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144814 avril 2015 – Le fait assuré, officiel, décrété même puisque l’acte a pris la forme d’un décret de la présidence russe (Poutine) annoncé par un communiqué de cette même présidence, est que la Russie lève l’interdiction de livraison du système de missiles sol-air S-300 commandé en 2007 par l’Iran et payé par ce pays. Cette décision implique directement et explicitement que la Russie lève l’embargo unilatéral sur certains produits qu’elle avait décidé en septembre 2010, après une décision du Conseil de Sécurité (qu’elle avait votée) interdisant la livraison d’armements offensifs à l’Iran. Sputnik-français résume ainsi cette décision et y ajoute un commentaire intéressant à la fin de son texte, le 13 avril 2015.
«En 2007, Moscou et Téhéran ont conclu un contrat engageant la Russie à fournir cinq batteries de missiles antiaériens S-300 pour un montant d'environ 800 millions de dollars. Cependant, l'exécution du contrat a été suspendue en septembre 2010 par le président russe de l'époque Dmitri Medvedev en application de la résolution 1929 du Conseil de sécurité de l'Onu, qui interdisait de fournir des armements offensifs à Téhéran en raison de son programme nucléaire. Convaincue de la validité du contrat, la partie iranienne a fait appel à l'arbitrage international, réclamant quatre milliards de dollars d'indemnités... [...]
»La décision russe intervient alors que l'Iran et les pays du groupe des Six (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne) ont conclu début avril à Lausanne un accord-cadre, qui ouvre la voie à la signature d'un accord final d'ici fin juin. L’Iran exige une levée immédiate de toutes les sanctions à son encontre dès la signature de l'accord. Les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, veulent une levée progressive des sanctions, à mesure que les engagements de l'Iran seront vérifiés par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), le gendarme nucléaire de l'ONU.
»Selon l'analyste iranien Hassan Hanizadeh interrogé par Spoutnik, cette décision “ouvre une nouvelle page dans la coopération russo-iranienne en matière de défense, coopération qui aura des répercussions positive pour l'ensemble du Proche-Orient”. “Le décret de Vladimir Poutine a été accueilli avec un grand enthousiasme en Iran. Cette démarche démontre l'indépendance de la Fédération de Russie dans sa prise de décisions politiques et témoigne de l'attachement de Moscou aux engagements pris, le caractérisant comme un partenaire fiable. Je pense que l'annulation du décret sur l'interdiction des livraisons de S-300 à l'Iran est étroitement liée aux ententes conclues par les Six et Téhéran le 2 avril à Lausanne”, a-t-il indiqué.»
• Cette affaire est également traitée par Russia Today (RT), le 13 avril 2015, où il est fait rapport de la présentation qu’en fait le ministre Lavrov. Il y a d’abord cette précision capitale, qui corrige très largement et décisivement la version donnée par Sputnik, laquelle version venue de l’époque Medvedev imposait une interprétation erronée : la Russie n’a pas pris sa décision d’embargo en 2010 en application de la résolution de l’ONU, mais “volontairement et unilatéralement”, de son propre chef à elle, la Russie. («[F]rom the Russian side it was unilateral and voluntary.») Ainsi est-elle complètement justifiée de lever un embargo qui ne dépendait que d’elle. Lavrov précise que la nature du système (uniquement défensif) d’une part, l’aggravation constante des événements dans la région, notamment avec la crise du Yémen, d’autre part, justifient absolument la livraison de systèmes d’arme avancés pour que l’Iran mette en place un système de défense aérienne moderne. (Ce dernier point, avec l’allusion au Yémen, a évidemment son importance. Il implique une façon de prendre date par rapport aux activités aériennes de l’Arabie, soutenue par les USA, pour signifier que ces activités peuvent également être considérées comme une menace pour l’Iran. Cela est d’autant plus justifié par les accusations et menaces diverses lancées par les Saoudiens contre le soutien que l’Iran apporte à ceux que l’aviation saoudienne attaque et pilonne au Yémen.)
«Russian Foreign Minister Sergey Lavrov commented on the decision, saying that Moscow’s voluntary embargo on S-300 deliveries was no longer necessary, due to the progress in Iran’s nuclear talks made in Lausanne on April 2. During the talks in Switzerland, the P5+1 group have made “substantial progress in resolving the Iranian nuclear program,” Lavrov said. “The political framework of the final deal agreed upon was highly praised by the international community.” He added: “We believe that at this stage there is no longer need for this kind of embargo – from the Russian side it was unilateral and voluntary.”
»The foreign minister also said: “Meanwhile, a modern air defense system is now very relevant to Iran, especially taking into account the severe escalation of tensions in neighboring areas and especially the rapid development of military activity in Yemen in recent weeks.” Lavrov added that the S-300 is an air defense missile system, which is of a purely defensive nature. It is not designed for attacks and “will not put at risk the security of any state in the region, including Israel," he said.»
• Du côté israélien, condamnation de cette décision russe bien entendu, et preuve que l’accord de Lausanne est un mauvais coup porté à Israël. On y retrouve l’habituelle rhétorique de Netanyahou et de sa bande, avec en arrière-plan l’indignation qu’on puisse livrer à l’Iran des armes qui pourraient servir à la défense de son territoire contre une attaque extérieure, par exemple israélienne. Du côté US, une réaction très diversifiée, très soft, en forme de patchwork dont le schéma sert de caractéristique principale, de “style” à la politique de l’administration Obama. L’on apprend par les divers porte-parole que John Kerry a téléphoné à Lavrov hier matin pour lui dire “sa préoccupation”. (Nous comprenons qu’ils ont sans doute parlé de la pluie et du beau temps.) On ajoute que la décision russe d’entamer des échanges pétrole-contre-produits divers avec l’Iran est également “préoccupant”. (On préférerait sans aucun doute que tout cela se fasse en bons et loyaux dollars.) Il n’empêche que la porte-parole du département d’État, la désormais célèbre Marie Harf qui a remplacé Jennifer Psaki, dit que la décision russe n’affectera en rien l’unité des P5+1 dans les négociations avec l’Iran et que la susdite décision russe ne viole en rien les décisions de l’ONU vis-à-vis de l’Iran. La Russie est vraiment un partenaire de qualité, semble nous confier Marie Harf. Quelques extraits du briefing de Marie Harf, le 13 avril 2015...
Question : «...[O]n the S-300 sale. Can you elaborate at all on what the Secretary – more on what the Secretary told Foreign Minister Lavrov and let us – and tell us what else was discussed, if anything?»
Marie Harf : «Well, we’ve certainly made our concerns with the sale of the S-300 system to Iran known for some time. This certainly isn’t new. The Secretary raised those concerns in a call with Foreign Minister Lavrov this morning. We don’t believe it’s constructive at this time for Russia to move forward with this, but we’ve worked very closely with the Russians on the P5+1 negotiations. We don’t think this will have an impact on unity in terms of inside the negotiating room. So they did discuss it, discussed the Iran negotiations in general as well, and I don’t have more of a readout for you than that.» [...]
Question : [...] «...You said that you did not think that the S-300 delivery would undermine the unanimity within the negotiating room. [...] Why not? Wouldn’t you have preferred to keep pressure on Iran in all sorts of ways, including the denial of transfer of such military weaponry, while you’re negotiating for the next two and a half months?»
Marie Harf : [...] «... This is a little bit of a separate issue than the nuclear issue. So we don’t – and I talked to the Secretary about this this morning. We don’t think that this will – we don’t expect it to impact the unity on the talks...» [...]
Question : «Okay. Is it the Administration’s position that the S-300s, the transfer of them to Iran would violate existing sanctions?»
Marie Harf : «In terms of UN Security Council sanctions, it’s my understanding that it would not.»
Traduction en deux temps (“décryptage”, dirait un journaliste professionnel de la presse-Système), – cela décrivant un exercice d’équilibriste extrêmement obamien sinon obamabrantesque ... 1) le président Obama tient à faire savoir au Congrès et à Israël, selon une attitude-Système impeccable, qu’il fronce les sourcils et qu’il juge que les Russes ne sont pas des gens absolument impeccables. Il prend note et tient à faire savoir qu’il est préoccupé. Passons, et observons également 2) que le président Obama tient indirectement mais absolument à ce que l’accord avec l’Iran aille à bon port, que l’Iran ne craigne rien à cet égard, et surtout il tient à ce que la Russie, pour laquelle il a une grande estime, continue à jouer le rôle central qu’elle a tenu jusqu’ici dans les négociations avec l’Iran.
• Comme l’observe “l’analyste iranien Hassan Hanizadeh”, les Iraniens sont ravis. Le ministre iranien de la défense le dit sans ambages. (RT : «Iran’s defense minister said on Monday that Russia’s decision will boost cooperation with Moscow and could help regional stability.») Pour l’Iran, la décision solennelle de la Russie est 1) une avancée considérable sur la voie de la levée immédiate des sanctions qui est la condition iranienne sine qua non de la ratification définitive de l’accord ; et 2) la concrétisation officielle de l’établissement de relations stratégiques importantes entre la Russie et l’Iran.
Maintenant, la quincaillerie. Les S-300 servent dans ce cas d’instruments d’une décision diplomatique importante mais ils ne valent plus ce qu’ils valaient. Par conséquent, tout cela ne signifie nullement que des S-300 vont être livrés à l’Iran, puisque, d’une part, il s’agit d’un système qui n’est plus à l’avancée des capacités technologiques (la version de base, sur laquelle porte l’accord, n’est même plus en production) ; parce que, d’autre part et ceci enchaînant sur cela, des négociations ont déjà commencé entre Russes et Iraniens pour la fourniture de systèmes plus avancés que le S-300 initial, des Antei-2500 (version avancée du S-300), ou des S-400, système de la nouvelle génération remplaçant le S-300. Il est tout à fait logique de penser que ces négociations vont porter sur la révision du contrat S-300 pour passer effectivement au S-400.
La décision russe représente un exemple remarquable d’ordre diplomatique et d’efficacité politique, avec plusieurs résultats intéressants pour la diplomatie russe. Elle constitue un investissement mineur et un risque extrêmement calculé, – dont il s’est rapidement avéré qu’il n’aurait aucune conséquence fâcheuse pour la position diplomatique de la Russie (voir les réponses de la porte-parole du département d’État). Les Russes ont notamment et essentiellement compris que c’est durant les quelques mois qui les séparent de la conclusion de l’accord définitif qu’il faut mettre en place tactiquement les conditions d’une stratégie pour établir des liens justement de type stratégique avec l’Iran. Ils le font d’une manière qui embarrassent leurs éventuels concurrents pour ces liens stratégiques, – justement, les USA.
En levant l’embargo sur la vente des S-300, ils se présentent effectivement comme les premiers à lever des sanctions contre l’Iran. Ils le font ostensiblement en écartant absolument toute référence à la résolution 1929 de l'ONU de juin 2010 qui interdit l’exportation d’armes offensives à l’Iran. Medvedev avait décidé la suspension du contrat en septembre 2010, expressément en fonction de cette résolution, dans une époque où la Russie n’avait pas la diplomatie cohérente qu’elle a aujourd’hui. Désormais, la référence onusienne est complètement écartée selon l’argument technique évident que les missiles sol-air sont des armes défensives. Cette position renforce notablement la volonté des Russes d’agir souverainement dans une matière dont les principales dispositions internationales ont été adoptées dans une “période trouble” (selon l’équipe Poutine, la période de la présidence Medvedev), au cours de laquelle la diplomatie russe s’est laissée plus d’une fois entraîner dans des initiatives qui la contraignaient à accepter la politique jugé agressive et violeuse de souveraineté des pays du bloc BAO. (Le sommet de cette période est le vote de soutien russe [et chinois] par abstention de février 2011 de la résolution inspirée par le bloc BAO instituant une intervention aérienne limitée et humanitaire en Libye, qui déboucha sur une intervention militaire totale, conflictuelle et décisive contre Kadhafi, pour renverser Kadhafi avec l’admirable conséquence qu’on peut mesurer aujourd’hui en tonnes de désordre, de banditisme, d’anarchie, de développement des extrémismes et ainsi de suite jusqu’à la déstructuration et la dissolution complète du pays.)
La position US, qu’on a vue avec les réponses de la porte-parole Marie Harf, est de n’élever aucune objection de ce point de vue de la légalité internationale, ce qui est une position bien différente de ce que l’on a connu (par exemple, lorsque la Russie révisaient et remettaient à neuf des hélicoptères Mi-24 de la force aérienne syrienne). A cet égard, le fait est que les USA ont trop besoin des Russes, parce que Obama tient à tout pris à un accord avec l’Iran ; le rôle des Russes dans les négociations avec l’Iran a été déterminant et il le sera plus encore d’ici juin après cette décision sur les S-300, d’où la nécessité pour les USA de les ménager ; quant aux gémissements israéliens, c’est à peine si on les remarque. La réaction des USA vis-à-vis de la décision russe montre d’une part la faiblesse actuelle de leur position diplomatique tenant au déclin de leur puissance d’influence, elle montre d’autre part l’influence déclinante des intérêts d’Israël dans leur diplomatie.
La référence au principe de souveraineté de l’initiative S-300, qui bénéficie aux Russes, bénéficie également à l’Iran, bien entendu. Cette décision officielle des Russes contribue à rétablir l’Iran dans sa position de pays souverain, dans la mesure où le principe auquel elle se réfère (la souveraineté) étant partagé et général, est nécessairement partagé par l’autre partie. L’Iran ayant pris une décision souveraine à la suite des négociations sur le nucléaire, la décision russe revient alors à respecter cette souveraineté iranienne nouvellement affirmée. En même temps elle met de facto en question la position consistant à ne lever que très progressivement les sanctions contre l’Iran, en fonction des réalités observées de la situation nucléaire iranienne observée par des inspections. Cette mise en question conduit à un affaiblissement de ceux qui, du côté du bloc BAO, voudraient effectivement une telle graduation dans la levée des sanctions.
Indirectement, ces prolongements conduisent à affaiblir la position du président Obama lui-même, notamment vis-à-vis du Congrès sur lequel pèse la pression du lobby israélien, largement instrumenté par le Likoud et l’extrémisme de Netanyahou. Avec la livraison en vue des S-300 (des S-400) dont on a fait un symbole du renforcement militaire “agressivement défensif” de l’Iran, Obama aura bien plus de difficultés à réduire, sans parler de convaincre, l’opposition à tout arrangement avec l’Iran. Cela ne signifie pas nécessairement l’échec pour un accord définitif, mais certainement de grandes difficultés pour ce qui est la véritable projet d’Obama d’établir des relations normalisées avec l’Iran permettant aux USA de disposer d’un nouveau partenaire au Moye-Orient, et un partenaire crucial qui ne serait plus Israël ; les modalités d’un tel projet donnent beaucoup de possibilités au Congrès de constituer une entrave permanente contre lui.
De cette façon où s’entremêlent divers facteurs d’action et de paralysie, la décision russe revient donc également à aider à orienter ce que l’esprit du temps et l’esprit-Système désignent comme “le retour de l’Iran dans la ‘communauté internationale’” vers un partenariat stratégique avec les groupes hors-bloc BAO et éventuellement antiSystème (la Russie, la Chine, les BRICS, l’OCS, etc.), plutôt qu’avec les USA et les pays du bloc ; que le moyen en soit une décision sur un équipement militaire dont l’image et la polémique qui l’ont accompagné depuis plusieurs années ont fait un enjeu stratégique renforce encore cette orientation en y ajoutant la composante des marchés d’armement, c’est-à-dire la coopération au plus haut niveau des sécurités nationales respectives, encore plus que la perspective de marchés importants. Il est difficile de penser que Poutine n’ait pas eu ce calcul à l’esprit en prenant sa décision sur les S-300.
Enfin, la décision russe constitue une sorte de symbole qui porte sur la “politique des sanctions”, – dont on sait que les Russes ne l’aiment guère, non seulement pour la subir eux-mêmes, mais plus encore par ce qu’elle implique d’agression cotre le principe de souveraineté. La décision tend à démontrer que cette “politique des sanctions” peut être autonome (le fait d’un seul pays, qui n’est pas obligé, ni de consulter, ni de suivre les autres en se soumettant à eux) et réversible en ne dépendant que des pouvoirs politiques souverains et non des processus bureaucratiques. La démonstration vaut pour la Russie elle-même, c’est-à-dire pour les pays qui ont institué des sanctions contre elle dans le cadre de la crise ukrainienne, et dont on sait que certains d’entre eux n’ont agi que par défaut, parce qu’ils s’y trouvaient pressés, contraints, voire forcés par les groupes où ils évoluent ou par des processus bureaucratiques qui paraissent si souvent irrésistibles. Par voie de conséquence, elle sera indirectement perçue comme un facteur de division entre ces dives pays, particulièrement entre les pays européens et éventuellement entre l’ensemble européen et les USA.
Considérée d’un point de vue objectif, cette décision solennelle de la présidence de la Fédération de Russie, qui était attendue sinon largement prévisible, apparaît pourtant avec une dimension importante et somme toute inattendue, comme tout ce qui est attendu et prévisible mais que la concrétisation et l’opérationnalisation transforment. Il s’agit d’un acte de plus posé par la Russie, dont l’une des conséquences, et pour nous sans doute la plus importante, est une poussée supplémentaire dans le sens de redonner au principe de la souveraineté toute sa place dans les relations internationales. (Il n’est pas assuré que la conscience de la chose soit absolument réalisée, mais cela n’importe évidemment pas puisqu’en la matière le résultat seul importe.) On ne dit certainement pas que cela sera suffisant ni que cette tendance pour tenter de redonner aux relations internationales cette forme principielle l’emportera ; l’on dit, et c’est le plus important sinon l’essentiel, que c’est un facteur de division et de désordre de plus dans l’activité erratique du bloc BAO dans le cadre de ce qui est généreusement désigné comme “politique extérieure” et qui n'est rien d'autre que la conséquence de cette politique-Système caractérisée par la haine de tout principe structurant.
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