Loren B., Poutine et les missiles anti-autisme

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Loren B., Poutine et les missiles anti-autisme

Il y a deux choses dans notre propos : 1) le cas du profil psychologique de Vladimir Poutine établi par l’Office of Net Assesment du Pentagone dont un rapport a été obtenu par USA Today, diagnostiquant un “désordre autiste” du type Asperger (détails critiques dans le Guardian du 5 février 2015), et 2) le cas de Loren B. Thompson parvenant à extraire de ce dumb diagnosis (diagnostic stupide) une appréciation psychologique personnelle de Poutine, une théorie nouvelle de la guerre nucléaire et un argument pour le déploiement ultra-rapide d’un réseau antimissiles pour protéger les USA de l’autisme, – un réseau anti-autisme, après tout...

On ne s’attardera pas sur le premier point qui concerne une analyse psychologique datant tout de même de 2008 (la maladie a empiré, depuis, comme le montre l’incroyable désintérêt de Poutine pour la vérité de la situation en Ukraine) ; la chose est par ailleurs fort bien traité par le Guardian qui se demande si la “poutinologie” n’ait pas allée trop loin ... (Sans doute, sans doute, mais cela permettrait d’interroger le Guardian, qui n’a pas mal donné dans l’activisme du genre : “Qui t’a fait Roi ?”). Le second point introduit un personnage connu de nos lecteurs, dont nous avons encore récemment parlé, assez longuement, le 5 janvier 2015. Nous avons observé depuis longtemps puisqu’il est une de nos références du Système aux USA, pour le meilleur et pour le pire, qu’il y avait chez Thompson une sorte de dichotomie de la psychologie, et par là, du jugement de la pensée, cela ainsi exprimé dans le texte référencé :

«Nos lecteurs connaissent bien Loren B. Thompson, lobbyiste appointé du Complexe-Militaro-Industriel (CMI), notamment Lockheed Martin, par conséquent archétype du corrompu-Système; pourtant capable d’analyses de politique générale comme on en trouve peu de cette qualité dans le monde washingtonien des commentateurs, sans jamais sortir des règles conformistes du Système représentées par la narrative en cours ... Un exploit dialectique! (Nous avons souvent parlé de Thompson, essentiellement à propos du JSF. Dans notre texte du 12 avril 2014, où nous le décrivions comme un “semi-robot” du Système, nous mettions aussi bien en évidence la bassesse de son commentaire lorsqu’il s’agit de la quincaillerie US à vendre au prix fort [moitié-robot], que la qualité de son commentaire lorsqu’il traitait de sujets hors-quincaillerie [moitié-non-robot].)

... Malheureusement, il semble que notre analyse psychopolitique, bien en phase avec l’ère du même nom où nous vivons, comporte une troisième facette, un troisième personnage. Ainsi Thompson se découvre-t-il dans son dernier texte (le 6 février 2015) pour l’important et fort sérieux magazine Forbes.com où il utilise à son avantage, ou plutôt à l’avantage de Lockheed Martin et de ses pairs, producteurs d’éventuels réseaux antimissiles, l’affaire de l’autisme absolument prouvé même si pas sérieux de Vladimir Poutine, – on voit dans son texte qu’il remplace l’appréciation de l’Office of Net Assesment par le fameux common sense à qui l’on peut faire dire nombre d’affirmations abracadabrantesques.

La démarche de Thompson est caractéristique ... “Bon, certes, ce profil est mal fait, sinon puéril et stupide, vraiment dumb, et certes sans aucun intérêt médical et psychologique, mais il a pourtant l’avantage de nous orienter vers une question fondamentale : qui est Poutine, et quelle est sa psychologie ?” La réponse de Thompson, qui à notre avis reflète la croyance de la majorité des esprits (?) dans les élites-Système américanistes, est que Poutine “n’est pas un type comme nous”, qu’il n’a pas la très-haute culture qui caractérise par exemple un Bush ou un Obama et font d’eux de parfaits démocrates vertueux-pour-le-bien-des-gens, qu’il n’a pas notre sagesse, notre équilibre, notre amour de l’humanité, notre haute-culture (insistons là-dessus) poursuivant la grande œuvre de l’humanité, qu’il n’a aucune rationalité dans la perception du monde, – donc, un type dans lequel on ne peut avoir aucune confiance pour accepter les règles de la dissuasion nucléaire qui permettent aux grandes puissances responsables (c’est-à-dire les USA, les USA et les USA respectivement) d’avoir le feu nucléaire et d’en user pour maintenir la paix à la grande satisfaction des populations reconnaissantes du monde entier. L’exercice en inversion vous coupe le souffle et vous laisse un instant le porte-plume en l’air, incapable d’en commenter plus, exercice incroyable et stupéfiant d’impudence, – au point que nous dirions finalement que non, il n’y a pas impudence ; que nous ferions absolument l’hypothèse que Loren B. croit ce qu’il écrit, jusqu’à faire apparaître à ses propres yeux que sa recommandation pour développer un réseau antimissiles autistes, dit “réseau de missiles anti-autistes”, est vertueuse et dénuée de toute déformation du à l’attrait du chèque de fin de mois que signe Lockheed Martin pour ses œuvres (celles de Loren B., cela va de soi)... Développement du propos :

«The Pentagon’s Putin profile is based on less substantial research, and probably is wrong in suggesting that trauma during early life left him impaired with a type of autism known as Asperger’s syndrome. But common sense tells us Putin does not possess a normal personality, because normal people don’t rise to the top in political cultures like Russia’s. He frequently exhibits behavior that would be unthinkable in a Bush or Obama — the kind of behavior that might indicate a narcissistic personality disorder or some related malady.

»That’s a problem for U.S. military planners, because national survival depends on a psychological strategy known as deterrence that assumes Russian leaders can be incentivized with threats and rewards to avoid aggression. The basic logic of nuclear deterrence is that foreign leaders will avoid launching an attack if they know their nations would suffer devastating retaliation by America. That is why U.S. nuclear forces are designed to ride out a surprise attack and then respond.

»The strategy will probably work well as long as the leaders of other nuclear-armed nations think like us. But would the threat of massive retaliation have deterred Hitler? What about Mao Zedong? We don’t know, because deterrence is a psychological construct and we aren’t mind-readers. We can measure the inputs — missiles and bombers — but we can’t measure the outputs. Even when foreign leaders say and do the right things, they may be merely feigning compliance with the demands of deterrence until they can remove the threat posed by America’s nuclear weapons.

»There was a school of linguistic research back in the sixties called Deconstruction that spoke to the dilemma of effective deterrence by arguing that the same text (or speech) can have different meanings to different audiences. U.S. leaders learned that lesson the hard way during the Cuban missile crisis, when America and Russia came closer to nuclear conflict than at any other time during the Cold War. We thought those bad old days were gone for good after the Soviet Union collapsed, but recent provocative acts by Putin in Ukraine and elsewhere indicate he really doesn’t think like us.

»That doesn’t make him autistic, but it does raise the question of whether it makes sense to rely exclusively on a strategy of offensively-based deterrence to cope with the specter of nuclear war. Someday Washington may encounter a nuclear-armed adversary who can’t be deterred the usual way — a leader who sees America’s strategic arsenal as an urgent danger rather than an inducement to good behavior. So in addition to modernizing our Cold War nuclear arsenal to continue deterring “normal” adversaries, maybe we should be building missile defenses to protect America from leaders with the kinds of mental problems the Pentagon study of Putin highlighted.»

On rappellera d’abord que c’est une constante de la psychologie américaniste que d’affubler les autres des tares qu’elle assure ne pas avoir elle-même, que c’est même cela qui la caractérise, cette espèce de tendance à ne rien voir qui vaille sinon elle-même imposée comme référence unique et exceptionnelle. Les Iraniens ont reçu le même traitement que celui que subit Poutine, pour arguer qu’il n’était pas question que l’on permette qu’ils possèdent l’arme nucléaire. (Voir un contre-exemple le 20 septembre 2007 un débat où l’on entend, l’une des rares fois du cas, un général US déclarer in fine que l’Iran n’est pas une “nation-suicide”, irrationnelle, envisageant d’utiliser l’arme nucléaire unilatéralement dès qu’elle la posséderait.) Inutile de discuter tous ces propos qui sont, considérés objectivement, une pure inversion. (Le seul pays à avoir utilisé la Bombe, ce sont les USA, et le seul pays qui montre officiellement une complète irrationalité à propos de l’emploi de toutes les armes, sans exception faite pour le nucléaire depuis la “doctrine Bush” de 2002, ce sont les USA. Il s’agit du seul pays a avoir montré des faits qui peuvent être évidemment interprétés comme une intention de déclencher volontairement une guerre nucléaire massive d’anéantissement, et ces faits sont du côté US... Lorsque Thompson rappelle le cas de la crise de Cuba [«U.S. leaders learned that lesson the hard way during the Cuban missile crisis, when America and Russia came closer to nuclear conflict than at any other time during the Cold War»], il est bien dommage qu’il ne rappelle pas que le seul cas prouvé et archivé d’une intention provocatrice de déclencher un conflit nucléaire durant cette période, donc de montrer ce comportement irrationnel, vint d’un général US, le chef d’état-major de l’USAF Curtis LeMay, dont le président Kennedy eut tant de mal à garder le contrôle, avec LeMay ordonnant un “tir d’essai” provocateur d’un ICBM US le 27 octobre 1962, alors que la crise était en cours de règlement, dans l’intention évidente de provoquer une mauvaise interprétation du tir, une riposte soviétique et un enchaînement jusqu’à la guerre totale.)

Le cas lui-même (irrationalité ou pas, etc.) étant réglé, il se pose la question qu’illustre Thompson. On mettra de côté son intention de faire vendre de la quincaillerie, qui vaut dans toutes les argumentations qu’il a faites, pour s’en tenir à son évolution psychologique depuis un an. On a vu au moins trois textes de Thompson, où il montrait un certain équilibre dans son appréciation, s’en tenant à un avertissement du risque d’une guerre nucléaire, – le 14 mars 2014, le 28 avril 2014 et le 5 janvier 2015. Entre les trois textes, il y a une évolution que nous mentionnions accessoirement, avec le même argument fondamental (attention, risque de guerre nucléaire), et qui concernait une mention et un respect de plus en plus affirmé de la narrative officielle (responsabilité totale de la Russie et de Poutine), à peine présente dans le premier, complètement présente dans le dernier mais avec des aménagements permettant d’en revenir à l’argument central (attention, risque de guerre nucléaire). Cette fois, c’est un basculement complet : la narrative, et la narrative dans ses aspects les plus sordides et racoleurs, prend le dessus et structure tout le texte («But common sense tells us Putin does not possess a normal personality, because normal people don’t rise to the top in political cultures like Russia’s. He frequently exhibits behavior that would be unthinkable in a Bush or Obama — the kind of behavior that might indicate a narcissistic personality disorder or some related malady...», «...to protect America from leaders with the kinds of mental problems the Pentagon study of Putin highlighted»)

Comme nous le disons et le répétons, Thompson n’a pas besoin de descendre aussi bas pour faire la promotion de sa quincaillerie. S’il descend aussi bas, c’est que sa psychologie l’y pousse, – et si nous avançons cela, c’est parce qu’un même processus psychologique est discernable actuellement chez les experts-Système US (très récemment, Strobe Talbott et Ivo Dalder), devenus complètement irrationnels dans leur soutien à une logique ayant comme conséquence ultime un conflit avec la Russie. Bien entendu, tout cela se passe aux USA, où les caractères de la psychologie renvoient à des traits spécifiques, selon notre analyse, qui rendent la psychologie extraordinairement vulnérable à des influences, des pressions non-humaines conduisant à envisager les pires des irrationalités stratégiques, c’est-à-dire des irrationalités autour de la possibilité d’un conflit nucléaire. (Voir les caractères psychologiques US dans le cadre de la question psychologique, le 28 janvier 2013 dans notre Glossaire.dde.) D’un point de vue psychiatrique, on parlerait d’un comportement de maniaco-dépressif mélangeant la paranoïa et la schizophrénie, – c’est-à-dire la paranoïa facilitée par la schizophrénie.

Mais ces hypothèses pathologiques ne sont d’aucune aide pour mieux éclairer le fondement de l’évolution de la psychologie américaniste. La question fondamentale est celle de l’origine des influences qui exacerbent ces humeurs, accroissent pathologiquement la certitude de l’exceptionnalité US comme seule référence et le mépris total de tout ce qui n’est pas US, avec les jugements absurdes qui en découlent (comment peut-on poser de telles choses, avec ce que nous dit le “common sense” du caractère d’un Bush ou d’un Obama : «But common sense tells us Putin does not possess a normal personality, because normal people don’t rise to the top in political cultures like Russia’s. He frequently exhibits behavior that would be unthinkable in a Bush or Obama — the kind of behavior that might indicate a narcissistic personality disorder or some related malady.» ?). Cette question de l’origine des influences est évidemment du domaine de la métahistoire, ces forces pouvant constituer par le biais de leur influence le plus sûr moyen de conduire les USA vers un destin d’autodestruction ...

Paradoxalement, nous ne craindrions pas tant que la montée d’un tel climat favorise la perspective d’une guerre nucléaire déclenchée par les USA, parce que ce climat est générateur de désordres divers, psychologiquement et intellectuellement, qui constituent beaucoup plus un frein vers une agression nucléaire qu’on ne croit en conduisant à des réactions de résistance bureaucratique. Le schéma idéal (!) de l’opérationnalisation d’une psychologie exaltée se fait dans un climat de tension maximale impliquant une résolution collective, comme en octobre 1962 : tout le monde était prêt à la guerre nucléaire comme face à une fatalité possible en train de devenir probable, à une fatalité qui semblait détachée du contexte politique général, une fatalité manifestant par définition un fait objectif, et tout dépendant de l’événement décisif, dans un sens ou dans l’autre, – LeMay réussissant son acte de provocation ou Kennedy réussissant à établir un accord avec Krouchtchev. La situation actuelle aux USA est plutôt celle d’un désordre psychologique extraordinaire sous la forme des interventions comme celles que nous avons citées, mais aussi avec des réactions internes contraires comme celle des processus bureaucratiques qui refusent la précipitation, aussi bien qu’avec le comportement sinueux et incertain du président Obama, alors que la guerre nucléaire n’est nullement envisagée comme “une fatalité possible en train de devenir probable”. Ce désordre-là est bien entendu en train d'être mesuré et pris en compte par les “alliés” du bloc BAO, qui sont en train de découvrir les risques courus et qui manifestent eux aussi des réactions de plus en plus contraires aux maximalisme hystérique de la psychologie américaniste. Actuellement, entre les deux pôles extrêmes, le désordre progresse plus vite au sein du bloc BAO que la perspective d’un affrontement avec la Russie.


Mis en ligne le 9 février 2015 à 03H16