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2602Force nous est de reconnaître que nous aurions dû re-re-re-parler des problèmes du JSF, le 23 juin dernier, lorsqu’un moteur prit feu au cours d’un vol. Indolence ou désintérêt ? Les ennuis du JSF finissent par faire une chronique lassante du type-“déjà-vu” (les américanistes dise “déjà-vu all over again). Mais, depuis le 23 juin l’affaire s’est corsée, surtout et par-dessus tout, parce que le JSF doit (devait) participer 1) à l’inauguration du nouveau porte-avions britannique Queen Elizabeth II (demain), en se posant dessus comme une fleur triomphante et transatlantique, 2) au RAF Air Tattoo du 11 juillet, et 3) à Farnborough le 14 juillet... Quelle belle célébration, 1) de la puissance militaire et aérienne anglo-saxonne (USA + UK), 2) de l’amitié indéfectible des special relationships, et 3) de la formidable et extraordinaire capacité du JSF, puisque, avec ces trois démonstrations, on aurait disposé de la preuve irréfutable, que le JSF, oui, lui-même, que le JSF vole bel et bien, qu’il est donc bien la merveille qu’on dit, un avion qui vole ! Quel programme...
Plein d’élan, le Corps des Marines nous annonçait, le 27 juin 2014, que le JSF allait reprendre ses vols l’après-midi (entretemps, depuis le 23, on avait ordonné un petit arrêt des vols, histoire d’amadouer le cher animal). Le Corps des Marines est, de loin, la plus intéressée des trois armes (avec l’USAF et la Navy) à la mise en service la plus rapide possible du JSF, pour des raisons d’attrition d’effectifs et aussi d’indépendance de son corps aérien (sans le JSF, les Marines recevraient des F/A-18 et seraient alors plus fortement contrôlés par la Navy) ; c’est lui aussi, le Corps des Marines, qui tenait par-dessus tout à la démonstration lors du baptême du porte-avions britannique, qui devait être effectuée par un de ses F-35B (imparfait nécessaire car il est d’ores et déjà acquis que cette exhibition, demain, n’aura pas lieu).
Las, le 2 juillet 2014, Reuters annonçait à partir d’informations obtenues le 30 juin qu’une inspection générale des moteurs P&W F135 du JSF avait été décidée, chaque inspection devant prendre 90 minutes. Outre l’aspect technique, l’enjeu n’était pas sans importance à cause de la proximité des premières démonstrations publiques et solennelles du JSF au Royaume-Uni, avec l’apothéose de Farnborough, mais aussi avec des risques juridiques si l’autorisation de démonstration était donnée sans toutes les précautions nécessaires : «Strict UK liability laws mean British authorities need additional information before granting flight clearances. If something went wrong, the individual officer who approved the flight could be sued personally...»
Las encore et à nouveau, hier soir (aujourd’hui en Europe) est venue l’annonce que le Pentagone décidait des restrictions, voir l’interdiction de vol pour toute la flotte du JSF, tant que le problème n’avait pas été identifié... Confusion, puisqu’auparavant (Reuters) nous disait qu’une inspection de 90 minutes par avion était nécessaire, ce qui supposait que la panne avait été identifiée... Ce ne serait donc pas le cas. Russia Today, qui se fait désormais un devoir de suivre à la trace bruyante le destin du JSF, publiait un compte-rendu de cette nouvelle étape de la saga-calvaire du monstre, ce 3 juillet 2014.
«As the cost of Lockheed Martin’s F-35 fighter jet continues to grow, so do the headaches: the United States military announced on Thursday that its entire fleet of aircraft has been grounded until engine inspections are completed. The decision comes as the Pentagon struggles to find the source of yet another problem with the $398.6 billion program. On June 23, an F-35 caught fire as the pilot attempted to take off at a Florida air base. According to Reuters, one unidentified source described the incident by saying, “The engine ripped through the top of the plane.” [...] “Additional inspections of F-35 engines have been ordered, and return to flight will be determined based on inspection results and analysis of engineering data,” the Defense Department said in a statement to the news service on Thursday.
»According to the Burlington Free Press, the incident is also under review by the Air Force Safety Investigation Board. That overview could take up to a month to finish. “The flights have paused while we figure out what went wrong,” 1st Lt. Hope Cronin, a spokeswoman at Eglin for the Air Force's 33rd Fighter Wing, told the Free Press.
»As noted by Gizmodo, this marks the eighth time the entire F-35 fleet has been grounded. The last time also occurred in mid-June, when an engine oil leak forced the military to inspect 104 of its jets. Three of the F-35s failed the test. It’s currently unclear when exactly the F-35 fleet could be back in the skies, but plans to fly a jet for a July 4 naming ceremony of Britain’s latest aircraft carrier have already been cancelled. There are also tentative plans to fly the jets during two air shows in the United Kingdom on July 11 and 14, though no final decision has been rendered.»
Le site Breaking Defense reprenait in extremis la nouvelle dans ses dernières publications, durant la nuit, et terminait son “ajout” sur l’actualisation de la chose, le 3 juillet 2014, en notant la “‘sensibilité politique” de cette affaire, sous la plume de Colin Clark ... «The Joint Program Office release says teams searching for a cause of the June 23 fire “have been unable to pinpoint the precise cause of the malfunction.” The head of the F-35 program. Air Force Lt. Gen. Chris Bogdan release, said his people ”aim to do what is prudent for the Enterprise at large without compromising the ongoing mishap investigation.” That language about compromising the investigation is a clear sign of the political sensitivities of the investigation.»
... En clair, tout cela signifie que le JSF vogue actuellement en plein brouillard et sur une mer très forte avec des courants contraires, avec un problème de moteur tout d’abord minimisé, et qui s’avère désormais devoir être traité très sérieusement après l’avoir été fort légèrement. Manifestement, l’affaire a été traitée d’abord conjointement par les complices, Lockheed Martin et le Joint Program Office (JPO) chargé du programme JSF au Pentagone, et très largement minimisée. Les deux complices, en effet, visaient comme objectif absolument prioritaire le maintien à toute force des trois démonstrations publiques du JSF, le 4 juillet (porte-avions UK), le 11 (Air Tattoo) et le 14 (Farnborough).
Entretemps, il semble que le Pentagone, à son plus haut niveau mais surtout aux niveaux techniques concernés, se soit réveillé et ait mesuré l’éventuelle dangerosité de la situation si la panne n’était pas exactement identifiée, fixée, réparée, etc. Au vu des dernières nouvelles, – certains parlent, comme on l’a vu, d’au moins un mois de suspension de vol pour toute la flotte à condition que la panne ne soit pas trop grave, – on comprend qu’il sera vraiment très difficile, malgré les capacités magiques de JSF, de faire figurer l’avion en vol durant ce mois de juillet. Mais là aussi, la confusion règne, comme le montre la dernière phrase citée de Russia Today («There are also tentative plans to fly the jets during two air shows in the United Kingdom on July 11 and 14, though no final decision has been rendered»).
D’autres précisions données par Breaking Defense, dans le texte déjà cité de Colin Clark, montrent que les différents acteurs, notamment les plus concernés par les actuels événements, ne sont pas nécessairement au courant de la situation, de l’avancement de l’enquête technique, des perspectives, etc. Cette décentralisation impitoyable, qui est en réalité une parcellisation résultant de la déstructuration existante au Pentagone, accroit évidemment le caractère d’incontrôlabilité caractérisant le programme JSF.
«The stakes are pretty big. You’ve got the head of Pentagon acquisition, Frank Kendall, and Air Force Secretary Deborah Lee James heading up a powerhouse US delegation, the biggest to hit an air show in year. If the planes don’t fly to and in England it is likely to be the biggest story out of both RIAT and Farnborough. “F-35 Fails To Fly At Farnborough; Critics Slam Costly Program” might make a good headline. I understand that senior officials in the Marines — remember that Commandant Gen. James Amos is the first pilot to lead the Corps and pushed hard for the F-35B to go to Farnborough in the first place — will weigh in. They hope to get a safety waiver.
»“There is a concerted effort to get to that solution without compromising safety,” an official familiar with the discussions tells me. This is what has been in the works since the problems with the traditional process accident investigation process became clear. The Air Education and Training Command has sole authority to handle the investigation and to safeguard the plane from tampering because it controlled the plane. But that has meant the Joint Program Office, the Navy, other parts of the Air Force and the Office of Secretary of Defense didn’t know what was happening. [...]
»No preliminary accident findings are available yet. My colleague Andrea Shalal at Reuters has reported signs of extensive engine damage, with parts strewn across the runway at Eglin. Pratt & Whitney officials steadfastly decline to comment on the investigation, which is not unusual. Breaking D readers will remember the cracks in a turbine blade that grounded the F-35 fleet last year. The fleet was cleared to fly and we’ve no idea yet if the cause of the fire might be a cracked blade or something completely different.»
L’épisode est donc bruyant et très incertain. Il est évident que le mois de juillet est crucial pour la communication du programme JSF, pour tenter de vaincre la chape de plomb du scepticisme qui pèse sur lui malgré l’extraordinaire déchaînement d’une langue d’un bois technologiquement avancée, depuis plusieurs année, et de plus en plus lourdement à mesure qu’on approche de ce qu’on croit être les phases décisives décidant du destin de l’avion. (A notre sens, ces “phases décisives”, qui ont déjà été repoussées en plusieurs fois dans les près de 10 années de retard que cumule le programme, pourraient, non devraient l’être encore et plusieurs fois, d’une façon si incertaine et si vague, qu’on pourrait envisager que le destin pour l’instant concevable du JSF ne soit qu’une éternelle quête de son développement vers des “phases décisives” qui ne cessent de s’éloigner à mesure qu’on s’en rapproche...)
L’épisode est aussi très significatif. Il montre qu’aujourd’hui, on n’attend plus rien des démonstrations d’une évidente capacité technique hors du commun de l’avion, parce qu’aucune capacité technique “hors du commun“ de cet avion n’est plus évidente en rien du tout, y compris la capacité générale de se comporter comme un avion de combat qui vole et qui fait “pan-pan”. Tout se reporte donc sur la communication, et le mois de juillet était crucial à cet égard avec tous les événements cités, et Farnborough surtout ...
En effet, c’est un miracle de la communication-Système et des narrative entre amis. Dans un tel amas de catastrophes, de contre-performances, de tromperies, d’incontrôlabilité d’un JSF qui n’en fait qu’à sa tête comme s’il était une entité autonome, il semble que le seul fait de voir l’avion voler en public, à l’heure dite, dans un salon aéronautique où c’est la fonction de base de tout avion de faire cela, – il semble que ce soit pour le JSF la démonstration évidente et exceptionnelle qu’il s’agit bien dans son chef de l’évidence exceptionnelle de ce qu’on dit qu’il est. Le JSF est donc vraiment un cas extraordinaire, ressortant de la fascination ébahie qui caractérise tous les artefacts issus de l'American Dream. La communication a fait en sorte que la démonstration finale de cet avion capable de tout faire, soit la démonstration, en public, de la seule chose que font tous les avions du monde, depuis les SPAD et les Albatros d’il y a cent ans, c’est-à-dire voler, soit le signe ultime de son exceptionnalité.
Pour le reste, il suffit de suivre la trajectoire de la chute. A Farnborough, on pourra observer un rebond de plus.
Mis en ligne le 4 juillet 2014 à 14H26
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