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130713 septembre 2008 — Nous nous concentrions hier sur les déclarations de Medvedev (et de Poutine) concernant les préoccupations de la Russie pour la dégradation des relations internationales et la recherche de ce qu’on pourrait désigner comme un “nouvel ordre mondial”. Cette approche était faite à partir des dépêches de l’agence Novosti, qui comportaient en elles-mêmes leur intérêt propre pour les problèmes dont nous nous préoccupons.
Un autre éclairage des déclarations de Medvedev vient des correspondants occidentaux à Moscou, notamment britanniques. On retrouve l’idée, très spectaculaire, très “médiatique” surtout à la date proche de l’anniversaire de l’attaque 9/11 où elle est dite (l’idée n’est en effet pas nouvelle), selon laquelle l’attaque géorgienne du 7 août contre l’Ossétie du Sud constitue, selon les termes mêmes du président russe, le “9/11 de Medvedev”. On trouve des articles dans ce sens dans BBC.News le 12 septembre, dans le Times de Londres le 13 septembre, dans le Guardian du 13 septembre également.
Le Times de Londres rapporte ainsi les déclarations de Medvedev:
«“The world has changed and it occurred to me that August 8, 2008 has become for Russia what September 11, 2001 was for the United States. This is an accurate comparison corresponding to Russian realities,” he said.
»“Humankind has drawn lessons from the September 11 tragedy and other tragic events. I would like the world to draw lessons also from these events (in the Caucasus),” he said.»
L’article du Guardian, de Jonathan Steele qui était à Moscou pour le quotidien britannique, est particulièrement intéressant. Steele insiste sur l’aspect personnel de la déclaration de Medvedev, et c’est là qu’est effectivement l’intérêt de la chose pour notre analyse telle que nous la menons.
«…The 42-year-old president said George Bush had phoned him shortly after he had ordered Russian forces to drive the Georgians back. “‘You're a young president with a liberal background. Why do you need this?'’Medvedev quoted Bush as saying. “I told him we had no choice,” he said.
»The Russian president's interview followed a day after a similar interview with the prime minister, Vladimir Putin. He seemed to be talking from the same script, though there were important differences between the two. The president was more blunt about his Georgian counterpart, Mikheil Saakashvili, calling him “burdened with a host of pathologies” and alleging he often appeared in public under the influence of drugs.
»Russia had to recognise South Ossetia as an independent state – a move widely criticised in the west – because otherwise Georgia might attack again. “If he takes this blood once he would try again if he was not muzzled,” he said.
»Medvedev accused the US secretary of state, Condoleezza Rice, of blocking a tentative deal made between Russia and Georgia to sign an agreement on the use of force. “Rice met him and the boy changed miraculously afterwards. He started to postpone the agreement. He started preparations for war.”
»The Russian president rejected Georgia's argument that if Nato had given it a membership action plan, as Bush wanted to do earlier this year (the move was blocked by France and Germany), Russia would not have dared to use force. “I can assure you that as president I would not have wavered for a second to make the same decisions that I made back then,” he said.
»He was firmer than Putin in disowning any parallels between today's Russia and the Soviet Union. Putin once described the Soviet collapse as the greatest geopolitical tragedy of the 20th century. Medvedev, 13 years younger than his predecessor, said he felt no nostalgia.
»“I don't want to live in a militarised country behind an iron curtain. It's boring. Been there and seen the movie. I've done that,” he said. He took a more optimistic position on the effects of the crisis on Russia's relations with the US and the EU. “I don't think this phase of confrontation will be lengthy,” he asserted.»
Serait-ce ainsi que Medvedev commencerait à exister? Jusqu’ici, il était considéré comme une potiche, une marionnette de Poutine. Nous-mêmes cédions à cela mais peut-être en nous doutant de quelque chose, dans notre F&C du 10 septembre:
«Medvedev, assez badin, presque ironique, plutôt souriant, tout cela qui est un comble pour un personnage qui nous avait semblé jusqu’alors balader une allure de mannequin engoncé et plastronné dans des costard à ne pas croire…»
Eh bien, au diable ce qu’il paraissait être… Medvedev apparaît dans ces déclarations comme beaucoup plus consistant, beaucoup plus humain et solide à la fois. Il apparaît comme un président en exercice, “in charge” comme ils disent, prenant des décisions, ayant des avis tranchés et parlant sans avoir froid aux yeux. (Les détails qu’il donne sur Saakachvili sont révélateurs de l’humeur et du caractère de Medvedev; il le nomme “le gamin” [«… and the boy changed miraculously…»] et donne des détails inédits, certainement en provenance du renseignement russe, sur les habitudes pathologiques et d’accoutumance du président géorgien.)
Steele note que Poutine et Medvedev parlent selon la même ligne (selon une expression un peu méprisante, typiquement anglo-saxonne pour les autres alors que les Anglo-Saxons en usent tant eux-mêmes: «from the same script»), – pour aussitôt mettre en évidence les différences («…though there were important differences between the two»). Différences de générations, notamment, entre un Poutine qui a eu une partie de sa carrière dans l’URSS encore existante, et Medvedev pas. Le jeune président russe (on réalise alors qu’il n’a que 42 ans) a des mots très durs pour l’URSS, rien de la nostalgie qu’on perçoit chez Poutine. Il n’en est que plus frappant que Medvedev soit plus dur que Poutine vis-à-vis de l’attaque du 7 août (du 8 août), de Saakachvili, de l’événement et de son caractère bouleversant pour lui.
(L’aspect très personnel de l’intervention du Medvedev est aussi singularisé par la date qu’il présente pour la crise. L’attaque géorgienne a commencé après une préparation d’artillerie le 7 août, peu avant minuit, selon les précisions des Russes. Medvedev parle du 8 août comme de “son 9/11”. Dans l’esprit du président, effectivement, c’est le lendemain matin qu’il a pris conscience de la situation, et qu’il a ordonné la riposte russe. C’est le 8 août que le choc qu’il décrit pour lui-même a eu lieu. En disant “8 août”, il marque bien combien il s’agit de la crise pour lui-même, dans la perception qu’il en a eue lui-même.)
Les détails ne trompent pas. Le mépris de Medvedev pour Saakachvili sonne juste. C’est celui d’un homme à l’identité (russe) assurée pour un homme (Saakachvili) qui n’en a pas, ayant préféré les atours attrayants de la corruption américaniste. Tout dans ses déclarations montre que Medvedev décide, a une attitude responsable et qu’il assume une légitimité. Que le couple Poutine-Medvedev continue à fonctionner dans ces conditions est évidemment remarquable, compte tenu du “poids” de la légitimité propre de Poutine, de son autorité, etc. Cette situation en dit long sur la maturité du pouvoir en Russie et sur la sûreté de son orientation politique. La crise raffermit tout cela.
A l’aune de ces appréciations de Medvedev, on peut être sûr que ni lui, ni le reste de la direction ni même la Russie en tant que telle ne se jugeront quitte de Saakachvili jusqu’à ce que l’autre ait disparu de la scène. C’est un avis précieux pour nos petits marquis et dirigeants occidentaux, parfumés d’humanisme de salon et donneurs de leçons. Ils ont en face d’eux des gens qui savent ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent, assurés de leur identité et de leur légitimité, tout cela au contraire d’eux-mêmes. Les petits marquis ont certes les droits de l’homme en sautoir mais on peut s’interroger sur la puissance de légitimation de la chose. Quant à nos grands spécialistes du monde russe, de la psychologie slave et ainsi de suite, – voyez ce que Zbigniew Brzezinski pense de Medvedev , le 2 août:
«Asked why it was that he only spoke of Putin and not of the Russian president, Dmitri Medvedev, Brzezinski said: “He [Medvedev] has about as much influence over the current situation as the official head of state in the Soviet Union of the 1950s had over the Soviet Union. Nobody can even remember his name.”»
On verra, Zbig.
Que conclure? L’évidence nous sollicite.
Il est remarquable que cette dureté, cette perception d’une agression fondamentale soit si vive chez un Russe post-soviétique, chez un homme libéral de réputation et de formation. (Etonnement de GW, rapporté par Medvedev: “You're a young president with a liberal background” – “vous, un homme de formation libérale, comment pouvez-vous lancer une guerre ?” Dans la bouche d’un Bush, il faut savourer à sa place.) Ces circonstances en disent long sur la force du choc qu’a reçu Medvedev et, certainement avec lui, la jeune génération post-soviétique de la Russie. La colère russe n’est pas feinte, la crise n’est pas inventée, elle n’est pas un prétexte pour une manifestation de puissance. L’appréciation selon laquelle la Russie s’est sentie agressée est fondée. Pour garder l’image, on dira qu’il y a infiniment moins de montage, y compris dans la représentation et la dramatisation, dans la crise géorgienne que dans le 9/11 originel.
La Russie, y compris la “nouvelle Russie” post-soviétique, ne reculera pas. Nous ferions bien d’en tenir compte, car c’est une information extrêmement importante sur la situation. Poutine n’a jamais dit cette chose incroyablement dure que dit Medvedev: si la Géorgie avait été membre de l’OTAN, il aurait tout de même ordonné la riposte. Quelle détermination et quelle conviction, toutes choses qui manquent désespérément à l’Ouest, qui ne sait plus manier que la falsification du discours et la subversion de l’action irresponsable.
La façon dont les journaux anglais rapportent la chose, la place qu’ils lui donnent, montrent que certains, à l’Ouest, devraient commencer à se douter de quelque chose. L’URSS est morte, la Russie existe et elle n’entend céder rien de substantiel d’elle-même. (Et, en plus, comme on dit dans notre jargon, elle “communique”, la Russie: de telles interventions des dirigeants russes, évidemment d’un autre monde que celui de l’URSS, dépasse même le nombre de manifestations de communication des dirigeants occidentaux en y ajoutant, nous semble-t-il, la dimension de la sincérité. On doit aussi tenir compte de cela car c’est un facteur d’importance dans notre époque psychopolitique.)
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