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1167Pour juger du destin possible de la présidence Hollande, on rapprochera le voyage de Michel Rocard en Iran et les réactions des présidentes brésilienne et argentine à l’élection française. Il ne s’agit pas de de supposer et encore moins de définir une politique mais bien d’observer des signes notablement significatifs, qui touchent des jointures fondamentales des relations internationales et de la grande crise du Système.
• Pour le cas de Rocard, c’est Le Figaro qui a annoncé la nouvelle le 11 mai 2012, la chose étant répercutée notamment par PressTV.com, le 12 mai 2012. Rocard est parti hier pour trois jours en Iran, pour y rencontrer notamment le ministre des affaires étrangères et le négociateur des questions nucléaires, respectivement Ali Akbar Salehi et Saïd Jalili. Hollande a été informé du déplacement mais on ignore s’il a confié à Rocard un message pour la direction iranienne. Autour de Rocard, on a bien précisé qu’il s’agissait de préparer une amélioration espérée des relations entre la France et l’Iran, après la politique absolument fermée et hostile de Sarkozy. Le Figaro cite un collaborateur de Rocard : «“Les Iraniens connaissent bien Michel Rocard, nous a déclaré Michel Dubois, un collaborateur qui l’accompagne. Nous espérons que sa visite facilitera les premiers contacts entre le prochain gouvernement français et l’Iran”.» Le très court texte poursuit en affirmant, d’une façon assez inappropriée et étrange si l’on considère que l’Iran ne demande, bien sûr, qu’à se rapprocher de la France, que «[f]ace à ses interlocuteurs iraniens, l’ancien premier ministre devrait plaider pour une approche française moins “pure et dure” vis-à-vis de l’Iran.» (Plus, ce rappel qui désigne effectivement Rocard pour une mission de “bons offices”, spontanée ou pas : «En 2010, les responsables iraniens avaient accepté la médiation de Michel Rocard afin de faire libérer la chercheuse française Clotilde Reiss, retenue à Téhéran. Mais cette médiation s’était heurtée alors au refus du gouvernement Fillon.») D’une façon générale, il est bien difficile de ne pas voir une concordance entre ce voyage et l’examen des politiques en cours que doit effectuer Hollande, éventuellement pour les modifier.
• C’est dans ce même esprit du constat de liens nouveaux à établir avec des pays hors-bloc BAO qu’il faut placer le cas de Cristina Fernandez, la présidente argentine, qui a pris contact avec Hollande par le biais d’un message de félicitations, puis, semble-t-il, un accord commun pour une rencontre bilatérale en marge du sommet du G20 à Mexico. La présidente argentine parle de l’élaboration commune d’une “stratégie anti-austérité”… (PresTV.com du 11 mai 2012.)
«Ms. Fernandez called newly elected president of France to congratulate him on his “strong win” over center-right incumbent Nicolas Sarkozy and said the South American government has carefully followed his anti-austerity platform. On his behalf, Mr. Hollande stressed his willingness to maintain close relations with Latin America and stated Buenos Aires and Paris have common objectives in terms of growth.
»Center-left president Fernandez has repeatedly questioned Europe´s current prescription to deal with its debt crisis considering it a “medicine that kills the patient”. She has compared Greek´s collapse to Argentina´s 2001 crisis and default, and criticized budget cuts in the Eurozone. In a similar way, French socialist leader has said austerity “can no longer be the only option” challenging German Chancellor Angela Merkel´s doctrine.»
• C’était dans le même esprit (suite) que Dilma Rousseff, l’autre “femme forte” de l’Amérique du Sud, avait adressé un message de félicitations au nouveau président français, le 7 mai. Mercio.pres.com du 8 mai 2012 avait présenté l’intervention de la présidente brésilienne comme l’expression de la volonté de trouver, au sein des pays du Nord (du bloc BAO, dans notre jargon), un nouvel allié sur des points fondamentaux d’une “grande politique de crise”. Il est là aussi question de la “politique anti-austérité”, mais aussi du rappel de l’“alliance stratégique” conclue entre le français Sarkozy et le Brésilien Lula en 2009, et que le premier avait considérablement cochonnée, notamment avec sa politique anti-iranienne (voir le 24 mai 2011). Le climat qui s’établit entre la France de Hollande et le Brésil permet de penser que la décision brésilienne sur l’achat d’avions de combat, que Rousseff avait suspendue jusqu’à l’élection présidentielle française, devrait aller à l’avion français Rafale… On se trouverait alors avec un autre lien indirect rapprochant la France d’un autre grand pays hors-bloc BAO tout en s’inscrivant encore plus dans le BRICS, puisqu’il existe des intentions brésiliennes d’envisager une coopération de production du Rafale avec l’Inde, si le Brésil choisit cet avion. La mention de la participation dans la rédaction du message de Rousseff à Hollande du conseiller de Rousseff qui fut l’homme qui élabora avec les Français cette “alliance stratégique” du temps de Lula, confirme effectivement la réflexion dans ce sens.
«Dilma Rousseff is interested in having French elected-president Francois Holland make an official visit to Brasilia to talk about the current world situation since the Brazilian leader believes they both share positions regarding the global crisis and austerity policies. […] “The Planalto (Government House) would like to take advantage of President Hollande’s presence in Rio+20 environment summit and invite him on an official visit to Brasilia”, according to a report in Folha de Sao Paulo. […]
»The drafting of the [ congratulation message sent to the elected French président] was shared with Marco Aurelio García the Brazilian presidency foreign affairs advisor who during the previous administration of President Lula da Silva worked for the completion of a strategic alliance with France which included the purchase several conventional submarines, technology for the construction of Brazil’s first nuclear powered sub and fighter jets.»
On comprend aisément combien toutes ces nouvelles se croisent et s’entrecroisent autour des mêmes pays, autour de la crise iranienne et de l’Iran, autour des pays d’Amérique latine, autour des pays du BRICS, etc., pour tracer une orientation qui rejoindrait la nature fondamentale de la politique française. On s’en tiendra évidemment à la supputation, à ce point, non sans observer que des mouvements discrets vont dans ce sens (par exemple, sur le sujet le plus sensible de l’Iran et venues des délibérations internes de la bureaucratie de sécurité nationale française, suivant les premières impulsions du nouveau président, des indications que “les choses vont bouger”)… On s’en tiendra à des supputations parce que la réalisation de projets d’évolution et de complément d’alliance, si la volonté en existe, présente bien des complications et des incertitudes qui rendent impossible la prévision. (N’allons pas jusqu’à parler de “changement” ou de “renversement” [d’alliance], la chose est laissée aux circonstances et aux évènements, lesquels peuvent réserver bien des surprises.)
Ces supputations n’empêchent pas des constats, qui relèvent désormais de forces bien réelles dans les relations internationales, et que l’élection de Hollande sert à mettre en évidence. Il existe, dans tous ces pays plus ou moins soumis à un système oppressif venu de l’extérieur, du Nord et du bloc BAO, et du Système lui-même, une recherche de contacts à l’intérieur du bloc pour trouver des alliances de levier possibles. La même chose existe pour la France, si Hollande veut aller dans une voie contraire à la politique d’austérité du Système ; lui aussi a besoin d’“alliances de levier” lui permettant de peser sur ses partenaires restés alignés sur les consignes du Système. Mais hors de ces considérations tactiques, en gardant effectivement à l’esprit la nécessité qui s’impose d’elle-même de la substance de tradition de la France qu’un Sarkozy n’a pu évidemment réduire, on est conduit à observer également que cet ensemble de forces convergentes distingué d’une façon encore imprécise pourrait en arriver à susciter une pression politique bien réelle, où la France devrait avoir son rôle, voire serait obligée d’avoir son rôle, quelles que soient l'intensité des intentions des acteurs… Il est remarquable que la “politique anti-austérité” considérée du seul point de vue économique, et qui vaut ce qu’elle vaut mais ne fait pas devenir antiSystème ni sortir du Système, tend également à se transformer, ou à se transmuter dans la perception qu’on en a et qu’on en aura de plus en plus, justement de plus en plus comme une véritable politique au sens général le plus large (dans ce cas, sans considération exclusive ni même essentielle d’éventuels effets économiques) ; et alors, il s’agirait d’un véritable phénomène antiSystème, suscitant une dynamique d’antagonisme contre le Système.
Ce qui rend le destin de Hollande remarquable, c’est que la chronologie de son intervention est extrêmement intéressante et décisive, quoi qu’il en veuille ; c’est qu’il arrive à un moment de l’Histoire où l’histoire prend des allures de métahistoire, où les crises se réunissent en une concentration explosive ou décisive (“crise haute”), où les évènements forcent et vont de plus en plus forcer à des décisions importantes, sinon radicales. Qui ne suivra pas ces exhortations sera emporté et balayé ; par conséquent, si Hollande veut exister comme président et tenir quelques-uns de ses engagements, il pourrait bien être conduit à devoir prendre des décisions importantes. C’est la thèse d’Emmanuel Todd, certes, reprise de la première présidence Roosevelt, mais avec la précision essentielle que l'hypothèse d'action, pour être décisive, ne peut être exercée principalement ni cantonnée à l’économie, ni à la France, ni à l’Europe, mais qu’au contraire elle doit absolument être sortie de ce contexte. C’est vers les relations extérieures, vers des crises comme l’iranienne, vers un continent comme l’Amérique latine, vers des groupes de pays comme le BRICS ou l’Organisation de Coopération de Shanghai (avec la Chine et la Russie, et la possible adhésion de l’Inde et du Pakistan), que doit avoir lieu l’orientation “révolutionnaire”, – pour qu’elle le soit vraiment, “révolutionnaire” (et la situation en France et en Europe suivant alors cette pente) ; c’est-à-dire pour qu’elle soit une rupture du cadre ancien et une évolution vers une position antiSystème, ce qui est le vrai sens de “révolutionnaire” aujourd'hui.
Ce qui doit constituer un élément intéressant, sinon décisif, c’est qu’il s’agit d’une telle situation où les demi-mesures sont de plus en plus difficiles, jusqu’à être impossibles à mesure que montent les tensions, – comme elles ne cessent de faire en ce moment… Ou bien, Hollande ne sera rien du tout, totalement inexistant, en n’osant rien du tout ; ou bien, il mettra un doigt dans l’engrenage antiSystème et il sera conduit, sans doute contre son gré d’homme qui se veut “président normal” (au-delà du slogan, il y a de ce caractère-là qui recherche l’évolution progressive), à des orientations de rupture, à des options de rupture, à des ruptures pures et simples, – dans l’ordre de l’évolution, mais dans le désordre des circonstances… Ainsi passerait-on des semailles de ces premiers contacts aux moissons, tout cela dans un climat de tempête.
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