Leur guerre, ou l’héroïsme par le dollar

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Leur guerre, ou l’héroïsme par le dollar

La TV libanaise Al-Manar, proche du Hezbollah, a donné des détails concernant l’offre qatari faite à l’ambassadeur de Syrie en Mauritanie pour qu’il fasse défection, – un total de $5,8 millions selon un montage financier séduisant : $1 million à la réception de l’intention de faire défection, expliquée par l’impossibilité du contractant de continuer à “travailler avec un régime qui opprime son peuple” (formule-standard employée par différents transfuges syrien de haut rang depuis que la crise syrienne est passée en phase conflictuelle) ; puis $20.000 par mois pendant vingt ans, assortis d’une résidence gracieusement offerte par le gouvernement qatari, dans sa capitale de Doha. (Selon l’agence iranienne FARS, le budget qatari de corruption des fonctionnaires de haut rang syrien, pour obtenir leur défection, serait actuellement de $300 millions.)

Détails de cet incident significatif, d’après Russia Tody le 11 août 2012 : «Qatar’s ambassador in Mauritania allegedly offered his Syrian counterpart an advance payment of US$1 million and a monthly salary of $20,000 over 20 years, trying to convince the diplomat to defect and voice support for the opposition. Hamad Seed Albni was also offered a permanent residence in the Qatari capital Doha, but refused the proposition, claims Lebanese-based Al-Manar TV. The diplomat reportedly called the offer a “blatant interference” in Syria’s affairs and warned not to come up with such initiatives anymore.

»Bashar al-Assad’s government has endured a number of high-profile defections recently. Diplomats representing Syria in the United Arab Emirates and Iraq, Abdel Latif al-Dabbagh and Nawaf al-Fares, abandoned their positions and so did the country’s Prime Minister Riyad Hijab. The officials explained their defections, saying they could not work for a regime oppressing its own people.»

Dans l’actuelle séquence d’évènements ouverte le 11 septembre 2001, l’argent corrupteur est devenu, du côté du bloc BAO et du Système, une “arme” de première importance. Les USA en ont été les promoteurs inlassables et les utilisateurs les plus zélés. Les exemples précis ne manquent pas, d’abord pour l’opération de déstructuration initiatrice et matricielle de toutes les évènements-Système qui ont suivi, – l’attaque de l’Irak par les USA, en mars 2003.

• Le 20 mai 2003, nous rapportions des déclarations sans ambages du général Tommy Franks, alors chef du Central Command et donc chef des forces d’invasion anglo-américanistes en Irak, à partir du 19 mars de cette année, qui corroboraient un texte d’origine russe que nous avions publié le 23 avril 2003. Les commentaires accompagnant ces déclarations étaient déjà particulièrement significatifs de l’état d’esprit de ces opérations de guerre. Ils décrivaient la corruption par l’argent non comme une pratique accidentelle ou exceptionnelle, hors des normes opérationnelles, mais comme “une arme” de guerre comme une autre, de même valeur opérationnelle et de même justification éventuellement éthique (si le terme a encore cours) pour la circonstance de la guerre.

«Un article de l’hebdomadaire Defense News, mis en ligne le 19 mai 2003, apporte des éclaircissements convaincants, sinon décisifs, sur l’affaire d’une possible corruption américaine des généraux et cadres de la Garde Républicaine irakienne. [ …] Cette corruption a eu effectivement lieu, de sources américaines les plus crédibles. Defense News cite notamment le général Tommy Franks comme ayant parlé directement aux journalistes de l’hebdomadaire. Cela tranche le cas : il y a bien eu corruption.

» “I had letters from Iraqi generals saying, ‘I now work for you,’” Gen. Tommy Franks, the U.S. Central Command chief who led allied forces in the 21-day war, told Defense News May 10 when asked whether the myriad of techniques to gain Iraqi cooperation were effective. He did not elaborate.»

»…La corruption de ces généraux et autres cadres est appréciée comme “une arme” dans la présentation et le jugement qu’on en a… […] “The United States used a wide variety of weapons to topple Saddam Hussein’s regime, including payoffs to convince some Iraqi generals to keep their forces on the sidelines of the conflict, according to senior Pentagon officials and military commanders.”»

• Le surge soi-disant guerrier, préparé fin 2006 (voir le 25 décembre 2006) et réalisé en 2007, qui permit aux USA de camoufler au niveau publicitaire et de la communication leur défaite en Irak, fut constitué essentiellement d’un immense effort financier de corruption d’une partie des forces combattantes dans les rangs des rebelles s’opposant à l’invasion US. (Des témoignages ont déjà décrit ce spectacle fantasmagorique de C-130 de l’USAF convoyant des masses de dollars rassemblés en conteneurs et en palettes pour les “opérations” urgentes des forces armées US.) Nous écrivions le 9 septembre 2007 :

l’“arme ” de la corruption «continue à marcher, y compris pour le “surge”, la magnifique “victoire” dont le général Petraeus va nous entretenir à partir de demain au Congrès. On sait que cette “victoire” consiste notamment à un ralliement, — évidemment temporaire mais on verra plus tard, — de certaines tribus sunnites aux Américains, c'est-à-dire contre les ennemis principaux temporaires des stratèges américanistes. Il s’agit de Sunnites qui ont décidé de combattre Al Qaïda parce qu’ils en ont assez des dégâts causés par les terroristes. Mais même ce geste d’un cœur courroucé a été obtenu, par les USA, avec des arguments sonnants et trébuchants.»

Le Sunday Times écrivait, le 9 septembre 2007, décrivant des tractations qui impliquaient des acteurs exactement inverses à ceux que subventionne aujourd’hui le bloc BAO, puisqu’il s’agissait de corrompre des tribus sunnites pour lutter contre al Qaïda :

«American forces are paying Sunni insurgents hundreds of thousands of dollars in cash to switch sides and help them to defeat Al-Qaeda in Iraq. The tactic has boosted the efforts of American forces to restore some order to war-torn provinces around Baghdad in the run-up to a report by General David Petraeus, the US commander, to Congress tomorrow. […] The Sunday Times has witnessed at first hand the enormous sums of cash changing hands. One sheikh in a town south of Baghdad was given $38,000 (£19,000) and promised a further $189,000 over three months to drive Al-Qaeda fighters from a nearby camp.»

… A la lumière de l’incident de l’ambassadeur syrien en Mauritanie et des références constantes qui nous viennent essentiellement du côté américaniste et, sans doute plus encore, du côté des “amis du Golfe”, on imagine ce que valent, en tant que signification politique et psychologique, les diverses défections signalées du côté syrien. Il est même très étonnant qu’il n’y ait pas eu plus de défections et le seul intérêt de ce rappel de choses et de pratiques connues, c’est bien de nous montrer par logique contraire que le régime syrien est d’une solidité notable du point de vue structurel et psychologique. Pour le reste, il n’y a aucune surprise dans ces pratiques, qui sont le courant de la “guerre” postmoderniste telle que la pratique de façon intensive toutes les forces dépendantes du Système. L’argent est effectivement devenu une arme offensive majeure, à peu près à égalité avec la communication et ses diverses narratives, et avec l’emploi des drones tueurs à distance ; l'argent corrupteur constitue par conséquent une part non négligeable de la définition de l’héroïsme guerrier pour notre époque. D’un autre côté, ce que nous enseigne l’évolution de l’affaire irakienne où ces pratiques furent effectivement très utilisées et où le résultat net est l’effacement de l’influence US au profit de l’influence iranienne et un rapprochement de l’Irak avec la Russie, c’est que l’efficacité de l’“arme” de l’argent est assez grande momentanément et selon des circonstances bien précises, mais qu’ elle n’assure rien sur les termes moyen et long, jusqu’à conduire à certaines probabilités du contraire.

A l’image du Système, c’est une arme déstructurante momentanée de l’adversaire mais qui s’avère incapable de créer ou même de renforcer les structures de celui qui l’utilise. C’est une arme efficace dans son effet immédiat mais trompeuse sur le terme, qui fait partie de l’arsenal faussaire des pratiques générales du Système. D’une façon générale, l’emploi de l’argent dans ces conditions constitue un facteur de corruption non seulement vénal (cela va de soi), mais également intensément psychologique. Il corrompt les psychologies en suscitant des actes favorables au corrupteur qui n’ont aucune substance et sont vécus comme dégradants, qui sont de pure circonstance et qui conduisent plutôt à des attitudes psychologiques de réticence et de rancune du corrompu vis-à-vis des corrupteurs.


Mis en ligne le 13 août 2012 à 05H47