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2830Nous choisissons toujours ce terme de “vérité de la situation”, – auquel il nous faudra bien consacrer un Glossaire.dde, – parce qu’il nous importe d’affirmer que, entre les multiples “réalités” créées par notre univers de communication et de manipulation de la communication dans tous les sens, et d'autre part la difficulté de distinguer celle des “réalités” qui l’est vraiment (réelle), apparaît dans des cas précis et significatifs quelque chose qu’on pourrait qualifier de “réalité objective”, suscitée par une situation telle qu’on peut avoir l’intuition de la fixer, qui donne une indication indubitable de la vérité de notre temps. Cette “vérité de la situation” est, disons, une ouverture rapide et momentanée, mais significative et lumineuse, sur la réalité objective ; elle permet de déduire la “vérité de notre temps”, qui doit nous servir de référence.
Cette rapide explication sur l’emploi d’une expression spécifique de notre “arsenal dialectique” pour introduire un texte d’Alexandre Latsa, du 1er juillet 2014 sur le site de La Voix de la Russie. Nous nous attachons d’abord à un passage de ce texte, et aux références qu’il nous propose... Certes, on l’aura deviné, il est question de l’Ukraine.
«L’opposition entre l’Est et l’Ouest du pays ne se résume pas seulement à un désaccord de certaines régions d’accepter le nouveau pouvoir ukrainien, jugé illégitime et considéré, à tort ou à raison, aux mains d’intérêts étrangers, nationalistes violents et anti-russophones. En effet et malheureusement pour les partisans de la version complotiste occidentale (qui voit la main de Moscou dans la région) la quasi-totalité des hommes armés du Donbass sont vraisemblablement de simples citoyens, majoritairement ukrainiens, inquiets de ce qui se passe à Kiev qu’ils ne reconnaissent plus comme leur capitale du moins sur le plan politique. Il y a bien entendu quelques volontaires russes mais les quelques récits qui filtrent de vie et de mort de ces engagés volontaires ne laissent que peu de place aux fantasmes, comme les lecteurs russophones peuvent le lire ici.
»Cette version des faits a été confirmée par le journaliste américain Marc Franchetti, pourtant peu soupçonnable de sympathies pro-russes, après qu’il ait sillonné l’Est du pays, sur le plateau d’une des plus grosses chaines de télévision ukrainienne. Les regards effarés des invités présents sur le plateau traduisent visiblement leur sincère incompréhension de la réalité sur le terrain, une incompréhension sans aucun doute grandement créée par l’intense propagande des médias ukrainiens et de certaines structures qui tentent de préparer le pays à une guerre contre la Russie, comme par exemple les services secrets ukrainiens qui visiblement désinforment jusqu’aux élites politiques de leur propre pays.»
• Nous avons suivi deux des liens que nous propose Latsa dans ce passage. Le premier concerne le journaliste britannique du Sunday Times Mark Franchetti. Il s’agit d’une vidéo d’un peu plus de 6 minutes, mise en ligne le 17 juin 2014, avec la légende suivantre : «Mark Franchetti, renown British journalists known for his critical articles on Russia, explains that those defending themselves against the Ukrainian Army in the South-East believe they are fighting against Nazi ideology and Fascism, and receive no official help from Russia's Kremlin.»
Effectivement, comme le souligne Latsa, on peut voir la nervosité, l’incrédulité, la stupéfaction, s’inscrire sur les divers visages des excellences présentes au débat où intervient Franchetti par vidéo-conférence. Il y a là, à Kiev lors d'une émission TV, tout un gratin des réseaux libéraux-humanitaires, avec connexions OTAN/USA, avec soutien des salons et de l'UE, avec extension dans tous les anciens pays de l’Europe communiste, et ainsi de suite, dans un rassemblement de solidarité avec l’Ukraine évidemment démocratique ; il y a même un membre, masqué et vitupérant, guerrier à souhait, d'un appendice quelconque de Pravy Sektor, ou bien est-ce un acteur d'une troupe de théâtre spécialisée dans les reconstitutions historiques... Et nous avons même, nous, l’excellente surprise de reconnaître, plus qu’à son tour, l’ineffable et inoubliable Misha Saakachvili, ex-président de Géorgie mais toujours portant beau, prêt à s’élever avec fureur contre les affirmations mensongères de Franchetti, sans doute sous l’influence d’une drogue terrifiante du FSB, ex-KGB. Pourtant, non, le malheureux Franchetti, bien qu’il soit réputé pour tenir une ligne clairement anti-poutinienne, s’acharne à dire le vrai, la “vérité de situation”, qu’il a côtoyée pendant quelques semaines, montrant qu’il y a pour l’essentiel des Ukrainiens parmi les rebelles du Donbass, et nulle trace d’un véritable char de l’ex-Armée Rouge, que les Russes y sont présents d’une façon parcellaire et nullement, ni organisée, ni officielle, ni déciosive. La séquence est absolument révélatrice et pleine d’enseignement, – et d’abord, pour notre compte, celui-ci : tous ces gens qui tremblent de fureur en entendant Franchetti, manifestement sont pour l’essentiel, complètement sincères, d’ailleurs par incapacité de production de ce machiavélisme qui demande nécessairement un côté artistique dont ils sont dépourvus...
• Sincères ils sont, comme l’est Tourtchinov, le faisant-fonction de président jusqu’à l’élection du “roi du chocolat”, le 25 mai, et qui a retrouvé sa place de président de la Verkhovna Rada d’Ukraine depuis. Le 26 juin 2014, La Voix de la Russie a rapporté certaines déclarations que l’ex-faisant-fonction Tourtchinov venait de faire.
«Le président de la Verkhovna Rada d'Ukraine Alexandre Tourtchinov a déclaré que les services secrets ukrainiens auraient désinformé à plusieurs reprises les dirigeants du pays sur les plans concernant l'éventuelle invasion des militaires russes. “Environ 10 fois par mois, nos services de renseignement ont indiqué que l’heure d'une attaque militaire par la Fédération de Russie aurait été déterminée, et généralement, il s’agissait de 3-4 heures du matin. Et nous nous sommes retrouvés au poste de commandement en état d’alerte, et les restes de l'armée se préparaient à une guerre ouverte avec son voisin oriental...”»
... “Les restes”, parce que, par ailleurs, Tourtchinov nous révèle ce que nous savions déjà, savoir que l’armée ukrainienne n’était pas en état de combattre lorsqu’elle est partie à l’assaut du Donbass, à la fin avril. D’autre part, mal renseigné, Tourtchinov a l’air d’ignorer que l’immeuble du SBU à Kiev a réservé un étage complet pour l’antenne massive de la CIA, – laquelle CIA, comme chacun devrait le savoir sans plus de surprise, dirige les opérations dans le Donbass directement et sans la moindre hésitation. (Il est inutile de s’étonner ni de s’exclamer à ce propos, ni même d’y chercher un complot, tant la chose se fait à ciel ouvert, sauf pour les Tourtchinov & Cie. Et ce dernier point, finalement, est peut-être plus vrai qu’on y croirait, à le prendre comme simple remarque ironique...)
Ainsi avons-nous quelques pièces de plus pour avancer dans le puzzle que constituent la crise ukrainienne et les nouvelles relations, type “Guerre froide 2.0“ entre la Russie et le bloc BAO, essentiellement certes avec les USA. Plus que jamais, il s’agit, encore plus qu’une “guerre de l’information”, d’une “guerre de la communication” où les “réalités” flottent et tournent au gré des narrative. Une seule chose apparaît certaine, qui est le volume extraordinaire, en fait d’invectives et d’anathèmes, qui forme l’essentiel de l’action du bloc BAO, accentuant d’autant le désordre de la communication, nécessairement dans le sens de la radicalisation et de la “montée aux extrêmes”. Cela conduit les experts concernés, essentiellement du côté russe, à constater que la deuxième Guerre froide dépasse largement la première, dans ce champ des déclarations agressives, jusqu’à être quasiment d’une autre nature. (C’est ce que nous ne cessons de remarquer, comme nous le faisons encore le 30 juin 2014 : «Ce que nous voulons mettre en évidence, dans ce qui paraît être une sorte de routine “au-jour-le-jour”, de la part du secrétaire d’État, c’est qu’il y a un acte diplomatique extraordinaire et insensé dans le fait de parler de la sorte à la Russie, dans les circonstances qu’on sait, pour une crise qui se déroule sur la frontière russe. Nous croyons que le caractère extraordinaire de cette démarche considérée comme du “business as usual”, devrait conduire à un jugement particulièrement stupéfait sur la situation ainsi établie par l’une des deux superpuissances nucléaires (c’est-à-dire ayant une capacité stratégique globale de frappe d’anéantissement) parlant de la sorte à son vis-à-vis. Kerry égrène les ultimatums, en jours, voire en heures comme dans le cas mis en évidence ici, à partir d’une situation rocambolesque de déni de toute déviation de la narrative développée par Washington.»)
Lors de la table ronde du cinquième Partners Meeting de la revue Russia Beyond The Headlines (RBTH), rassemblant des experts russes et internationaux (notamment des journaux Washington Post, Wall Street Journal, Daily Telegraph, Le Figaro, Economic Times, China Business News, La Nacion), cette question de la rhétorique de la nouvelle Guerre froide a été abordée. On peut lire ceci, extrait de RBTH du 30 juin 2014 :
«“We have come up against the problem of Russian and Western media giving a simplistic interpretation of the serious ethno-cultural and historical problems of Ukraine,” said Fyodor Lukyanov, chairman of the board of the Foreign and Defense Policy Council and editor-in-chief of the journal Russia in Global Affairs. Lukyanov noted that people are not always able to see the difference between facts and editorializing in a news story, which has resulted in a great deal of confusion about the situation on the ground. “There is too much information about Ukraine in the media at the moment, the audience is overwhelmed by the amount of facts they are bombarded with in this ‘information war.’ As a result, they are confused,” Lukyanov said.
»That point of view was shared by Alexander Gabuyev, editor of the magazine Kommersant-Vlast. According to Gabuyev, the lack of awareness of the ethno-cultural, historical and political background involved in the conflict not only among the general public but also among journalists has resulted in in propaganda and distortion. “Despite all the problems of ‘mass’ journalism, to improve the quality of their reporting, journalists should be in constant contact with political leaders responsible for decision making on both sides. Otherwise, information becomes one-sided and turns into propaganda,” Gabuyev said.»
Dans l’article cité plus haute, Alexandre Latsa aborde principalement la question d’un “conflit de civilisation” à propos de certains événements en cours en Ukraine, faisant allusion directe et précisément au «processus d’occidentalisation que le pays connaît depuis le début de la période d’immixtion occidentale en Ukraine». C’est également et, surtout, contre cela, selon Latsa, que les populations russophones de l’Est se soulèvent ; et Latsa cite, comme exemple même de l’accélération de ce “processus d’occidentalisation”, la “Kiev-pride” annoncée pour ce mois de juillet, qui enrôlera sous la bannière des autorités de Kiev et du patronage de l’UE et des USA (bloc BAO), la communauté homosexuelle. Or, ces questions “sociétales” (voir le 30 avril 2013) sont, à notre sens, encore plus dépendante du processus de communication que de telle ou telle formulation idéologique, simplement parce qu’elles s’imposent au premier plan par les seuls moyens de la communication et qu’elles restent des créatures de la communication. Que l’effet de leur manifestation puisse être qualifié d’“idéologique” ne fait aucun doute, mais alors on peut se demander qui conduit l’autre, de la communication ou de l’idéologie qui naît ou profite de l’effet de la communication... Dans tous les cas, on mesure la vastitude du domaine touché par la communication, qui devient effectivement le premier vecteur du “conflit de civilisation” dont parle Latsa, à juste titre.
D’où l’importance, plus que jamais et selon un rythme exponentiel, du système de la communication et de son activisme, et d’ailleurs dans les deux sens, à la fois dans le sens du Système lorsque le Système parvient à manipuler la communication, à la fois dans un sens antiSystème lorsque les circonstances font que l’on peut utiliser l’aspect de Janus du système de la communication. La crise ukrainienne est une démonstration de plus, non seulement de la puissance de ce système mais encore de l’extension de cette puissance vers toute-puissance. Les diverses interventions qui sont présentées ici montrent la diversité d’action de cette toute-puissance en train de s’affirmer, autant que la diversité des effets de cette action. Il est évident qu'il nous faudra revenir sur cet aspect de la problématique du système de la communication dans la crise ukrainienne, dans sa dimension la plus fondamentale, en y ajoutant des éléments de l'autre texte de ce 2 juillet 2014, qui aborde le même domaine.
Mis en ligne le 2 juillet 2014 à 14H03