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167612 mars 2014 – Avec une enquête du PEW Research Center effectuée les 6-9 mars, on dispose d’une “photographie” extrêmement précise de l’attitude du public US face à la crise ukrainienne. Il s’agit d’un sentiment totalement isolationniste, c’est-à-dire d’un sentiment subjectif qui ne s’embarrasse pas de considérations objectives pour déterminer quelle politique les USA doivent suivre. En effet, les deux résultats les plus remarquables sont d’une part que 92% des personnes interrogées sont défavorables à une implication militaire des USA, tandis que 68% des personnes interrogées ayant exprimé une opinion condamnent la politique russe qu’elles assimilent en général à une invasion ou à une intervention. On voit qu’il y a ainsi une rupture complète entre le jugement objectif sur la situation, qu’il soit juste ou non, fondé ou pas, et le souhait de la politique US. Il s’agit non seulement d’une attitude non-interventionniste, mais d’une attitude totalement isolationniste : la non-intervention est perçue comme un principe et non comme la conséquence de la situation extérieure considérée, puisqu’en l’espèce le jugement sur la politique russe devrait justifier l’idée de l’intervention militaire (la seule sérieuse) alors que cette idée est radicalement rejetée. Il s’agit de la définition même de l’isolationnisme, non pas cet épouvantail avec lesquels nos dirigeants-Système se terrorisent régulièrement eux-mêmes, mais bel et bien cette attitude fondamentale d’indifférence au Rest Of the World qui caractérise la Grande République depuis ses origines et ne l’a jamais abandonnée.
On avait déjà eu un avant-goût de cette position dans un premier sondage (voir le 5 mars 2014), avec un sondage HuffingtonPost/YouGov effectué le 3 mars dans des conditions beaucoup plus sommaires que celui de PEW (18% des personnes interrogées disant qu’il faut protéger l’Ukraine “contre une possible invasion russe“, 46% disant le contraire, avec le reste sans opinion). L’enquête PEW détermine que 29% des personnes interrogées sont favorables à une “implication des USA” dans la crise, et 56% défavorables, avec une partie minoritaires des 29% “favorables à une implication” favorables à une implication militaire, ce qui correspond effectivement à 8% de l’ensemble des personnes interrogées . On peut même voir qu’entre les deux enquêtes, et compte tenu du fait que la question posée le 3 mars portait sur “la protection de l’Ukraine” impliquant une éventuelle action militaire (18%), le fait même de l’intervention militaire nettement précisé s’est clairement fixé à une minorité très extrême, quasiment négligeable. On doit ajouter enfin qu’entre les deux enquêtes, des faits significatifs ont eu lieu, qui ont aggravé la situation, et justifié de leur point de vue le sentiment négatif des Américains interrogés sur la politique russe : confirmation de la soi-disant invasion russe de la Crimée, référendum de la Crimée pour le 16 mars. Cet ensemble d’événements a certainement contribué à durcir contre la Russie une partie de l’opinion publique tributaire des informations de la presse-Système complètement soumise à la narrative officielle ; cela n’a fait pourtant que durcir l’opposition à une intervention militaire. Accessoirement, mais de façon tout aussi intéressante, on relève dans l’enquête PEW Research une majorité défavorable à la politique de l’administration Obama (44% contre 30%), ce qui ne va pas faciliter l’action de la diplomatie en cours et encore plus semer le trouble quant à l'option militaire. (Sur ce dernier point, on remarquera en passant que cette situation de confusion peut provoquer un engagement militaire involontaire, par simple enchaînement incontrôlé, incertitude des positions, pression du système de la communication, etc., – mais ce n'est pas le thème observé, renvoyant plutôt à notre texte du 3 mars 2014.)
L’enquête PEW Research Center est publiée le 11 mars 2014 : «As Russian troops remain in Ukraine’s Crimea region and Crimea’s Parliament has set up a secession vote, Americans prefer the U.S. to not get too involved in the situation.
»By a roughly two-to-one margin (56% vs. 29%), the public says it is more important for the U.S. to not get involved in the situation with Russia and Ukraine than to take a firm stand against Russian actions. The new national survey by the Pew Research Center, conducted March 6-9, 2014 among 1,003 adults, find more disapprove (44%) than approve (30%) of the way the Obama administration is handling the situation involving Russia and Ukraine, while roughly a quarter (26%) offer no opinion... [...]
»Those who say it is more important for the U.S. taking a firm stand against Russian actions in Ukraine were asked if the U.S. should consider military options or only political and economic options. Most of this group – 19% of the public overall – said the U.S. should consider only political and economic options in addressing the situation, while just 8% of the public think that military options should be considered. Just 16% of Republicans and smaller shares of Democrats and independents (5% each) say that military options should be considered.
»There is broad agreement that Russia was not justified in sending troops into Ukraine. Overall, 68% say Russia was not justified in sending troops into Ukraine while just 10% say it was justified; 22% express no opinion. There are no significant partisan differences in these opinions...»
On doit admettre que ces résultats soulèvent un certain nombre de très graves questions, si l’on tient compte de plusieurs faits, avérés ou spéculatifs, et pour les derniers le plus souvent tenus pour acquis si l’on considère la puissance du système de la communication.
• Le premier de ces faits est que ces chiffres expriment un désaccord bien plus grand encore que celui qui existait lors de la crise du chimique syrien d’août-septembre 2013. Cette crise a abouti successivement à une menace de frappes contre la Syrie de l’administration US, puis à une demande de consultation du Congrès par l’administration concernant cette menace de frappe, puis à une évolution du Congrès quasiment comptabilisée vers un vote négatif qui aurait été catastrophique pour l’administration et aurait bouleversé les situations intérieure et extérieure, – si la Russie, justement elle, n’était intervenue pour sauver Obama d’une telle déroute en proposant la destruction du chimique du gouvernement syrien. Le poids de l’opinion publique, défavorable à l’attaque, a été considérable pour faire évoluer le Congrès comme on l’a décrit. On peut imaginer le poids que va peser cette opinion publique, dans l’orientation où on la voit, dans la crise ukrainienne.
• La crise ukrainienne du point de vue du bloc BAO, qui implique les USA en première ligne et l’OTAN suivant fidèlement, s’appuie sur un certain nombre de dispositions légales internationales qui prétendent renforcer le cas considéré comme légitime de l’installation au pouvoir de la bande Euromaidan et justifier la condamnation du référendum sur la Crimée. Ce corpus légal est nécessaire pour justifier l’activisme du bloc BAO, dans une occurrence où l’argument de la légalité du pouvoir de Kiev et celui de l’illégalité de l’évolution de la Crimée sont largement contestables, et contestés avec vigueur par la Russie, avec le soutien plus ou moins affirmé d’autres pays qui penchent du côté russe (Inde et Chine notamment). Ce corpus légal est d’abord celui de la garantie de sécurité initialement assurée à l’Ukraine par les USA, le Royaume-Uni, la Russie, rejoints par la France et la Chine, au milieu des années 1990. Cette garantie est donc assurée par des pays qui, aujourd’hui, se divisent sur le sens de cette garantie. A cela, on peut ajouter une garantie générale, de type militaire, qui est celle de l’OTAN ; cette garantie ne concerne pas l’Ukraine dans la lettre de la garantie, mais la Pologne notamment, et d’autres pays d’Europe de l’Est qui soutiennent le pouvoir de Kiev ; pour ce qui est de l’esprit de la chose, on peut considérer que l’Ukraine-Kiev est de facto comprise dans cette garantie, en vertu de multiples dispositions, comme par exemple du fait que les avions AWACS de l’OTAN opérant à partir de la Pologne et de la Roumanie effectuent des missions de contrôle et de surveillance qui couvrent essentiellement l’Ukraine. On a même parlé du déplacement de l’un ou l’autre détachement aérien symbolique de l’USAF en Ukraine, voire d’une unité terrestre réduite (toujours le symbole pour ses forces militaires à bout de souffle qui comptent sur leur réputation pour faire la différence), – ceci et/ou cela qui se feraient au nom des USA et, sans doute, puisqu’on est si prompt à se mettre dans le sillage les uns des autres dans les mœurs de la boulimie type-BAO, au nom de l’OTAN également, – plus on est de fous, hein ?
... Un jour très proche, quelqu’un se demanderait-il : mais que vient donc faire l’OTAN dans cette galère ? Inutile de lui demander, elle qui fonce, exemplaire duplication du Système, aussi aveuglément stupide dans sa pulsion de surpuissance que le Système lui-même... Il s’agit bien pourtant, nous semblerait-il à la réflexion, d’une galère.
C’est avec ces observations qu’il faut considérer certaines situations et spéculations à la lumière de la position de l’opinion publique déterminée par PEW Research Center. La question de l’option militaire ou de l’évolution vers une possibilité d’option militaire n’est nullement absurde, d’abord 1) parce que la situation en Ukraine a déjà des aspects militaires évidents, des deux côtés, et avec des éléments actifs qui semblent vouloir évoluer dans le sens d’utiliser des moyens de coercition et de violence alimentant cette activité militaire ; ensuite 2) parce que ces divers activismes et utilisation de la violence sont évidemment des incitations à pousser l’une ou l’autre partie à des moyens militaires ; enfin 3) parce que la politique des sanctions représente des risques énormes de riposte dévastatrice de la Russie, d’une telle puissance, avec de tels effets potentiels que la situation risque de devenir extrêmement tendue entre le risques d’effondrement financier et la tentation d’exercer l’option militaire (du côté du bloc BAO notamment), si tendue qu’elle conduirait effectivement à envisager l’utilisation de moyens militaires, tout cela au son du fameux “toutes les options sont sur la table” et sur le rythme infernal du système de la communication qui règle tout (voir le 10 mars 2014)...
• Dans le cas qui se forme avec cette opinion publique US aussi tranchante dans son opposition à une implication en Ukraine, que vaut l’assurance donnée par le général Dempsey, chef d’état-major des forces armées US, selon laquelle les forces armées US viendraient en aide aux pays alliés des USA dans des circonstances qui le nécessiteraient ? Dempsey, qui a du donner cette garantie sans enthousiasme excessif et à l’insistance du pouvoir civil, parle-t-il des seuls pays OTAN, ou bien parle-t-il aussi de l’Ukraine, alors que le seul pays dont la sécurité est menacée, du point de vue du bloc BAO, c’est justement l’Ukraine ? Pourtant, l’on comprend bien qu’en disant “pays alliés”, il parle des pays de l’OTAN, et alors cela signifierait-il que l’on en arrive à compter l’Ukraine de facto comme un pays de l’OTAN ? Comment pourrait-on sérieusement envisager de telles dispositions, sinon de telles options, au regard des points de vue exprimés par l’opinion publique comme on l’a vu ? A moins d’être fins manœuvriers, ce à quoi les stratèges américanistes ne nous ont pas habitués dans leur grande générosité, on peut envisager que se créent les conditions d’une grande déroute politique et de communication, si de tels engagements ne pouvaient être tenus dans une situation d’urgence.
• ... Ce qui fait que, dans les prospectives envisagées, on est pourtant conduit à l’envisager sérieusement, du côté US et du côté du bloc BAO, d’abord parce que, pour les USA, c’est tout le prestige de cette puissance qui est en jeu, comme l’a bien montré Kerry lorsqu’il s’est révolté contre les rumeurs d’isolationnisme (de neo-isolationnisme) qui se sont répandues tout au long du mois de février, jusqu’à sa sortie décrite dans notre texte du 28 février 2014. C’est d’autant plus pressant, cette volonté de contrer l’impression d’un “néo-iso” naissant qu’il y a cette sorte d’enquête statistique qu’on détaille ici, qui fait que le “néo-iso” ne l’est plus du tout, naissant, mais déjà remarquablement affirmé, – si l’on fait le lien en forme de fil rouge entre la phase syrienne d’août-décembre 2013 et celle qui commence avec l’Ukraine ... Plus le public dit “non”, plus Kerry reçoit la consigne de dire “oui”, jusqu’au jour où il y aura collision comme il y eut dans l’affaire syrienne, et l’on retrouve les conditions évoquées plus haut. Mais cette fois, ce sera beaucoup plus grave, beaucoup plus chaud, beaucoup plus cher, parce que, encore une fois, l’Ukraine ce n’est pas la Syrie.
• Alors que les républicains poussent pour l’instant à une position plus dure au niveau de leurs parlementaires, y compris une option pseudo-militaire que certains, comme John McCain, jugent pourtant impossible (voir le 18 mars 2014), les chiffres de l’enquête PEW Research montrent au contraire la base républicaine très réticente pour un engagement militaire (16%). C’est encore pire pour une administration démocrate dont 5% de sa base seulement est pour cette option. Cela conduit à observer que l’actuelle position du Congrès qui paraîtrait très dure, est en réalité d’une incroyable fragilité, peut-être encore plus grande que lors du fiasco syrien d’août-novembre 2013 ... La politique des sanctions, proclamée bien entendu par le Congrès, peut réserver bien des surprises, on l’a vu, et conduire à envisager l’option militaire ; c’est alors qu’on risque de voir le Congrès changer complètement d’orientation, comme il l’a fait en septembre 2013 avec la Syrie
• Les Européens, eux, étaient tous seuls lorsque l’aspect public de la crise ukrainienne a été lancée, avec leur proposition-diktat de novembre dernier. Il paraît que les studieux experts-Système geignent dans leurs rapports sur ce qu’il aurait fallu faire, à propos du fait que l’UE n’a pas associé les cousins américanistes à ce processus initial. (Car il est bien connu qu’on ne peut se passer d’eux, nous autres.) Le même processus s’est poursuivi pour la signature de l’accord du 20-21 février à Kiev, superbe initiative aussitôt sabotée par des forces monstrueuses et mystérieuses où il ne serait pas surprenant de trouver la main d’une Nuland, par exemple. Si les USA avaient été partie prenante, se disent encore les mêmes experts-Système européens, les choses n’auraient peut-être pas aussi mal tourné. Désormais, les Européens tentent de coller aux cousins américanistes, dont on peut admirer chaque jour la montée aux extrêmes. Néanmoins, étant plus proches du “front”, les Européens seraient aisément un peu moins va-t-en-guerre que les américanistes, mais il faut bien qu’ils suivent puisqu’il est avéré et décrété que c’est la sagesse même ... Moyennant quoi, si le processus latent, derrière ce super-isolationnisme du public américain, se concrétise, peut-être les Européens risqueraient-ils de se retrouver, seuls et en position extrême, face aux Russes dont les oreilles auront été fort échauffées. Ce sera encore une superbe manœuvre à mettre au crédit du bloc BAO, section affaires internes et “discorde chez l’ennemi”, – et une superbe actualisation postmoderne du fameux “découplage” USA-Europe qui a hanté l'OTAN et le “Monde libre” pendant toute la Guerre froide.
• Au bout du compte, face à ces remous possibles, sinon prévisibles, c’est la cohésion et l’unité de l’OTAN qui pourraient, dans des circonstances inattendues et imprévues (elles le sont toutes, dans cette crise), rapidement être mises sur la table, à côté des options habituelles ... C’est pour le compte qu’on pourrait dire que “toutes les options sont sur la table”, avec quelques sacrées mauvaises surprises...
Il faut dire qu’avec l’Ukraine, on arrive effectivement au terme de l’aventure OTAN, puisque c’est la Russie qui se dresse. Les circonstances actuelles, la fluidité de la situation, le chaos du pouvoir à Kiev, la position dure de la Russie avec la Crimée, tout nous pousse à considérer une hypothèse très spécifique. Nous ne voyons nullement l’Ukraine comme une étape supplémentaire de l’OTAN s’installant en position d’assiégeant de la Russie, confortablement, en prenant son temps pour intégrer et phagocyter (l’Ukraine) dans les normes paresseuses et interminables de sa bureaucratie, avant de s’attaquer au gros morceau qu’est la Russie, laquelle aurait patiemment et obligeamment attendu son tour. Pour nous, il s’agirait plutôt du contraire, dans l’hypothèse évoquée ; il s’agirait plutôt de l’étape ultime de l’OTAN et sa course folle à l’élargissement, placée devant son quitte ou double ultime, directement confrontée à l’investissement de la Russie, mais aussi devant le risque colossal de l’affrontement avec la Russie. On comprend que, dans ce cas, l’opinion publique US tel que la mesure PEW Research, est un élément fondamental en ceci qu'il est un facteur essentiel de la détermination de la position du composant fondateur et fixateur de l’OTAN que sont les USA...
De ce côté aussi, nous risquons de nous trouver, à côté des risques de confrontation avec la Russie, et même avec ces risques sinon à cause d’eux, confrontés à d’autres risques de désagrégation soudaine de l’OTAN placée devant une tache impossible, la tache ultime d’une grenouille qui s’est faite aussi grosse qu’un bœuf, d’un boa se précipitant pour gober l’ours russe et étouffant littéralement, le souffle coupé, sous le poids de cette ambition considérable. C’est une autre piste qu’on suggère, éventuellement plus bucolique, pour nous conduire à hâter la phase ultime de l’effondrement du Système ; à ce moment, nous serons fiers de l’OTAN car nous saurons qu’elle a servi à quelque chose...
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