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738Après plus d’un an de contacts et de négociations ardues (depuis l’automne 2009), la Russie et la France sont parvenues à un accord sur l’achat d’“au moins” deux porte-hélicoptères Mistral par la Russie à la France. Dans les diverses sources qui annoncent la nouvelle, Spacewar.com donne, le 27 décembre 2010, plusieurs textes de diverses origines (UPI, AFP).
Le texte principal indique notamment :
«After long and arduous negotiations, Russia has decided to buy at least two of France's Mistral-class helicopter carriers in an unprecedented military deal between the Kremlin and the West. Under the agreement, the initial pair of carriers will be built jointly by France and Russia at the STX shipyards in Saint-Nazaire, France. The remaining two will be manufactured in a joint venture in St. Petersburg, Russia.
»The multimillion-dollar deal was announced by the Kremlin and the Elysee Palace in Paris. “It marks the first time in modern history that Russia has made such a major defense acquisition abroad, illuminating a fast-evolving relationship with former Cold War enemies,” The Washington Post reported.
»That rapidly evolving relationship, the newspaper reported, was best illustrated at a NATO summit last month, when Russian President Dmitry Medvedev agreed to work with NATO on ways to cooperate with the U.S.-led alliance in setting up a missile defense system for Europe.»
D’une façon assez curieuse, ou bien ambiguë on ne sait, le même texte de UPI présente d’une façon indirecte ou atténuée les réactions US en citant le compte-rendu d’une rencontre entre les ministres de la défense Gates et Morin… Bien entendu, on sait que Morin n’est plus à la défense, remplacé par Jupé, si bien que ce compte-rendu semble bien être celui d’une rencontre (visite de Gates à Paris) il y a quelques mois. (A moins qu’il y ait eut une rencontre ou un entretien récent et une confusion Morin-Jupé, ce qui, pour un grand ensemble professionnel de journalisme US, serait tout à fait normal, disons presque un signe de bon fonctionnement de la chose… Mais cette hypothèse, on l’aura compris, n’est pas sérieuse.) Il est intéressant de voir que UPI, qui est toujours attentif comme tout organe de la “presse officielle” (Pravda) aux humeurs discrètes mais qu’il faut faire connaître du pouvoir que le Système a délégué à Washington, ait ressorti ce compte-rendu pour rappeler la position US et l’argument français qui n’a pas nécessairement (l’argument de la confiance dans la Russie) le soutien de certains pays de l’OTAN… A noter que la forme de la présentation pourrait faire penser qu’il s’agit d’un câble diplomatique type WikiLeaks, mais qui, dans ce cas, venu éventuellement du Pentagone, pourrait s’avérer une “fuite” contrôlée et faussement WikiLeaks, – qui sait…
«A US diplomatic cable relating a Paris meeting between US Defence Secretary Robert Gates and his then French counterpart Herve Morin said that Washington believed the prospective sale sent a “mixed signal” to both Moscow and Eastern European allies.
»Morin disagreed, saying the warship would not alter Russia's overall military power. “Morin told SecDef (secretary of defence) pointedly that he had pushed hard for the sale. He conceded that it was indeed a warship for power projection," the document said.
»“But Morin asked rhetorically how we can tell Russia we desire partnership but then not trust them.” Morin expressed understanding of the US view that Central and East European states saw Russia as a potential threat, but argued “that this single ship would not make any difference with respect to Russian capabilities, as Russia's naval production ability was severely degraded…”»
Du reste, et pour confirmer la mauvaise humeur de certains au sein de l’OTAN, une réaction défavorable de deux pays baltes de l’OTAN, rapportée dans le même lot de textes, cette fois de provenance AFP…
«Lithuania and Latvia on Monday took NATO ally France to task over a warship deal with Russia, with Vilnius warning that Paris was setting a risky precedent. “I think this is a mistake,” Lithuania's Defence Minister Rasa Jukneviciene told reporters. “This is a precedent, when a NATO and EU member sells offensive weaponry to a country whose democracy is not at a level that would make us feel calm.” Lithuania and fellow Baltic states Latvia and Estonia – who were ruled by Moscow until 1991 – have repeatedly criticised France's plans since Paris began negotiating a warship sale with Russia in 2009.»
Il nous paraît assuré que le marché franco-russe sur le Mistral est aujourd’hui loin, très loin d’avoir la signification politique et stratégique qu’il avait, qu’il aurait pu et dû avoir lorsque nous l’avions envisagé pour la première fois (parallèlement avec le marché Rafale/Brésil, qui se trouve dans la même situation), – cela, selon les appréciations de notre F&C du 4 septembre 2009. A l’époque, nous avions considéré ces deux marchés comme une possible résurgence d’une politique française indépendante et entreprenante, comme celle que Sarko avait développée au long de présidence française de l’UE (juillet-décembre 2008). Depuis, comme on le sait, Sarko a été rejoint par sa nature, qui, comme le naturel, revient au galop lorsqu’on la chasse sans autre forme de procès ni précaution pour se protéger de cet éventuel retour, et sa direction politique est actuellement située entre le standard larvaire et le standard entropique. Une explication complémentaire à l’intérêt politique moindre de la transaction Mistral-Russie est l’extraordinaire rapidité du changement de l’époque, avec la dimension eschatologique prenant de plus en plus d’importance sur la dimension politico-stratégique (voir, par exemple, notre F&C du 30 septembre 2010).
Il n’empêche, et ceci grâce à l’extraordinaire obsolescence des pulsions primaires et des obsessions grossières qui constituent le matériel principal de la pensée de nos directions politiques, cette vente va tout de même faire des vagues, certainement d’une façon souterraine si pas ouvertement. Pensez, la Russie et la menace terrible qu’elle fait peser sur le Système angélique du bloc américaniste-occidentaliste ! Non, n’y pensez pas trop, c’est trop horrible… On dira bien sûr que l’avis de l’un ou l’autre ministre balte placé à son poste par les réseaux américanistes ne pèse guère de poids. C’est vrai, mais voire, tout de même… Les réflexes préhistoriques sont longs à écarter. Il existe toute une presse d’influence, tout un courant radical, ou qui se dit telle, où se mélangent neocons, adhérents du “parti des salonards”, éditorialistes britanniques et anglophiles et de la presse Murdoch et affiliés, observateurs attentifs et attendris de l’OTAN, fonctionnaires du Système au Pentagone et au département d’Etat, sénateurs et députés US excités et “lobbyisés” comme on est lobotomisés, etc. ; tous ceux-là ne manqueront pas d’instiller le poison du doute à propos du pêché originel, à propos de cette vente française à la Russie. Il est donc malgré tout possible que la vente des Mistral apparaisse comme un acte stratégique majeur, dans les canaux généraux du système de la communication et qu’ainsi, cahin caha, elle le devienne, – ou, disons, le redevienne par rapport aux attentes qu’on en avait eu dans un premier élan, – c’est-à-dire, par cette étrange alchimie entre le système de la communication et la réalité, qu’elle le soit finalement, vraiment, cet “acte stratégique majeur”. La France et son inépuisable Président seront alors à nouveau soupçonnés de complots révisionnistes par rapport à la “ligne du Parti”, malgré les assurances sans nombre et les sourires à mesure dont ces dirigeants français-là parent et ponctuent leurs propres relations transatlantiques. Notre hypothèse est qu’il est difficile d’échapper à son destin quand il s’agit d’une part du destin de la France avec sa pérennité, d’autre part de ces dirigeants français courants dont la bassesse donne à leur conviction contradictoire de ce destin la densité et la solidité d’une biscotte humide.
Mis en ligne le 30 décembre 2010 à 06H54
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