Mélanchon sur la Belgique

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Mélanchon sur la Belgique

Texte: http://www.jean-luc-melenchon.fr/2010/06/jour-de-mouise-ordinaire/

[…]

«On a compris que je suis un “rattachiste”, comme on dit. Si les Flamands s’en vont, si la Belgique “s’évapore”, alors que les Wallons viennent avec nous. Ce serait la conclusion d’une pente prise il y a des siècles et maintenue sans désemparer dans les sentiments populaires des Wallons comme des Français. Mais ces sentiments affectueux ne me font pas perdre de vue ce qui est l’essentiel à ce moment précis.

»La balkanisation à laquelle pousse le modèle européen commence donc en Belgique. Pour moi ce n’est pas un cas isolé ni une exception en Europe. La dynamique interne à l’union européenne pousse à cet émiettement des Etats nations qui n’est que la forme territoriale de la concurrence généralisée. Le bon échelon subsidiaire pour ce modèle, c’est la grosse région, le land, la province d’ancien régime. Naturellement la résistance du matériau national est d’autant plus faible que la nation est récente ou que son unité est fragile historiquement. Dans la liste des fragilités il y avait en premier lieu les états multinationaux. Du type Tchécoslovaquie. La partition a été quasi immédiate. Vient la Belgique. A venir ensuite, l’Italie, créé en 1860 et tenaillée par le séparatisme de la Ligue du nord, l’Espagne, déjà profondément clivée par les autonomies de Catalogne, Pays basque et ainsi de suite, puis aussi le Royaume pas si uni que ça des Anglais, des Ecossais et ainsi de suite. Ce qui se passe en Belgique est un symptôme de la régression européenne. Pas une singularité. Ou bien on peut dire que c’est la forme singulière d’un processus général. Il est invariant d’échelle. Dans la logique du “plus de marché, moins d’Etat”, la concurrence des territoires est la règle, dans les nations et entre elles. Ne vous moquez donc pas de l’affaire belge, suivez là comme on surveille un thermomètre.

»La question du fractionnement des Etats est devenue universelle, d’ailleurs. Sous les coups de boutoirs de la concurrence généralisée, dès qu’un avantage en nature se constate quelque part “le territoire” affiche une volonté d’autonomisation croissante pour bénéficier seul de l’avantage. Vous avez remarqué ? Je mets des guillemets à “territoire” ! C’est naturellement parce que je parle de la population qui s’y trouve et davantage encore de l’invention par ses élites d’une identité “territoriale” spécifique. Il y en a toujours une disponible en remontant s’il le faut jusqu’aux branches si différentes des arbres dans lesquels se perchaient nos ancêtres simiesques ! Le mot “territoire” est devenu une euphémisation des vocables identitaires et ethnicistes. Ceux là sentent trop le maurassien qui sommeille dans chaque apologiste des “territoires” et autre “terre qui ne ment pas”. Pour cette raison même ceux là sont aussi d’ardents européistes fanatiques du principe augustinien de “subsidiarité” que la démocratie chrétienne a réussi à faire passer du droit canon de l’église à la novlangue européenne sans que personne ne s’en rende compte. Bien sûr, la “concurrence des territoires” est le vecteur délicieux d’une naturalisation, en quelque sorte, de la concurrence libre et non faussée.

»Mais c’est aussi une stratégie de contrôle lourdement pratiquée par l’empire nord américain pour balkaniser ceux qu’il affronte. Il y a toujours un kosovar de service pour faire office de tireur dans le dos. En Amérique latine, la CIA souffle sur les braises et nourrit les portefeuilles des plus extravagants indépendantismes micro locaux. C’est une caractéristique universelle. Du Tibet à la Bolivie, l’empire défend de malheureuses minorités opprimées qui ont pour commune caractéristique d’être tout à fait conformes à la théorie du “choc des civilisations”, d’être donc des champions du “nous et eux” que décrit Samuel Huntington, et surtout de menacer de l’intérieur un ennemi de l’empire.»

Alors pourquoi être “rattachiste”? Pour foncer dans un mur?

GEO