Méandres et contorsions de la politique britannique vis-à-vis de BHO

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Au départ de cette réflexion que certains jugeraient intempestive et d’autres inactuelle par certaines référence, on fait le constat d'une confusion épisodique dans la politique britannique vis-à-vis de l’administration Obama; on poursuit par l'hypothèse que cette confusion a de fortes chances de se trouver accentuée par le rôle que tient, ou que ne tient pas Hillary Clinton. Cette politique semble parfois curieusement contrastée par rapport à la ligne politique générale, assez vague au demeurant et pour tout arranger, suivie par le gouvernement Brown. Pour illustrer ce propos, nous revenons à un commentaire que nous faisions le 4 février, justement à propos d'Hillary Clinton dans sa position au sein de l’administration Obama. Nous citions notamment un passage d’un commentaire somme toute assez ambigu, ou bien obscur c’est selon, de The Independent, manifestement inspiré de sources gouvernementales (cette origine, selon des appréciations de source européenne)…

«But was there a hint of regret that Hillary wasn't in the White House? As far as the Foreign Office is concerned, Barack Obama, is an inspiring but essentially blank sheet of paper. A pre-election confidential assessment by Britain's Ambassador Sir Nigel Sheinwald described deep anxieties: Mr Obama was a fence sitter given to “assiduously balancing pros and cons”, Sir Nigel wrote, and he “does betray a highly educated and upper middle-class mindset”.

»But it was Mr Obama's desire for face-to-face talks with the mullahs in Tehran that really worried London. Back then, Mrs Clinton declared that she would “annihilate” Iran if it so much as lifted a nuclear finger towards Israel. For her new role in the Obama era she will have to whisper such views in Mr Miliband's ear in future.»

Ce qui paraît étonnant dans ce passage, c’est le regret qu’Hillary ne soit pas à la Maison-Blanche notamment et principalement parce qu’elle a dit être prête à “annihiler” nucléairement l’Iran alors que BHO, qui dit qu’il est prêt à “parler” avec l’Iran, s’y trouve. On en tirerait comme conclusion que les Britanniques sont nettement, à la droite de Netanyahou, du parti qui veut “‘annihiler’ nucléairement” l’Iran? Ce n’est pas vraiment le cas. Les Britanniques, encore plus Brown que Blair, ont toujours eu une position plus nuancée que les USA, essentiellement du temps de Bush, tentant de calmer, d’apaiser la rhétorique guerrière des USA contre l'Iran. Voilà que, dans ce commentaire, ils sont présentés comme regrettant l’absence que la politique “ultra” de Clinton contre l’Iran (politique qui reste d’ailleurs à être confirmée) ne soit pas la politique de BHO.

En Afghanistan, certaines analyses montrent que les Britanniques ont également une politique qui prend des aspects contradictoires, ou qui peut être qualifié de “double jeu” mais selon une logique difficile à saisir à première vue. D’un côté, ils sont les premiers à arguer que la guerre est mal menée, qu’elle est trop destructrice, qu’elle est aveugle et mène à une catastrophe parce qu’elle est menée “à la tronçonneuse” (arguments anti-US, mais qui ne sont nullement présentés comme tels, c’est-à-dire sans identification de l’objet de la critique); d’autre part, ils sont en train de se raidir actuellement contre une évolution perceptible du côté US, pour une guerre plus nuancée, avec des aspects civils, voire anti-criminels (lutte contre les trafiquants de drogue sans mettre en cause la population afghane qui est impliqué dans ces trafics), notamment ce raidissement parce que cette évolution rapproche les USA des thèses françaises.

L’explication de cette position complexe rend compte de la politique suivie pour satisfaire aux devoirs des special relationships. Cette politique est appliquée d’une façon têtue et constitue l’archétype d’une “politique indirecte”, ou une “politique de billard”, à plusieurs bandes éventuellement. Dans les dossiers politiques où les USA sont engagés d’une façon importante et jugée essentielle pour les intérêts britanniques, la politique britannique n’est pas faite en fonction du dossier lui-même mais en fonction de ses effets sur la position US par rapport au Royaume-Uni, et par conséquent sur ce qu’on croit que cela apportera aux relations USA-UK. Cette politique a été précisément détaillée, telle que conçue à l’origine, par John Charmley dans son livre Churchill’s Grand Alliance (disponible sur notre site edde.eu en version française sous le titre la Passion de Churchill). Charmley écrit notamment:

«En tentant d’exposer “l’essence d’une politique américaine” en 1944, un diplomate définit parfaitement cette attitude. La politique traditionnelle du Royaume-Uni de chercher à empêcher qu’une puissance exerçât une position dominante était écartée : “Notre but ne doit pas être de chercher à équilibrer notre puissance contre celle des États-Unis, mais d’utiliser la puissance américaine pour des objectifs que nous considérons comme bénéfiques.” La politique britannique devrait être désormais considérée comme un moyen d’ “orienter cette énorme péniche maladroite [les USA] vers le port qui convient.” L’idée d’utiliser “la puissance américaine pour protéger le Commonwealth et l’Empire” avait beaucoup de charme en soi, en fonction de ce que l’on sait des attitudes de Roosevelt concernant l’Europe. Elle était également un parfait exemple de la façon dont les Britanniques parvenaient à se tromper eux-mêmes à propos de l’Amérique.»

Dans le cas qui nous occupe, les Britanniques ont observé, ou cru comprendre dans tous les cas, que les relations des autres (notamment des Français) avec les USA étaient exécrables lorsqu’il y avait la politique extrémiste de Bush; eux-mêmes ont soutenu (ou ont paru soutenir) cette politique avec, estiment-ils, le plus grand avantage pour eux-mêmes. En effet, constate-t-on, leurs relations avec les USA n’ont jamais été meilleures, – même si cela ne leur a rien rapportés, sinon d’être impliqués dans des aventures catastrophiques. Qu’importe le résultat pourvu que la politique complexe et jugée si habile soit suivie; dans ce cas, l’entêtement et un certain aveuglement vaniteux l’emportent. Les Britanniques concluent que, pour que ces relations se poursuivent avec autant de bonheur avec Obama, il serait nécessaire que la politique d’Obama poursuive, dans certains domaines, celle de Bush, ce qui rendrait d’autre part tout rapprochement US avec d’autres partenaires qu’eux-mêmes beaucoup plus difficile tandis qu’eux-mêmes poursuivraient dans la voie connue et si fructueuse des années 2001-2008. (Cette voie impliquant, paradoxe du jeu de billard là aussi, de recommander une politique maximaliste US, pour pouvoir mieux, eux seuls les Britanniques, conseiller aux USA de modérer leur politique.) D’où leur affection pour Hillary Clinton. Un tel raisonnement leur ferait donc préférer une politique franchement unilatéraliste des USA, pour la gloire des spécial relationships, et les ferait regarder BHO avec une grande méfiance à cause de sa possible orientation multilatéraliste, – alors que Brown prône la nécessité d’un multilatéralisme engagé pour traiter tous les grands problèmes du temps, à commencer par la crise financière et économique.

La complication paradoxale de la chose semble être une garantie, sinon de l’efficacité utile et du rapport intelligent, dans tous les cas de l’existence continuée de l’habileté politique des Britanniques à leurs propres yeux. Ce serait presque comme une politique internationale conçue comme une cure de psychanalyse, si l’on veut.


Mis en ligne le 12 février 2009 à 14H46