Maidan-sur-Danube, l'hypothèse délicate

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Maidan-sur-Danube, l'hypothèse délicate

L'article "La Hongrie (et l’Europe) dans le collimateur de Nuland" (voir dedefensa.org, le 4 octobre 2014) pose les bases d'un scénario à la Maidan en Hongrie, tellement moche que ça sonne vrai. Cela dit nous devons prendre en compte certains acteurs qui différencient la Hongrie de l'Ukraine, le principal étant l'impossibilité pour un conflit de demeurer à l'intérieur des frontières.

Contrairement à l'Ukraine, la Hongrie est un vrai pays avec un vrai gouvernement et une puissante homogénéité linguistique. De ce côté-là les lignes de fractures se situent plus à l'extérieur (minorité magyarophones en Roumanie, Slovaquie, Serbie et... en Ukraine). Orbán en est conscient puisqu'il a lancé un programme permettant aux hongrois hors de Hongrie d'acquérir la double nationalité, quitte à faire grogner un peu les gouvernements voisins. Peut-être ne s'agit-il à l'origine que d'une manœuvre électorale, en tous cas on n'imagine pas le bonhomme hésiter une seule seconde à exporter un peu de désordre vers les pays frontaliers, si besoin en était.

Ensuite l'extrême-droite personnifiée par le Jobbik a peu à voir avec les nazis ukrainiens. Le Jobbik est une fabrication récente, vraisemblablement destinée à capter le mécontentement populaire en coupant l'herbe sous le pied au renouveau communiste possible au début des années 2000. Le Jobbik a également servi de laboratoire d'idées pour le Fidesz (le parti d'Orbán), étant notamment le premier à parler d'une collaboration accrue avec la Russie et la Chine. Hormis cela le Jobbik déballe des uniformes des Croix-fléchées et deux-trois svastikas les grands jours, brûle la bannière étoilée (la bleue et jaune) et fait son beurre électoral de la détestation des Roms. Bien que les Roms de Hongrie comptent pour 10 % de la population, ils sont pauvres, politiquement inexistants, et on peut même dire que leur élimination ne modifierait pas directement un équilibre stratégique, alors que ça serait le cas pour les russophones d'Ukraine. En cas de conflit armé c'est plutôt le Jobbik qu'on retrouverait du côté d'Orbán.

Bien avant de nous produire cette pépite d'“illibéralisme”, Orbán avait évoqué plusieurs fois un avenir qui se construirait vers l'Est. C'est déjà vrai pour l'approvisionnement énergétique avec le gaz et les centrales nucléaires importées de Russie. En même temps, les subventions de l'UE ça fait du bien, y compris quand il s'agit de se remplir les poches entre amis. Pour l'instant tout est calme parce que le forint permet de jouer sur le taux de change et qu'il reste de la croissance à gratter (bas salaires, potentiel de dérégulation). Dans l'absolu il suffirait de faire durer pour renforcer l'addiction des élites locales à la potion magique UE, pour ensuite leur faire acheter n'importe quoi.

Mais voilà, l'orthodoxie uniopéiste ne souffre d'aucun délai ; tout comme le reste il faut qu'elle avance en mode turbo. L'énervement de Victoria Nuland nous montre aussi qu'Orbán a tout à fait compris les limites de l'UE puisqu'il en joue si bien et qu'il est toujours là. Un scénario tragi-comique serait celui où l'UE n'étant plus en mesure de faire bénéficier la Hongrie de ses largesses – une sécession de la Catalogne couplée à un effondrement bancaire, par exemple – Orbán irait faire ses adieux à Bruxelles avant d'aller fort logiquement chercher meilleure fortune à l'Est. Le drapeau de l'OTAN flotterait un petit peu moins fièrement devant la façade du Ministère de la Défense et les Gendarmes du Monde nous resserviraient un “Maidan 2” en mode réflexe et en complet déphasage avec la réalité. Ils se sont plantés avec la Syrie, puis avec l'Ukraine, pas de raison de s'arrêter là c'est vrai. Le versant optimiste, ça serait la Hongrie revenant sur sa russophobie contractée du temps de l'Union Soviétique.

À Budapest l'ambassade des USA est située sur la Szabadság Tér (Place de la Liberté !) juste en face du siège de la MTV Télévízió qui n'a rien à voir avec MTV tout court. En trois ans leur ambassade s'est transformé en une espèce de château-fort avec une enceinte faite de piliers d'acier colossaux pour garder la zone d'entrée. Cher à bâtir, encore plus cher à dégommer.

Laurent Caillette