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29567 novembre 2009 — Tout tendant vers le nihilisme dans les diverses factions du système, pourquoi pas le maccarthysme? Le départ de Van Jones, conseiller à la Maison-Blanche pour les questions environnementales, a été obtenu par des attaques de Glenn Beck, présentateur de la chaine TV Fox.News. Le fait d’avoir signé une pétition en 2004 s’interrogeant à propos de la possible implication de l’administration Bush dans l’attaque 9/11 et l’autre fait d’avoir employé l’expression “assholes” (entre nous: “trous d’cul” en French) pour désigner les républicains furent retenus à sa charge dans le procès monté rapidos par Beck. S’y ajouta bientôt un passé bien suspect pour les vertus washingtoniennes courantes, peu conforme aux normes du système. Après deux ou trois jours de résistance, Van Jones a démissionné.
Le Washington Post nous fait, ce 6 septembre 2009 un petit topo sur l’affaire.
«The announcement that Jones was stepping down came minutes after midnight Sunday morning. “On the eve of historic fights for health care and clean energy, opponents of reform have mounted a vicious smear campaign against me,” Jones said. “They are using lies and distortions to distract and divide.”
»He continued: “I have been inundated with calls – from across the political spectrum – urging me to ‘stay and fight.’ But I came here to fight for others, not for myself. I cannot in good conscience ask my colleagues to expend precious time and energy defending or explaining my past. We need all hands on deck, fighting for the future.”
»Jones, who joined the administration in March as special adviser for green jobs at the CEQ, had issued two public apologies in recent days, one for signing a petition in 2004 from the group 911Truth.org that questioned whether Bush administration officials "may indeed have deliberately allowed 9/11 to happen, perhaps as a pretext for war” and the other for using a crude term to describe Republicans in a speech he gave before joining the administration.
»His one-time involvement with the Bay Area radical group Standing Together to Organize a Revolutionary Movement (STORM), which had Marxist roots, had also become an issue. And on Saturday his advocacy on behalf of death-row inmate Mumia Abu-Jamal, who was convicted of shooting a Philadelphia police officer in 1981, threatened to develop into a fresh point of controversy.»
Il est intéressant de comparer ce rapport du Washington Post sur les “fautes” de Van Jones, avec celui qu’en fait le site WSWS.org, ce 7 septembre 2009. On a ainsi une variation dans la description, qui nous conduit plus proche de la réalité avec WSWS.org, c’est-à-dire plus proche de la réelle gravité des “fautes” en question, tandis que le Post ne fait qu’énoncer les “accusations” sans éclairer leur véritable caractère, contribuant ainsi à accréditer leur fondement. On retrouve quelques maillons de la chaîne définissant l’appareil du conformisme à Washington, sa main de fer dont la poigne s’exerce sans nécessité d’aucun débat ni de quelque consigne que ce soit…
«What was Jones’s crime? He once, before accommodating himself to the political establishment, demonstrated a certain degree of social commitment. In the early 1990s, while a law student at Yale University, he was involved in protests over the beating of Rodney King by police. He was later briefly associated with a Maoist organization known as STORM, which organized anti-war and anti-police brutality campaigns.
»Like many of this social layer, Jones quickly modified his positions as he advanced his career. He became involved with various liberal identity politics organizations, before becoming an adherent of “green capitalism,” pushing the idea that urban centers could be revived by providing job training in the “new energy economy.” He wrote a best-selling book in 2008, The Green Collar Economy.
»One of Jones’s main sins in the eyes of his critics was signing a “911 Truth Statement” in 2004. The statement pointed to the many still unanswered questions surrounding the attacks of September 11, and called for an investigation, Congressional hearings, media attention, and an independent inquiry.
»There is nothing particularly extraordinary about the statement signed by Jones, which begins by citing a Zogby International poll finding that about half of New York City residents, and 41 percent of residents in New York state, believe that sections of the US government had foreknowledge of the attacks and “consciously failed” to act. Sixty-six percent supported a new investigation into these questions. Other polls have found that more than a third of the population and more than 40 percent of self-described Democrats throughout the country reject the official explanation of September 11.
»Calling into question the foundation of the “war on terror,” however, is completely proscribed within the political establishment and mass media. Indeed, the broad-based skepticism over 9/11, the event that became the central rationale for the US wars in Afghanistan and Iraq, as well as the massive attack on democratic rights in the US, is remarkable given the complete silence on such matters within “official” circles.»
Quelques appréciations de personnalités républicaines sur Van Jones, avant que celui-ci ne donne sa démission. Le député Mike Pence, de l’Indiana, estimait que «[h]is extremist views and coarse rhetoric have no place in this administration or the public debate.» Le sénateur Christopher S. Bond, du Missouri, envisageait déjà une série d’auditions de Jones, en se bouchant le nez, et avec les motifs les plus nobles qu’on puisse imaginer, c’est-à-dire au nom de la vertu du peuple de la Grande République: «Can the American people trust a senior White House official that is so cavalier in his association with such radical and repugnant sentiments?»
Bien entendu, ce n’est pas fini. La méthode marchant diablement bien, “ce n’est qu’un début continuons le combat”. HuffingtonPost signale, ce 6 septembre 2009, que Glenn Beck sollicite de ses très nombreux correspondants, auditeurs et spécialistes du courriel polémique, le maximum de détails sur trois personnalités de l’administration Obama, pour lancer des attaques du même style que celle qui a eu la peau de Van Jones: «Glenn Beck's Twitter feed has become a must-read. In a message from last night, Beck told his followers to “find everything you can on Cass Sunstein, Mark Lloyd and Carol Browner”.»
Le schéma est impeccable, jusqu’à l’“appel à témoins” qui constitue un appel à la délation caractérisée. Glenn Beck, de Fox.News, a acquis en quelques semaines, une célébrité de procureur comme seuls le système de l’américanisme a le secret. Sa technique est du pur maccarthysme, l’argument et la valeur de l’accusation étant à mesure. Tout cela accompagne le mouvement général de la “droite” républicaine US, qui se manifeste avec puissance depuis l’élection d’Obama au moyen de la communication et sur un plan essentiellement intérieur, sur des questions essentiellement intérieures, essentiellement polémiques, s’éloignant de plus en plus de toute substance, avec un pied solidement ancré dans l'établissement psychiatrique pour le comportement.
Il s’agit bien de maccarthysme, dans ce sens où la méthode compte plus que ce que cette méthode permet d’exposer. Il s’agit plus de “communication” que d’action politique, fût-ce de l’extrémisme politique, en se référant au maccarthysme plus comme à une méthode de communication que comme à un processus législatif, bien qu’il se soit déroulé par le canal des commissions sur les activités non-américaines du Sénat. Beck est un “showman”, un homme de communication avec un solide background de fondamentaliste chrétien à l’américaine, avec des problèmes comportementaux et psychologiques divers (alcoolisme, drogue, vie familiale difficile), un peu à l’image de ces Américains de la classe moyenne soumis aux pressions des fondamentalismes divers du système de l’américanisme, y compris celui de la réussite sociale et de la célébrité. On retrouve certains des traits psychologiques qui marquèrent le personnage du Joe McCarthy. La cause embrassée, même si elle rencontre des convictions, est d’abord un acte de communication important pour la psychologie du communicateur, basée fondamentalement sur la méthodologie du journalisme d’investigation et de diffamation.
Cela décrit une situation notablement dégradée, y compris par rapport à celle du temps de GW Bush, où les néo-conservateurs, qui tenaient en tant que tels ce rôle de procureur maccarthyste, prétendaient s’appuyer sur une doctrine élaborée, portant sur des projets politiques, et même de “grande politique”. (Ici, la validité de la “grande politique” n’est pas en cause – on sait ce qu’il faut penser de la base doctrinale des neocons. Il s’agit surtout d’identifier la sorte de référence qui est en cause.)
Bien évidemment, Beck est décrit comme “fasciste” par la vision militante de l’affaire (notamment WSWS.org), et Obama complice puisque la conclusion du même WSWS.org semble estimer implicitement que le départ de Jones (mise à pied plutôt que démission) faisait partie de “l’agenda” d’Obama: «As for Jones’s claim that he resigned (in fact, he was fired) so as not to get in the way of Obama’s “agenda,” his dismissal is entirely consistent with that agenda.»
Il faut tout de même prendre les faits pour ce qu’ils sont, lorsqu’ils sont actés de cette façon: Jones a été engagé en mars à la Maison-Blanche, et l’on voit vraiment très mal, sinon pour satisfaire jusqu’à l’extrême les constructions rationnelles des théoriciens de la manipulation politique, que ce soit pour avoir l’avantage de le mettre à pied début septembre, après intervention de Beck. Qu’il y ait eu maladresse ou ignorance, dans le cas de l’hyper-prudence de l’administration quant à la vulnérabilité des carrières de ses collaborateurs par rapport aux attaques extérieures, sans doute; que l’administration Obama ait cédé aux pressions de l’attaque de communication, sans aucun doute. Mais tout cela est un indice de paralysie et d’inefficacité, et sans aucun doute cette prudence extrême pourrait être effectivement être assimilée à de la couardise, bien plus que d’habileté et de manigance – et la paralysie et l’inefficacité, et l’excessive prudence jusqu’à l’extrême qu’on a dit, caractérisent effectivement la situation de l’administration Obama.
Plus encore, dans la ligne d’une remarque faite plus haut (“en se référant au maccarthysme plus comme à une méthode de communication”), nous serions tentés d’écarter de plus en plus le facteur idéologique, pour évoluer vers le facteur de l’extrémisme de la communication. C’est d’ailleurs, à notre sens, ce qui caractérisa McCarthy lui-même, par rapport à “la chasse aux sorcières” en général, notamment l’activisme des commissions parlementaires sur les activités non-américaines (notamment contre Hollywood, la “liste noire”) qui précédèrent McCarthy, de 1946 au moins (et même, depuis 1938) jusqu’en 1951, lorsque lui-même s’empara de la présidence de cette commission au Sénat. Avec McCarthy, on passa nettement de l’activisme à la fois législatif et de communication, à un activisme essentiellement axé sur la communication, avec des méthodes de journalisme d’investigation et à scandale.
L’affaire Beck-Jones indique que la situation “intérieure” washingtonienne tend vers cette situation de “terrorisme de la communication”, ou même “terrorisme démocratique” puisque les armes utilisées sont éminemment des artefacts de la démocratie, les attaques venues de domaines du secteur privé, etc. Mettre l’étiquette de “fasciste” là-dessus permet de suggérer des assimilations rassurantes pour tout le monde. Bien entendu, ce “terrorisme”-là va vers l’extrême qui domine (radicalisme ultra-patriotard, conformisme ultra-américaniste, etc.), qui est un classique de l’univers washingtonien; mais il est d’autant plus spécifique à ce temps, à notre temps, que l’analogie avec le maccarthysme s’arrête tout de même avec l’absence de la référence extérieure. Quoi qu’on en dise et débatte, et il y a beaucoup à dire et à débattre, l’URSS existait au temps de McCarthy, et le communisme également. Rien de semblable aujourd’hui, malgré tous les efforts déployés pour nous en conter là-dessus. Ainsi ce maccarthysme postmoderne prend-il une extraordinaire allure de nihilisme, avec comme principale fonction de contribuer formidablement à la paralysie générale du système. Tout le monde, y compris les républicains au bout du compte, se retrouve prisonnier d’une dynamique de la communication, subversive par automatisme, irresponsable par essence, nihiliste effectivement par vocation déstructurante.
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