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1449Hier, Obama était dans le Massachusetts, pour soutenir la candidate au siège de Ted Kennedy décédé, la démocrate Martha Coakley. Soudainement, les démocrates se sont aperçus qu’elle était menacée par son adversaire républicain (celui-ci, avec une avance de 4 points dans les sondages, le 15 janvier) et ils sonnent la mobilisation. Ce serait un événement grave et symboliquement dévastateur pour les démocrates, parce que, depuis 1972 et la première élection de Ted Kennedy, le siège est resté constamment dans leur camp, comme un bastion du parti.
La chose est importante aussi pour l’arithmétique parlementaire. Si les démocrates perdent le siège, ils perdent leur majorité de 60 sièges au Sénat, qui leur permet d’écarter les manœuvres de retardement (filibuster) au Sénat. La loi sur les soins de santé, le joyau chèrement acquis de la première année de présidence Obama, serait notamment mise en cause.
Ceci, surtout, est intéressant: cette situation piteuse des démocrates est pour une bonne part due à l’action du mouvement Tea Party, qui a servi de tremplin au candidat républicain et qui suggère à nombre de démocrates qu’il est temps de montrer un certain mécontentement à la représentation nationale majoritaire – démocrate au Congrès, démocrate à la Maison-Blanche. Le sémillant Bill Clinton, pourtant en instance de départ pour Haïti, est venu prêter main forte à Martha Coakley le 15 janvier (Joe Conason, le 15 janvier 2010, sur Salon.com).
«When Bill Clinton flew up to Massachusetts on Friday afternoon to campaign with Martha Coakley, he brought a special message for Bay State Democrats facing the enraged right-wing activists mobilized around her opponent Scott Brown.
»“You need to take back this tea party idea,” he told the wildly cheering crowds in Boston and later in Worcester. “They say that the original Boston Tea Party was anti-government, but that is wrong. The Massachusetts Bay Colony had a strong government. They weren’t liberal or conservative, they were communitarians, which means they knew we’re all in this together. What they opposed was the abuse of power.” But the aim of the Republican Party and Senate nominee Brown, he charged, is to “protect the modern abusers of power” – namely, the corporate and financial leaders whose depredations can only be curtailed by strong, responsive government.
»Coakley echoed Clinton’s populist theme, accusing Brown of wanting to spare the nation’s largest banks from paying back the billions of federal bailout dollars – even while the bankers paid themselves “seven or eight-figure bonuses.” The rich and well-connected “will always be able to hire someone to speak for them. But who is going to speak for the rest of us? That is why I’m running for the Senate.”»
Certains commentateurs jugent que les démocrates sont sur le point d’“imploser” en une révolte contre leur direction, et l’élection du Massachussetts en serait la première manifestation. Ainsi de Jack Wheeler, dans sa lettre d’information Behind the Lines du 14 janvier 2010. (Wheeler est légèrement à la droite de Cheney, question tendance.)
«For all their power-grabbing fascist arrogance, the Democrats in Washington are coming to resemble Mack Sennett's bumbling-fumbling Keystone Kops more with each passing day.
»Republicans in Washington are in a certain kind of awe over the Dems' performance. Walk around the halls of Capitol Hill. You don't need name tags to identify the Pubs from the Dems. The former are walking with zest and smiling cheerfully - except when they cast a glance of astonished puzzlement at the latter shuffling dejectedly along and refusing to look at their cheerier colleagues in the eye.
»How could everything go to hell so quickly? That's the question both are asking themselves. It is a mystery to both. “I guess we really are in a state of shock and awe over what they have done to themselves,” says a buddy of mine who's chief of staff to a principal GOP Senator. “I just hope we learn the right lesson from it”. “You think the TeaParty folks are mad at the Pelosi-Reid-Obama Gang?” he asked me rhetorically. That's just anger in a teapot compared to the cauldron of hate boiling the Left. One by one, he listed the Dem constituencies that are in a state of disgusted rage.»
@PAYANT C’est une intéressante occurrence, ces difficultés démocrates dans un Etat si complètement assuré pour eux, cette diatribe de Clinton contre Tea Party, comme s’il s’agissait de la principale force d’opposition et une force attractive pour certains démocrates, enfin ces rumeurs sur la colère des démocrates contre leurs propres représentants. Tout cela mesure la fragilité de la situation intérieure pour Obama, qui deviendrait, si les démocrates perdaient demain l’Etat sacré des Kennedy, une crise nationale du parti et une crise fondamentale pour le président. On mesure, à la petitesse de causes potentielles d’événements qu’on devine gigantesques dans leurs effets, la tension qui habite aujourd’hui les structures du système.
L’élection du Massachusetts est d’ores et déjà d’un grand intérêt (quel qu’en soit le résultat) parce qu’elle marque une intrusion tonitruante de Tea Party sur la scène politique “officielle”, dans le cadre d'un événement majeur. Elle pousse à des raisonnements ambigus, et celui-ci, dans ce cas, suggéré sans doute par quelque historien de haute volée du système. Lorsque Bill Clinton oppose l’argument du gouvernement fort de la Massachusetts Bay Colony contre l’argument de Tea Party contre un “gouvernement fort”, il fait un dangereux faux sens. Il glorifie la force du gouvernement de l’Etat de l’Union, voire sa légitimité, alors que Tea Party s’oppose d’abord à la puissance du gouvernement du centre fédéral (ne parlons pas d’Etat, car il n’y en a pas), à laquelle il dénie instinctivement, sans conscience affirmée de la chose, sa légitimité. Clinton ne fait pas l’apologie du gouvernement central mais celle du gouvernement de l’Etat de l’Union, ce qui est proche d’un raisonnement sécessionniste – ce qui sera interprété comme tel par beaucoup, notamment ceux qui, déjà, demandent plus de pouvoir aux Etats de l’Union et moins au “centre” fédéral.
Tea Party confirme à cette occasion son rôle déstructurant que nous avons distingué à d’autres occasions. L’essentiel dans le cas présent se résume à deux points, qui ont peu à voir avec l’arithmétique parlementaire et beaucoup avec la situation du “pays réel” des USA. Le premier point est que Tea Party devient une force publique et politique d’une importance telle que les deux partis du système sont obligés de raisonner et de manœuvrer en fonction d’une situation qui échappe aux règles du système. Cela favorise bien des erreurs, bien des dérapages incontrôlés, et expédie une circonstance politique majeure et jusqu’ici réglée comme du papier à musique entre les deux partis sur une terra incognita de la politique.
Le second point découle du premier. Peu importe en l’occurrence de savoir qui sera élu, mais importent essentiellement les effets de l’élection en fonction du poids de Tea Party. La conséquence principale est bien le désordre nouveau ainsi créé, du fait d’une force politique difficilement identifiable, et encore plus difficilement contrôlable. Dans la pire des hypothèses (pour les démocrates), le plus important n’est pas que les démocrates perdent leur majorité de 60 sièges mais bien qu’ils entreraient dès mercredi matin dans une crise majeure de cohésion d’abord dans la perspective des élections de novembre 2010, à tous les niveaux des Etats selon les situations locales, et entre les parlementaires et le président au niveau national. La situation ne serait pas nécessairement meilleure pour les républicains, qui auraient de plus en plus besoin de Tea Party pour consolider leur possible victoire de novembre, et qui seraient de plus en plus dépendants par conséquent d’une force de plus en plus incontrôlable, renforcée dans ce cas par l’éventuelle victoire du Massachusetts prise ici comme hypothèse.
On comprend combien les buts politiques de Tea Party, si quelqu’un arrive précisément à les identifier, n’ont enfin que peu d’importance. L’essentiel est bien sûr le trouble profond que le mouvement introduit dans le jeu politique des deux principaux partis, qui ressemble si souvent à une complicité objective renvoyant évidemment au système, dans ce cas système de “parti unique” dont ils sont les deux ailes.
Mis en ligne le 18 janvier 2010 à 01H27