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1739Le mouvement Tea Party est le phénomène politique US à la fois le plus original, le plus puissant, le plus suspect, le plus décrié et peut-être le plus mystérieux de ces dernières années. (Nous entendons “mystérieux” non dans le sens d’une volonté de mystère, comme dans la composition d’une société secrète ou d’un complot, mais bien mystérieux par sa nature même, pourtant opérant et s’exposant en plein jour.) Tea Party est plein de surprises, à la fois insaisissable dans ses origines, sa composition et ses buts, mystérieux dans sa structure et son évolution, absolument incertain dans ses connexions, ses préférences, ses engagements, semblant sans direction bien identifiée. La réalité de Tea Party est à l’image de son époque, complètement élusive, peut-être virtualiste, peut-être double, triple, etc… Reste à voir, et c’est ce qui nous importe ici parce que c’est effectivement le plus important, s’il y a une vérité de Tea Party.
@PAYANT Le plus souvent jusqu’ici, Tea Party a été apprécié et jugé selon trois critères : le critère politique, le critère idéologique et le critère moral. Ces trois critères, juge-t-on selon les normes d’appréciation de notre temps, devraient permettre de rendre compte de la réalité de Tea Party. (On omet souvent de préciser, bien que ce soit l’évidence, que ces trois critères employés “selon les normes d’appréciation de notre temps”, renvoient tous à une même source qui est le système en place, qui est la référence générale ; il faut le savoir pour comprendre que ces trois critères suivent une même logique rationnelle, selon une “raison humaine” dont nous nous permettons de juger qu’elle est elle-même fort suspecte, et pour les meilleures raisons du monde, si l’on peut dire, parce qu'évidemment manipulée pour le système, pour servir le système.)
Force est de constater qu’il n’en est rien pour la compréhension de Tea Party ; ou, dit autrement, et plus précisément accordé à l’événement qui suscite cette réflexion : rien dans ces trois formes de jugement (politique, idéologique, moral) ne permettait d’appréhender, non pas les résultats obtenus ce 14 septembre 2010 par Tea Party, ou par la “nébuleuse” mystérieuse que forme Tea Party, mais, bien plus encore, le choc psychologique fondamental obtenu par Tea Party. Ce “choc psychologique fondamental” implique essentiellement la perception que l’événement du 14 septembre 2010 ouvre pour la première fois de façon sérieuse dans l’histoire des USA une brèche effectivement fondamentale dans la structure formidablement puissante, aussi bien dans le contrôle politique que dans la communication qui présente avantageusement ce contrôle politique, du système de l’américanisme tel qu’il existe aux USA depuis l’origine.
Les trois formes de jugement renvoient tous à des conclusions similaires, bien entendu potentiellement ou ouvertement négatives. Politiquement, le mouvement Tea Party est jugé comme un mouvement extrémiste mais aussi populiste, ce qui contient sans doute une contradiction interne. (Le populisme est, par définition, surtout dans son acception US, un mouvement caractérisé par sa largeur, par son amplitude, touchant différents milieux unis par une même réaction, qui ont en commun d’être “populaires” ; il n’est finalement jugé “extrémiste” que dans la mesure où l’on détermine qu’il refuse les normes du système oligarchique en place, notamment les normes d’allégeance aux principes du système, etc.) Idéologiquement, Tea Party est apprécié comme un mouvement d’extrême droite. Cette appréciation est fondée sur le fait qu’il se manifeste surtout en marge du parti républicain, ou sur l’aile droite de ce même parti, plutôt comme une “dissidence” de ce parti, marquée par des appréciations caractérisées par le radicalisme et l’absence de cohérence et de réalisme, et aussi par le refus du gouvernement comme “centre” actif du système. Moralement, il est apprécié comme un mouvement de tendance xénophobe, voire raciste, donc hautement condamnable, sans pourtant qu’aucune certitude ne puisse être avancé à cet égard. Aujourd’hui encore, 18 mois après son apparition publique (en avril 2009), le jugement à cet égard est complètement incertain, et le vice-président Biden, qui est pourtant en principe très hostile à Tea Party, a pu affirmer encore le 20 août 2010 qu’il estimait que Tea Party n’est pas raciste, ajoutant que le président Obama juge de même.
Rien dans tout cela ne rend compte de ce qu’on perçoit et ressent de puissance véridique dans les effets de son action sur la situation américaniste. Pour en juger, il faut donc se dégager de ces différentes appréciations contingentes, qui ne sont faites que pour renforcer le système de l’américanisme (et notre système en général) comme référence centrale, dans ce cas en jetant l’opprobre ou le doute sur Tea Party. La vérité du mouvement Tea Party, sans que cela n’implique le moindre jugement politique, idéologique ou moral de ce mouvement, qui devient alors inutile et même infécond, se mesure essentiellement aux effets qu’il est en train de produire. Peu importe également si le mouvement désire ou ne désire pas obtenir ces effets, si les hommes et les femmes qui y participent ont de telles intentions ou, au contraire, des ambitions différentes. Le fait apparaît évident que le 14 septembre a renforcé de façon décisive un cycle de révélation qui donne à Tea Party la capacité d’exprimer un sentiment collectif extrêmement profond, contre la tyrannie que l’establishment du système fait peser sur la population US. Il n’est pas assuré du tout que cette population le ressente de la sorte et aussi clairement, à l’image de l’indécision qu’on a signalée concernant les participants supérieurs et divers meneurs de Tea Party. L’essentiel, qui échappe donc aux différents désirs manœuvriers et volontés diverses, est que le mouvement révèle et exprime à la fois une vérité extrêmement importante. Alors qu’elle n’était que latente, il la substantive dans le jeu politique qui n’a jusqu’ici était animé que pour étouffer l’apparition, et, encore plus, la substantivation de cette vérité. De ce point de vue, on peut dire qu’il existe un effet métaphysique de Tea Party, échappant à tous les acteurs, qui change de façon substantielle la situation fondamentale des USA. Ce qui n’était jusqu’ici qu’hypothèse, spéculation, intuition à propos de cette situation, devient une évidence, passant ainsi, insensiblement, de l’état de substance que l’on devinait, à un état d’essence, constituée de façon cohérente et formelle. En quelque sorte, Tea Party, en même temps qu’il révèle cette vérité, sert à faire évoluer cette situation dans le sens d’une structuration.
A cette lumière, il apparaît évident que les caractères identifiées ci-dessus pour marquer la nature en apparence insaisissable du mouvement, qui paraîtraient à première vue avoir desservi Tea Party, l’ont au contraire préservé de toute la rigueur anathématique des jugements politiques, idéologiques et moraux dont les serviteurs du système se servent d’habitude pour “récupérer” des mouvements extérieurs au système, ou pour les briser. Ainsi, Tea Party a pu jusqu’ici passer au travers des mailles du filet pour parvenir d’ores et déjà à un résultat important, qui est la mise en lumière et l’animation d’une vérité fondamentale. Tea Party a été un outil, – inconscient sans doute, cela n’importe pas, – d’une évolution importante de la société, dans le cadre de la grande crise du système général. Il en a révélé des aspects dissimulés ou étouffés. Il a mis à jour des vérités métaphysiques sans que le système ait réussi à le subvertir suffisamment pour le neutraliser. Le parcours de Tea Party jusqu’à maintenant (jusqu’au 14 septembre), – sans préjuger en rien de ce qu’il en adviendra (ni même de ce qu’il est lui-même), – a montré qu’un refus explicite ou implicite d’affronter le système sur son terrain (politique, idéologique et moral), c’est-à-dire la volonté d’aborder les problèmes à un niveau différent, d’un point de vue nécessairement métaphysique, plonge le système dans l’embarras le plus extrême et le conduit à l’impuissance et à la confusion. La subversion complète de la politique, de l’idéologie et de la morale par le système, avec comme conséquence la subversion également complète de la réalité, conduit effectivement et efficacement à cet appel à la métaphysique pour rendre compte de la juste mesure des événements, – ce que l’on nomme en général “vérité”...
Mis en ligne le 16 septembre 2010 à 16H51
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