Les inconséquences révélatrices de STRATFOR

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Le site du groupe d’information et d’analyse stratégique STRATFOR a été attaqué et mis en grandes difficultés le 24 décembre par le groupe de hackers nommé, a-t-il semblé au début, Anonymous. Il peine à retrouver une situation normale. Fred Burton, le vice-président pour le renseignement et la sécurité de STRATFOR, avoue piteusement : «[O]nce they fixate on you or try to attack you it's extraordinarily difficult to defend against.» Le site STRATFOR est toujours fermé, alors que le groupe cherche désespérément à mettre en place des procédures de protection.

STRATFOR et son président, George Friedman, savent parfaitement que leur statut d’organisation frontiste du système de sécurité nationale de l’américanisme implique des adhésions et des soutiens massifs d’organismes et de personnalités du Système, voire des échanges continuels d’informations confidentielles. En échange, ces organisations et personnalités attendent une protection efficace, à la fois personnelle, financière et professionnelle. STRATFOR n’a pas été capable de leur assurer cette protection et, s’il ne parvient pas rapidement à les convaincre qu’il a mis en place un système efficace à cet égard, son avenir, dans tous les cas dans le sens prestigieux et plantureux de la perspective, est compromis.

Parmi d’autres sources (voir AFP, via RAW Story le 27 décembre 2011), le Guardian donne, ce 28 décembre 2011, les dernières nouvelles de STRATFOR et des “Robins des bois”, type Anonymous ou tout autre groupe du genre, – à cet égard, leur identification a fort peu d’importance, ainsi que leurs revendications, voire les effets concrets de leur action comme de redistribuer de l’argent pris sur les cartes de crédit des “clients-copains” de STRATFOR vers des organisations caritatives… L’essentiel est bien l’acte lui-même, contre STRATFOR, découvrant la vulnérabilité de STRATFOR.

«Thousands of customers of a leading US security company are due to be given specialised identity theft protection after computer hackers linked to the Anonymous group claimed to have diverted more than $500,000 from their private bank accounts to charities including the Red Cross, CARE and Save the Children. The Robin Hood-style attack started on Christmas Eve and was aimed at clients of Stratfor, a security analysis company based in Austin, Texas. Hackers obtained thousands of credit card numbers and other personal information from the firm's clients and started making payments to the charities.

»The company's chief executive, George Friedman, has told clients, which include several US government departments, foreign embassies, Interpol, the US army and the United Nations, that by Wednesday they will have received “identity theft protection and monitoring”. In the meantime, he urged them to regularly check their accounts and credit reports and issued his “sincerest apologies” for the security breach, which makes it possible for anyone with access to the internet to download thousands of credit card account details, complete with security codes, in less than a minute.

»The assault was believed to have been orchestrated by a branch of the loosely affiliated hacker group called Anti-Sec and appeared to be inspired by anger at the imprisonment of Bradley Manning, the US army private who is accused of leaking hundreds of thousands of US government files to WikiLeaks. An online statement from the group said the attack would stop if Manning was given “a holiday feast … at a fancy restaurant of his choosing”.

L’article cite largement Friedman lui-même, qui envoie des avertissements pressants à ses abonnés et “collaborateurs extérieurs”, de surveiller leurs comptes, la situation de leurs cartes de crédit ; de ne pas attaquer non plus, de façon publique (notamment sur Facebook), les hackers, de crainte de représailles personnelles très soignées, etc., ce qui n’est pas une recommandation très glorieuse.

«“On 24 December an unauthorised party disclosed personally identifiable information and related credit card data of some of our members,” Friedman said in a statement. “We have reason to believe that your personal and credit card data could have been included in the information that was illegally obtained and disclosed. Also publicly released was a list of our members, which the unauthorised party claimed to be Stratfor's ‘private clients’.

»“Contrary to this assertion the disclosure was merely a list of some of the members that have purchased our publications and does not comprise a list of individuals or entities that have a relationship with Stratfor beyond their purchase of our subscription-based publications.” […]

»“It has come to our attention that our members who are speaking out in support of us on Facebook may be being targeted for doing so and are at risk of having sensitive information repeatedly published on other websites,” the company said in a statement. “So, in order to protect yourselves, we recommend taking security precautions when speaking out on Facebook or abstaining from it all together.”»

Répétons-le, non sans une certaine tendresse amusée pour ceux qui se laisseraient aller à rêver du contraire : STRATFOR est une organisation frontiste, qui dispense les consignes du Système avec sophistication, avec du caractère, du type musclé, éventuellement spenglerien, du géopoliticien qui n’a pas peur de manier les réalités cruelles du monde sans sentimentalisme excessif… Bon, à condition que ce soit, tout cela, dans le sens du Système. (Cela est de plus en plus le cas de toute géopolitique, dans la mesure, influencée puissamment par les formidables changements des sources de la puissance avec le phénomène de la communication, où la géopolitique est la science de la politique réduite à la puissance brute et sans conscience, et que le Système ne peut jurer que par cette puissance-là [dito, l’“idéal de puissance”] ; par conséquent, la géopolitique est sa méthode favorite pour “penser le monde”.) Dans ce sens, – celui du Système, – Friedman et ses acolytes écrivent avec intelligence, parfois originalité, parfois d’une façon intéressante du point de vue de l’information pour celui qui sait séparer le bon grain de l’ivraie, et finalement en toute liberté à condition que cette liberté soit dans le sens du Système. Cette situation est à l’exacte imitation des adversaires les plus décidés de ce que représente le Système, ces métaphysiciens (Maistre, Schelling) qui admettent l’existence du libre-arbitre en notant que cette existence ne peut pas contrarier le dessein de la volonté supérieure du Principe Unique, et que c’est ainsi que sont les choses. Le Système est donc le double négatif, ou disons plus justement inversé, de la métaphysique ; et Friedman, tout comme STRATFOR, métaphysiciens inversés, ont toujours bien compris la “règle du jeu”.

C’est pour cette raison que tout le gratin du Système souscrit à STRATFOR et subventionne STRATFOR, pour recevoir sous une forme intelligente et sophistiquée les consignes du Système. (On avait pu croire à quelque chose de différent lors de la guerre du Kosovo parce que le Système était en pleine confusion, les républicains et les “services”, dont STRATFOR est proche, s’étant opposés à la politique clintonienne d’intervention. Cela dura ce que dura cette étrange “guerre”, de mars à juin 1999.)… Mais la “règle du jeu” a ses impératifs. Les centres de réflexion type STRATFOR sont soutenus sans réserve, y compris avec une manne de dollars, à condition qu’une sécurité absolue soit maintenue concernant cette intervention constante d’intérêt et de soutien. Ce qui se passe depuis le 24 décembre dispense une ombre cruelle et inquiétante sur cet aspect des choses. Friedman et STRATFOR ont intérêt à mettre en place une carapace hermétique de protection s’ils veulent bénéficier de la poursuite de leur position privilégiée. Sans cela, le Système sera impitoyable à leur encontre ; c’est-à-dire qu’on ne plaisante pas avec l’intégrité des bonnes réputations et des cartes de crédit bien dotées. On verra si STRATFOR saura le convaincre et les convaincre, le Système et ses troupes innombrables, que la solution trouvée est l’hermétisme assuré.

En attendant, cette mésaventure causée par ces espèces de groupes dépenaillés, mi-amateurs malins en informatique, mi-anarchistes postmodernes, n’est pas glorieuse pour le Système et s’avère même plutôt inquiétante pour lui. Oserions-nous la comparer, dans un autre domaine, à l’aventure survenue au RQ-170 “capturé” par la cause de ces sauvages illettrés, ignares de ce qu’est la civilisation comme chacun sait depuis Zoroastre et Darius, que sont les Iraniens ? L’analogie est tentante, parce que STRATFOR est une représentation impeccable du système d’information que le Système entretient dans le cadre immense et multiple du système de la communication pour faire perdurer sa prépondérance incontestable… Mais, comme l’on sait, le système de la communication est un foutu Janus, et il a aussi bien des tendresses pour les hackers et autres Robins des bois dépenaillés de l’un ou l’autre groupe Anonymous. Alors oui, peut-être, l’aventure de STRATFOR a sa place, aux côtés de l’aventure du RQ-170, dans la grande et ultra-rapide entreprise en cours de détricotage de la puissance du bloc BAO.


Mis en ligne le 28 décembre 2011 à 11H37


Mise à jour

• Notez également cet article de Russia Today qui vient d’être mis en ligne, ce 28 décembre 2011, détaillant l’opération d’Anonymous contre STRATFOR et donnant divers commentaires. Ceci, notamment, qui rend bien compte de la situation où se trouve STRATFOR : «Technology commentator Colin Jackson tells Radio New Zealand, however, that no matter what kind of clientele was victimized by Anonymous in this case, it must be “really, really embarrassing for Stratfor.” Stratfor “has made a press statement saying ‘oh, this kind of thing happens to everybody and it's pretty hard to keep these guys out.’ Yeah, right, well, you are supposed to be security experts,” Jackson adds.»