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134123 décembre 2008 — L’inauguration du 44ème POTUS sera majestueuse, impériale, abracadabrantesque et hollywoodienne. Déjà paraissent des articles sur l’inauguration de Barack Hussein Obama (BHO), 44ème President Of The United States (POTUS). L’événement est annoncé comme si colossal, si grandiose, si romain en un sens (vous voyez ce que nous voulons dire, – clin d’œil historique, d’un César à un Auguste), – il sera “si” tout cela qu’il ne peut être question de ne pas apprécier cette cérémonie, ce train de fêtes, ces festivités comme un événement politique en soi. (Nous dirions même : “événement stratégique” de la politique d’Obama.)
Parmi les articles sur cet événement, celui du Times du 20 décembre, qui nous fait une présentation quantitative de l’événement, avec chiffres, statistiques, etc., pour donner une mesure de la chose, – un peu accablante en vérité, un peu lourde à porter.
«Barack Obama wants his inauguration to celebrate ideals that he hopes can bind America together. But such hopes face a severe challenge from the social divisions, crumbling infrastructure and security fears that afflict his country.
»
»The crowd packing the Mall to hear him next month is expected to shatter all records. Organisers have suggested that the historic charge and expectation surrounding Mr Obama could attract between up to four million people into Washington, the population of which is just 588,000. Although some officials have scorned such forecasts, even the most conservative estimates of the turnout would provide a test of how government works in a country where Mr Obama has promised to spend hundreds of billions rebuilding roads, bridges, and public transport systems.
»The capacity of the city’s trains is usually only 120,000 people an hour and managers are issuing warnings about the prospect of long, cold, uncomfortable waits. About 10,000 charter buses are expected and no one is sure where they will all park. In some cases, passengers will be told to get off and walk several miles to the Mall, where 5,000 portable lavatories are being installed — a ratio that may be as low as one for every 800 people.
»Baby strollers, large bags, suitcases, umbrellas and thermos flasks will be banned for security reasons. The police force will be doubled by the arrival of 4,000 volunteer officers from across the country. The Pentagon plans to deploy at least 5,000 troops.»
Le 17 décembre, Stratfor.com avait présenté une analyse de l’événement, du point de vue inhabituel de l’analyste stratégique. Cette approche effectivement originale est pourtant aussitôt délayée, sinon pervertie, par l’orientation choisie, qui concerne, là aussi, uniquement l’aspect sécuritaire. Elle consiste à conclure que l’importance de cet événement est qu’il présentera notamment un objectif tentant pour une attaque, soit une attaque terroriste, soit une conspiration ou un attentat contre Obama. C’est-à-dire que l’aspect qui nous paraît important dans cet événement, qui est la relation avec la situation intérieure US, est négligé au profit de l’aspect extérieur, qui est l’habituelle chimère de la menace catastrophique du terrorisme où le système dissimule depuis 9/11 ses propres craintes de destruction intérieure (l’équivalent pour la sécurité de la préoccupation des loups extérieurs sans prendre garde aux termites).
Les trois premiers paragraphes de cette longue analyse suffisent à donner une idée de l’esprit de la chose…
«In a little more than a month, Washington will host the 56th U.S. presidential inauguration, during which Barack Obama will be sworn in as the 44th president of the United States. In recent years, presidential inaugurals have turned into huge gala events. They comprise not only the swearing-in ceremony for the new president and vice president at the Capitol building and the historic parade down Pennsylvania Avenue to the White House, but also scores of other events including balls, dinners, prayer services and charity events sponsored by a wide array of organizations. Essentially, there will not be a hotel or other large venue in the U.S. capital that will not be hosting some sort of inauguration-related event. These events will range in style from the somber national prayer service at the Washington National Cathedral to the raucous live-on-MTV party at the Ronald Reagan Building & International Trade Center.
»Due to the popularity of President-elect Obama and the significance of his election as the first African-American president, the Secret Service (USSS) and other authorities are anticipating the largest crowds in inaugural history. These crowds will present a number of security challenges and, perhaps just as significantly, huge logistical challenges. But unlike the presidential campaign, when the security resources of the USSS were scattered nationwide, the inauguration occurs on the USSS’ home turf. This provides the USSS with a decided advantage over anyone planning an attack.
»Since the 9/11 attacks, security measures for high-profile events such as the inauguration have been stepped up dramatically. The Department of Homeland Security (DHS) has announced that it has designated the 56th Presidential Inaugural — including the swearing-in ceremony, the inaugural parade, the official reviewing stand on Pennsylvania Avenue and the inaugural balls — as a National Special Security Event (NSSE). This makes the Secret Service the top agency responsible for the design and implementation of the inauguration security plan. (Planning for the inauguration in fact begins about a year before the event, with the USSS hosting regular planning meetings with its counterparts.) The NSSE designation also places virtually unlimited resources in the hands of the USSS, the police and the security services that will be assisting it to neutralize any potential threat. From a security and intelligence perspective, the inauguration will take precedence over any thing else happening in the country.»
Un aspect du texte, que nous avons cité en partie hier, se trouve dans le détail de l’arrangement de l’événement pour favoriser une référence directe à l’inauguration d’Abraham Lincoln en mars 1861, par la reconstitution du voyage d’Obama de l’Illinois vers Washington comme fit Lincoln (également sénateur de l'Illinois) en 1861. C’est là un point intéressant, qu’on peut juger soit comme dérisoire, une sorte de caprice ou d’épiphénomène de relations publiques à partir de ce qui serait la lubie d’un homme ou sa trouvaille de publicité politique (Obama se prenant pour Lincoln, Obama se référant à Lincoln); soit comme plus sérieux, si l’on fait de cet événement un événement politique…
«The events leading up to the inauguration normally begin several days in advance. This year, in a move invoking memories of the election of another man from Illinois, Abraham Lincoln, president-elect Obama will travel to Washington by train. Obama will hold an event Jan. 17 in Philadelphia. Next, he will travel by train to Wilmington, Delaware, where he will pick up Vice President-elect Joe Biden. The two will then hold another event in Baltimore before finally proceeding to Washington’s Union Station.
»The analogy to Lincoln’s historic election is picked up on the Joint Congressional Committee on Inaugural Ceremonies, which has a large photo of the Lincoln Memorial statue on its home page, http://inaugural.senate.gov/. More sobering is the fact that the parallels with Lincoln’s trip run deeper than they might appear from a security perspective. Numerous rumors of assassination plots followed Lincoln’s election, and his train trip to Washington had to be heavily guarded.»
Mais nous avions écrit notre conviction que la présidence du successeur de l’étonnant GW, du 44ème POTUS, avait commencé le 25 septembre 2008. Aucune surprise à ce que nous constations que la politique d’Obama se développe et se poursuit, et que son inauguration comme nouveau président sera un événement politique, et même un “événement stratégique” dans sa politique, dans une carrière présidentielle déjà entamée. D’autre part, l’extraordinaire pression des événements, avec une crise qui se développe très rapidement et d’une façon extrêmement grave, ne laisse pas de choix, à notre sens: dans ce contexte, tout acte important d’Obama a nécessairement une dimension politique pressante, – qu’il le veuille ou non, car, dans ce cas également, la crise dispose avant même que les hommes aient pu proposer… Il s’agit donc sans aucun doute d’un événement politique et c’est naturellement de cette façon qu’il importe de l’interpréter.
Cette méthodologie admise, on doit se demander de quel événement politique il s’agit. Si l’on considère l’ampleur et la “mise en scène” de cette inauguration, y compris le symbolisme qui la caractérise, il apparaît qu’il y a la recherche d’une véritable création événementielle. Obama, ou l’équipe Obama, veut installer, avec cette mise en scène, une nouvelle réalité; dans ce cas, la transition apparaîtrait comme la préparation, la “mise en condition” conduisant à cette “création”.
Cette démarche est compréhensible et renvoie à divers modèles, en général de type populiste (et, pour certains adversaires d’Obama, d'inspiration fasciste, – mais laissons cette interprétation qui implique peu ou prou un procès d’intention qui nous semble relever d’une autre époque, qui nous paraît complètement déplacé). Elle correspond bien à certains aspects de la personnalité et du comportement d’Obama tels qu’on a pu les apprécier et les mesurer, durant la campagne des primaires notamment. (D’après nombre de témoignages, comme celui de Tom Engelhardt, cette caractéristique d’Obama est très forte dès l’origine. On accepte d’autant plus l’hypothèse que cette inauguration est destinée effectivement à provoquer un “choc” politique, à provoquer une réaction populaire de grande ampleur.) Si l’on veut à nouveau utiliser des références historiques, comme on est constamment sollicité de le faire avec Obama, on admettra que la référence de FDR est acceptable; elle est d’autant plus acceptable que le climat de crise ne cesse de se marquer, de s’aggraver, de se tendre, de s’autoalimenter; même si les événements ont une tournure différente, leur intensité présente une réelle similitude avec la période de transition de la présidence FDR. Le rythme de la dégradation rappelle effectivement celui de 1932-1933 (entre les deux présidences Hoover et Roosevelt), – par exemple, selon l’observation du Monde le 20 décembre : «Sur le plan économique, la situation des Etats-Unis se dégrade à une vitesse inouïe, avec une envolée du chômage et des craintes de faillite des constructeurs automobiles.» (Cette remarque, glissé au coin d’une paragraphe, mesure bien qu’existe, même dans les salons parisiens, une mesure de la gravité de la crise. Dont acte. Ce n’est pas pour autant que les préoccupations accessoires, qui vont toutes dans le sens de la virtualisation de la crise, bien plus que dans celui de son appréciation politique, disparaissent du devant de la scène. A cet égard, nous nous imposons le régime de vol “flying blind” autant que nous le subissons.)
Mais, on l’a déjà remarqué, cela se passe, pour ce qui est du sens, dans une situation toute différente de celle que connut FDR, avec ici une situation catastrophique bien mesurée et officiellement acceptée, là une situation évoluant vers ce qui pourrait être la la catastrophe mais pour l’instant non identifiée et en partie dissimulée: «[Obama est u]n “super-FDR”, certes, mais à l’inverse de FDR, ne connaissant encore rien du monstre qui l’attend. FDR savait bien quelle crise l’attendait, puisque la crise avait atteint son paroxysme après trois ans de développement; Obama n’en sait rien, qui voit la crise commencer à s’amplifier vers son paroxysme depuis trois mois.» Cette différence est primordiale parce qu’elle implique, pour le cas d’Obama, une interrogation sur le sens stratégique qu’il doit donner à son action, donc l’orientation que cet événement tactique majeur de sa stratégie qu’est l’inauguration doit avoir.
Il y a deux sens possibles, deux “couleurs” différentes qu’on peut donner à cette inauguration du 20 janvier, si on la considère comme un événement politique, comme on doit le faire.
• Une inauguration somptueuse et symbolique, où le caractère “multiculturel” serait mis en avant (un président africain-américain, avec tout ce qui accompagne le symbole), comme un signe d’espoir, le signe d’une révolution d’ores et déjà accomplie, – le signe, si l’on osait le dire, de la crise déjà vaincue, même si le sujet est différent, – ou parce que le sujet est différent. Le thème du discours d’Obama, tel qu’on l’annonce («…“renewing America’s promise” as a nation “founded on certain principles that we need to take back”») irait assez bien dans ce sens; on doit observer combien ce thème est peu encourageant, qu’il est un lieu commun banal de toute campagne et tout début de présidence comme celle d’Obama, qu’il permet d’avancer et de proposer tout et dans tous les domaines, particulièrement le “politically correct”. Si l’inauguration d’Obama devient effectivement une “fête multiculturelle” du “politically correct”, l’événement constituera une erreur et une défaite stratégiques de première ampleur. Il aura satisfait pendant trois-quatre jours les salons, les chroniqueurs, les meneurs de talkshows et l’“empire de la communication” en général; il aura proclamé que nous sommes sur la bonne voie de l’installation de la modernité, ou la postmodernité, ou la post-postmodernité, à votre choix. Il aura constitué une nouvelle offensive du virtualisme général, sur un thème différent de ce qui a précédé durant la période GW mais selon le même travers du refus de la réalité. Le Lincoln en question sera un Lincoln reconstitué en carton-pâte, un faux-nez à l’ère de l’informatique et de la communication, et de l’accomplissement multiculturel, un grand coup de publicité; ce sera le 1861-2008 d’Obama comme il y eut le 1789-1989 de Jean-Pierre Goude.
• Une “inauguration tragique”, sur le thème de la mobilisation contre la plus grave crise à laquelle ait été confrontée l’Amérique, avec la nécessité des changements que cela implique, serait évidemment le fruit du bon sens et du courage, autant que de la lucidité. C’est alors que ce formidable événement, qui pourrait être perçu comme un acte de mégalomanie et comme une initiative d’un très grand gaspillage dans une époque de crise (cas précédent), serait perçu comme un acte formidable de rassemblement, susceptible de redonner une conscience collective à une communauté complètement éclatée et dans un profond désarroi. C’est alors qu’Obama aurait bien mérité, à la fois de FDR et de Lincoln, qu’il retrouverait les accents du discours d’inauguration de FDR («La seule chose dont il faille avoir peur, c’est la peur elle-même»).
Une première appréciation est qu’il y a tout lieu de penser que l’inauguration devrait se faire, selon les données disponibles, selon les lignes de la première option. Tout l’appareil du système pousse vers cela, et Obama n’en est pas quitte, si seulement il veut en être quitte. Pour être un “American Gorbatchev”, Obama doit se libérer de sa propre bureaucratie, qui n’est pas celle de l’URSS de 1985, qui est d’abord une “bureaucratie de la communication”, – une “bureaucratie du virtualisme”, une “bureaucratie du refus de la réalité”. (Etrange situation: la gangrène bureaucratique a-t-elle atteint la philosophie elle-même, dans ses perversités les plus extrêmes? Cela semble être le cas.) Dans ce cas, la ballade lincolnesque en train pour rejoindre Washington acquerrait rétrospectivement l’allure grotesque d’une incroyable vanité mise en scène. Mais cette ballade n’est-elle pas, au contraire, l’indice d’une conscience proche d’accepter la réalité, en se référant symboliquement à un acte par ailleurs chargé d’un sens tragique (Lincoln vient à Washington pour être inauguré, s’installer à la Maison Blanche et commencer la Guerre de Sécession)? Question posée, réponse en suspens.
Si l’inauguration du 44ème POTUS reste une fiesta de communication comme notre époque a le secret, célébrant le multiculturalisme triomphant sur les ruines de notre civilisation, obscène de stupidité et d’impudence face à la tragédie de la crise, Obama le payera cher dans les mois qui suivront, pour avoir éloigné au moins pour un temps toute chance d’établir un réel contact avec la population US en complet désarroi. Il aura accompli l’exact contraire du geste posé par FDR le 5 mars 1933, avec la possibilité d’accélérer encore la crise vers un désarroi psychologique tragique. Dans le cas contraire, si Obama introduit, ou parvient à introduire une dimension de reconnaissance de la tragédie qu’est la situation aujourd’hui, il aura mis un coin dans le verrouillage du système face à la population en crise. Il sera alors en bonne position pour éventuellement évoluer vers ce fameux “American gorbatchévisme” qui s’affirme de plus en plus comme une démarche de rupture, et la seule démarche finalement possible pour affronter le système au travers de la crise, même si c’est au risque de gravement secouer l’unité structurelle du pays.`
On observera que les deux termes de l’alternative, même si l’un est digne et l’autre indigne, débouchent sur autant d’inconnues. Il en est ainsi au terme de notre aventure.
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