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870Il est d’évidence que, pour l’édification de nos esprits, il faut lire et méditer le texte de commentaire de Thomas Friedman, du 28 août 2012, dans le New York Times. Il s’agit d’un exercice à espacer, mais à ne pas oublier, – celui de lire épisodiquement Friedman. Par la grossièreté de sa pensée, la vulgarité de son propos, son extrême capacité à pouvoir exprimer dans un style rudimentaire la bouillie pour chat qui constitue la “pensée” du Système, Thomas Friedman est une référence nécessaire de notre appréciation de la situation et le sapiens-lige du Système par excellence, mais très bas de gamme. Il faut en absorber par petites doses, pour ne pas encombrer l’estomac, mais ne jamais oublier d’y revenir épisodiquement.
…Il s’agit donc d’expédier Morsi, pour son passage à Téhéran. Il s’agit d’installer d’une façon voyante, comme à Disneyland, la poupée gonflable de la démocratie, dont le Système donne un exemple confondant à la convention républicaine de Tampa, en liquidant Ron Paul d’une façon absolument stalinienne. (Voyez ces vidéos, ou bien le blog de Robin Koerner ce 29 août 2012, voire même le Times où Friedman écrit, qui s’est senti obligé de remarquer la chose, ce 28 août 2012.) Aussi est-il question, sous la plume considérable de Friedman, des centaines de militants de la démocratie iranienne abattus, des milliers mis en prison au printemps 2009, et ainsi de suite, – comptabilité garantie toutes taxes comprises. La plume de Friedman, c’est une louche en fer blanc. Ainsi Morsi a-t-il droit à un sévère avertissement, dont nous donnons ici quelques débris… Phrase fondamentale de l’argument, – “…devrait avoir honte, le Morsi” («…In fact, he should be ashamed of himself»). Extraits, pour le plaisir du goût…
«I find it very disturbing that one of the first trips by Egypt’s newly elected president, Mohamed Morsi, will be to attend the Nonaligned Movement’s summit meeting in Tehran this week. Excuse me, President Morsi, but there is only one reason the Iranian regime wants to hold the meeting in Tehran and have heads of state like you attend, and that is to signal to Iran’s people that the world approves of their country’s clerical leadership and therefore they should never, ever, ever again think about launching a democracy movement — the exact same kind of democracy movement that brought you, Mr. Morsi, to power in Egypt.
»In 2009, this Iranian regime literally killed the Green Revolution. It gunned down hundreds and jailed thousands of Iranians who wanted the one thing that Egyptians got: to have their votes counted honestly and the results respected. Morsi, who was brought to power by a courageous democracy revolution that neither he nor his Muslim Brotherhood party started — but who benefited from the free and fair election that followed — is lending his legitimacy to an Iranian regime that brutally crushed just such a movement in Tehran. This does not augur well for Morsi’s presidency. In fact, he should be ashamed of himself. […}
»As for Morsi himself, I’d like to see him succeed in turning Egypt around. It would be a huge boost to democracy in the Arab world. But what Egypt needs most will not be found in Tehran. Morsi’s first big trip shouldn’t have been to just China and Iran. It should have been all across Europe and Asia to reassure investors and tourists that Egypt is open for business again — and maybe on to Silicon Valley and then Caltech…»
…Bref, le texte, dans ses arguments, dans sa logique, n’a guère d’importance ni le moindre intérêt. C’est une pièce de propagande si grossière qu’elle en devient presque joyeuse. Par contre, cela nous en apprend beaucoup sur la position du Système, beaucoup plus que sur la situation de Morsi, et c’est en cela qu’il est de quelque intérêt de lire la chose. Les interventions très précises de Friedman, sur des sujets précisément identifiés, dans le domaine de la sécurité nationale (politique extérieure), sont tout aussi précisément l’émanation directe du département d’État, éventuellement avec l’apport et le renfort de telle ou telle tendance (du CFR aux néoconservateurs) disant la même chose d'une façon différente. A cette lumière, on observera plusieurs points, énoncés d’une façon générale comme étant effectivement des points de politique extérieure et de sécurité nationale de l’administration US en place.
• Sans le moindre doute, la visite de Morsi en Iran, les liens que pourraient rétablir l’Égypte et l’Iran, la politique extérieure de l’Égypte de Morsi constituent des sujets gravissimes de préoccupation pour Washington. Friedman mentionne en passant la visite de Ban (Secrétaire Générale de l’ONU) en Iran, pour le même sommet du NAM, alors que le département d’État a fait quelques commentaires acides sur ce déplacement. Bien entendu, vis-à-vis d’un chef d’État (Morsi) d’un pays aussi sensible, l’administration Obama doit avoir plus de retenue qu’avec le Secrétaire Général d’une organisation dont les USA font partie. Quoi qu’il en soit, le déchiffrage ne devrait pas laisser de doute ; outre d’être un sujet de très grave préoccupation pour les USA, l’évolution de Morsi est également une situation sur laquelle les USA ont fort peu de levier de pression et par rapport à laquelle ils doivent se forcer à observer une certaine prudence fort peu dans leurs habitudes. Par conséquent et notamment, on envoie Friedman et sa grosse artillerie, et tout le monde aura compris, – et le malaise des USA par rapport à Morsi, et l’impuissance des USA par rapport à Morsi.
• Il est remarquable que la condamnation de l’Iran sur laquelle se fonde la critique du Morsi par Friedman s’appuie essentiellement, on peut presque dire exclusivement sur l’aspect droitdel’hommiste, “humanitaire”, etc., et guère sur l’aspect du dossier nucléaire. Cela est aussi significatif, montrant que, d'une part, Washington commence à percevoir que l’affaire nucléaire iranien/menace d’attaque est de plus en plus usée, que, d'autre part, l’administration Obama ne tient pas à insister sur une affaire “pourrie” en elle-même pour Washington avec le débat entre les USA et Israël pour une attaque de l’Iran. On remarquera, également en référence au texte de Friedman, qu'il s’agit d’une évolution de plus en plus perceptible à Washington, où le concept d’“agression douce” fait de plus en plus d’adeptes, par rapport à l’habituelle politique de brutalité agressive et armée des années 2001-2008. Les USA ont leurs forces militaires épuisées et croient avoir trouvé une formule toute en finesse pour pouvoir presser, attaquer, voire éliminer les directions politiques de pays qu’ils jugent “nuisibles”. (On connaît les appréciations critiques qu’on peut porter sur cette “stratégie” incertaine et complètement incontrôlable, véritable mesure de l’effondrement de la puissance US.)
• Si Morsi sait bien lire les choses par rapport à ce qu’on peut tirer d’enseignements du texte de Friedman et du reste des agitations qu’on peut mesurer ici et là, il devrait réaliser combien il se trouve en position de force par rapport aux “tuteurs” de l’Égypte style-Moubarak, les USA et Israël. Avec son actuelle et très audacieuse évolution, il les place en position de complète défensive, sans guère de possibilité pour eux de contrecarrer ses initiatives dans la mesure où Morsi se ménage de plus en plus de possibilités d’alternatives à la politique classique de soumission de l’Égypte au bloc BAO, – et sans savoir, dans le chef des “tuteurs“, si c’est pure tactique tout en restant dans le cadre de l’ancienne alliance, ou s’il s’agit bien d’un grand tournant stratégique. On interprètera dans ce sens la très récente initiative d’Israël, avec la déclaration (le 28 août) du ministre israélien des affaires étrangères que Morsi serait le bienvenu en Israël, pour une visite amicale où l’on célébrerait, si possible, dans la joie et dans la concorde, le caractère intangible du Traité de paix de 1979. Cette annonce, venant alors qu’on sait qu’une rencontre Morsi-Obama aura lieu aux USA, le 23 septembre en marge de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, montre que les “tuteurs” paniquent effectivement devant les diverses initiatives du président égyptien. (Les Israéliens semblent donc considérer qu’une rencontre de Morsi et d’Obama ne suffirait certainement pas à simplement contenir les initiatives et débordements du nouveau président égyptien.) Dans cette succession de circonstances et d’initiatives prévaut surtout l’impression que les deux “tuteurs” courent derrière Morsi et ses diverses initiatives (proposition sur la Syrie d’une “groupe de contact” incluant l’Iran, visite en Chine pour établir de nouveaux liens de coopération économique, participation au sommet du NAM), dont ils n’ont prévu ni l’ampleur ni la rapidité.
…Alors, on demande à Thomas Friedman de consacrer un commentaire à Morsi, – on ne sait jamais, le président égyptien pourrait enfin comprendre où se trouve la voie de la raison, du progrès et de la démocratie.
Mis en ligne le 30 août 2012 à 11H53
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