonnent l’alarme des “guerres de survie” à naître de la crise climatique, dont ils portent in fine la reponsabilité. Ils confondent déjà cette alarme avec celle qu’ils ont sonnée le 11 septembre 2001, à la suite d’une attaque aux modalités bien incertaines, de toutes les façons née par ses racines diverses dans les tréfonds d’une politique impérialiste ayant connu plusieurs versions successives mais en action d’une façon continue depuis 1847 (l’invasion du Mexique et la proclamation de The Manifest Destiny).
• Pour faire face à cette alarme des conflits de la crise climatique, dont nombre de signes viennent de l’Afrique, ils installent leur African Command en … Allemagne. Ils se trouvent au cœur du continent dont les liens complexes, contradictoires et ambigus avec l’Afrique sont connus, délicats et explosifs. S’il ne peut installer l’incendiaire au cœur du continent visé, le Pentagone l’installe au cœur du continent dont le destin est expressément lié au continent visé. L’Europe s’en avise-t-elle?
• Cette localisation n’est pas indifférente, quelle que soit sa fortune et quel que soit le but poursuivi. A la première alerte africaine après son activation, AFRICOM sera impliqué, et, par voie de conséquence sinon de proximité telle que les USA savent les ménager, l’OTAN, puis l’UE et sa politique de sécurité commune, puis les nations évidemment sollicitées, — Royaume Uni, France, Allemagne et la suite. Comme on l’a vu, les USA s’y entendent pour sonner les alertes.
… Les “guerres de survie” et la mise en place d’AFRICOM laissent craindre la mise en place de processus déstabilisants supplémentaires US où l’Europe pourra difficilement éviter d’être impliquée. Il se pourrait bien, s’il ne nous reste plus dans le futur qu’une seule “valeur commune” avec l’Amérique, que ce soit la vertu d’incendiaire répandue à travers le monde pour activer tous les feux qui couvent, eux par autisme d’inculpabilité et nous par suivisme de fascination.