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1675Il n’est pas indifférent que le ministre russe des affaires étrangères Lavrov ait caractérisé la phase actuelle de la crise syrienne par le mot “hystérie”. Il s’agissait de la première réaction circonstanciée des Russes à propos de l’actuelle séquence autour de la toujours-mystérieuse “attaque chimique” de la semaine dernière et de l’entraînement général du bloc BAO pour une attaque contre la Syrie. Le premier message “tweeté” du ministère des affaires étrangères à propos de cette conférence de presse portait effectivement sur cette qualification («Lavrov: We are highly concerned about Syria, with growing hysteria and confrontation from the use of chemical weapons by Syrian authorities»), tout comme le titre que choisit Russia Today, le 26 août 2013 : «Hysteria around chemical attack suits those who want military intervention in Syria – Lavrov».
Effectivement, le mot convient parfaitement au climat qui entoure l’actuelle poussée de fièvre et d’entraînement vers une attaque, et il convient d’autant mieux que ce climat n’est guère substantivé par une argumentation construite et puissamment affirmée. L’hystérie touche l’“attaque chimique” et la désignation du “coupable” prononcée avant toute enquête et vérification. Au-delà, et d’une façon caractéristique, règne l’incertitude ... Par exemple, – mais exemple puissant puisqu’il concerne le mot d’ordre initial et constant pendant plus d’un an, – il n’est guère question de la chute du régime Assad et du sort du président syrien qui devrait disparaître, selon le même mot d’ordre initial, de la scène politique (“l’homme qui ne mérite pas d’exister”, selon Fabius, circa-2012).
C’est effectivement ce que note aussitôt l’analyse de la situation washingtonienne mise en ligne le 26 août 2013 par le bureau de Washington de McClatchy, par Hannah Allam. L’idée générale est bien : que ferait-on de la Syrie si le régime Assad, qu’on s’apprête à attaquer, tombait ? Toutes les hypothèses à cet égard sont bien pires que l’actuelle situation... Ainsi faudrait-il attaquer la Syrie tout en faisant tout ce qu’il est possible pour que Assad reste en place.
«Foreign policy analysts and Middle East experts say that the U.S. administration is trying to peel the chemical weapons issue away from the rest of the conflict, which is raging into a third year with more than 100,000 dead and no end in sight. The immediate U.S. goal, analysts said, is punishment for Assad’s alleged breach of President Barack Obama’s “red line” against chemical warfare – but not the abrupt collapse of the regime. “It’s a difficult one,” said Joshua Landis, director of Middle East Studies at the University of Oklahoma and author of the Syria Comment blog. “(Obama) has got to make it count so he isn’t called weak and feckless, but he also can’t get sucked into the Syrian swamp.”
»American demands for Assad to step aside have become muted as the conflict has transformed into a regional free-for-all, with al Qaida-linked militants dominating the rebel movement and Assad getting backup from Iran and the Lebanese guerrillas of Hezbollah. The Turkey-based political opposition, crippled by infighting and beholden to rival Persian Gulf powers, is in no shape to even nominally govern a landscape marked by gun-toting extremists, war-ravaged infrastructure and millions of displaced civilians.
»Some analysts contend that the United States could’ve avoided this scenario by taking more forceful action earlier and building a moderate, Western-friendly force to fight Assad; others praise Obama’s reluctance to get entangled in another long-term sectarian conflict so soon after the Iraq war. In any case, today’s reality is that the United States finds itself with no reliable partner in Syria as it mulls a risky intervention...»
Hystérie certes, mais alors hystérie incertaine, qu’on retrouve même au sein de l’administration. Tout le monde a répercuté l’intervention de Kerry développant sans hésitation la narrative en vogue (attaque chimique perpétrée par le régime Assad, qui a tout fait pour détruire les preuves de son intervention mais qui subira les conséquences de son infamie, selon sa culpabilité prouvée avant même que les faits aient eu lieu) ; Kerry lui-même relaie la position de la Maison-Blanche mais ne semble guère en phase avec celle du Pentagone. C’est ce que remarque encore l’analyse de McClatchy, qui rapporte une déclaration du secrétaire à la défense Hagel beaucoup moins mise en évidence que celle de Kerry, alors qu’elle avait lieu le même jour.
«Even as momentum for a military response appears to build at the White House and the State Department, the Pentagon continues to sound a more cautious note. Speaking in Indonesia, Defense Secretary Chuck Hagel indicated Monday that the United States would be unlikely to take unilateral military action in Syria and said he didn’t want to discuss specific responses “until we get all the facts and we are absolutely confident of what happened in Syria.” That sounds at odds with Kerry saying the same day that chemical weapons use in Syria was “undeniable.”»
L’idée générale serait donc qu’il y aurait une attaque de représailles et de punition puisque l’hystérie nous dit qu’il y a eu “attaque chimique” et que le coupable ne peut être qu’Assad ; mais cette attaque devrait être extrêmement prudente et précise pour toucher seulement ce qui doit l’être (éventuellement l’armement chimique d’Assad), pour dissuader Assad d’employer à l’avenir des armements de destruction massive, dont le chimique (dont on espère qu’il serait préalablement détruit), pour laisser Assad en place parce qu’on n’a rien d’acceptable à mettre à sa place. Un tel plan serait concocté par la NSA qu’il ne serait pas différent...
Il faut noter que d’autres ont des idées différentes. DEBKAFiles, qui juge de bonne politique (israélienne, certes) de choisir dans cette affaire la ligne ultra-hystérique jusqu’au bout, annonce que l’attaque aérienne du bloc BAO serait suivie d’une invasion terrestre par une sorte de “coalition of the willing” comprenant l’Arabie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis, et là nous conduisant à l’élimination d’Assad semble-t-il. Un autre courant d’analyse, moins sensible à l’hystérie, estime au contraire que toute hypothèse d’une action des pays de la Ligue Arabe, qui se réunit aujourd’hui, devra faire face à une désunion non négligeable, notamment avec le refus probable de soutenir toute attaque contre Assad (y compris les frappes aériennes du bloc BAO) de la part au moins de l’Égypte, de l’Irak et du Liban. On verra, mais la position égyptienne (qui est affirmée dans la presse égyptienne relayant la position du gouvernement) est la plus intéressante à suivre puisque les militaires, malgré la reconnaissance qu’ils doivent à l’Arabie, ont une politique complètement opposée à celle de Morsi qui s’était brusquement radicalisé contre Assad peu avant sa déposition, – et ceci expliquant largement cela, certes, – et le tout revenant à une position presque opposée à la vindicte anti-Assad de l'Arabie. La question intéressante à cet égard est bien de voir si l’Égypte exprimera effectivement ou pas son opposition à une attaque contre la Syrie ; non qu’une telle prise de position publique puisse changer quoi que ce soit dans l’immédiat, mais parce qu’elle nous en dirait beaucoup sur la suite des événements, au-delà de la séquence crisique actuelle.
D’autres commentaires, faits par des sources qui ne semblent par pourtant spécialement amies d’Assad, ridiculisent les intentions supposées de l’administration Obama (McClatchy, à nouveau) : «Rami Khouri. the director of the Issam Fares Institute for Public Policy and International Affairs at the American University of Beirut, said it was “pretty amateurish policy” to believe that Assad could be dissuaded from resorting to future mass-casualty attacks by limited, carefully calibrated U.S.-led strikes. He said that the United States and its allies are misreading the nature of a regime that is fighting for survival. “These people don’t respond to pinprick, laser-like, finely targeted attacks. It brings about the opposite reaction. I think it would just escalate the situation,” Khouri said. “It’s like a bunch of gladiators fighting in a pit,” he added. “One is going to die and one is going to win.”»
Ainsi est-on conduit à juger qu’il existe un singulier contraste, entre d’une part cet entraînement hystérique vers une intervention armée, précisément concentré sur l’affaire de l’“attaque chimique” qui ne peut être que le fait d’Assad, et d’autre part les considérations sur la situation générale actuelle de la Syrie, et la situation qui résulterait d’une intervention contre Assad, et tout se passant comme si ces considérations nous disaient que la priorité numéro un semble bien être de faire en sorte qu’Assad reste en place. Ainsi voudrait-on d’une part que tout change décisivement, et qu’Assad aussi bien que la communauté internationale sachent bien que le bloc BAO est et reste le maître suprême, dispensant des leçons de morale impératives aussi bien que des cruise missiles extrêmement précis ; d’autre part, que rien ne change décisivement, parce que personne ne veut se trouver vraiment impliqué en Syrie, et que d’ailleurs on ne saurait pour l’instant qui mettre à la place d’Assad puisque les candidats les plus probables à cet égard sont pires qu’Assad... A cette lumière, on comprend le scepticisme de monsieur Rami Khouri, nous parlant d’une “politique d’amateur” en considérant ces intentions hypothétiques de l’administration Obama.
D’une façon plus générale, nous retrouvons dans ces analyses le contraste de situations entre les puissants entraînements de la psychologie, jusqu’à l’hystérie selon Lavrov, tels que nous avons tenté de les décrire le 25 août 2013, et les interventions mesurées et planificatrices tentant de “rationaliser“ la situation en limitant les événements au seul cadre qui les concerne. Cette opposition, cette dualité antagoniste, absolument caractéristique de la situation générale de crise que nous connaissons actuellement, contraste absolument avec les situations antérieures qui sont parfois évoquées en référence (l’Afghanistan en 2001 et l’Irak en 2003), en marge de l’attaque envisagée contre la Syrie. Lors de ces deux conflits, la psychologie et la planification étaient parfaitement accordées, toutes deux offensives, et toutes deux destinées à obtenir une victoire totale avec liquidation des deux régimes impliqués (talibans et Saddam), toutes deux avec engagement sans limite (jusqu’à l’offensive terrestre dans le cas irakien). (La même unité était évidente au niveau des pouvoirs impliqués, ce qui n’est même pas le cas, pour l’engagement syrien à Washington où, même au Congrès, existent des remous et des oppositions sérieuses [voir Politico.com, le 26 août 2013.])
Effectivement, dans leurs premières phases, ces deux guerres furent autant de succès très rapides (moins de deux mois pour les talibans, moins d’un mois pour Saddam) ; l’enlisement catastrophique n’est venu qu’après, d’ailleurs très largement favorisé, sinon créé, par les vainqueurs eux-mêmes, par leurs maladresses diverses. Cette fois, l’enlisement existe avant que la guerre ne commence, – si “guerre” il y a et s’il s’agit bien d’une “guerre”. Situation inédite par conséquent, à propos de laquelle même les “modèles” du Kosovo et de la Libye, chacun beaucoup trop spécifique et de conditions très différentes, et surtout beaucoup plus clairement défini que la situation syrienne, ne donnent aucune indication ... Bref, il s’agit d’une plongée dans l’inconnu, au son de l’hystérie qui prend ses racines dans l’affectivité comme jugement politique, et dans la communication comme référence et influence principales du jugement politique. Tout cela, certes, dans la mesure où l’on peut parler de “jugement” et de “politique”, c’est-à-dire croire qu’il existe encore chez le sapiens courant des directions politiques du bloc BAO une réelle autonomie d’appréciation et d’action.
Mis en ligne le 27 août 2013 à 09H38