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1366Depuis l’éclatement de l’affaire des problèmes financiers de la Grèce, celle-ci est la cible d’un déchaînement médiatique absolument inouï de la part de l’Allemagne. Cette mise à l’index par l’Allemagne, très donneuse de leçons, commence à provoquer une montée de déclarations françaises pour critiquer la politique économique menée outre Rhin, politique permise par l’instrumentalisation de l’Euro. D’après les Français, cette politique a une part de responsabilité dans les difficultés économiques des pays regroupés sous la charmante expression de “PIGS”.
Les propos, en général, sont de dire que l’Euro est une monnaie taillée sur mesure pour l’économie allemande qui n’a plus à craindre la faiblesse des monnaies des pays voisins. Elle peut alors, en appliquant une politique sociale quasi répressive sur sa propre population, pratiquer une désinflation compétitive et tailler des croupières dans l’industrie des pays méditerranéens (français compris), qui ne peuvent plus réagir en dévaluant leurs monnaies. Elle profite également de la proximité des pays de l’ex bloc communiste (hors zone Euro, dont les salaires sont une fraction des salaires allemands) pour y délocaliser la sous-traitance des pièces de son industrie, qui seront dans un premier temps rapatriées en Allemagne pour y être assemblées et dans un deuxième temps de nouveau exportées, afin de faire bondir les chiffres de son commerce extérieur.
Les pays méditerranéens ont alors pu, grâce aux taux bas permis par l’Euro et à la nouvelle compétitivité des produits allemands, se gaver en s’endettant de “made in Germany”, assurant ainsi le succès de l’économie allemande à leurs dépens. Evidemment l’Allemagne, se considérant blanche comme neige dans cette histoire, commence à faire les gros yeux et à multiplier les leçons de morale et de vertu vers les pays où les déséquilibres commencent à devenir insoutenables.
Cette situation est connue depuis longtemps. Début 2009 sur France Inter, lors d’un échange enflammé entre Emmanuel Todd et l’économiste Christian Saint-Etienne sur le protectionnisme, ce dernier, pourtant fidèle porte parole de l’orthodoxie “Main Stream”, (mondialisation, libéralisme, libre échange etc.), reconnaissait tout de même que l’Allemagne ne jouait pas le jeu et se comportait de façon agressive avec ses “partenaires” européens.
Jacques Sapir dénonce également régulièrement le comportement de l’Allemagne et en tire les conséquences : http://horizons.typepad.fr/accueil/2009/10/jacques-sapir-dmocrate-donc-souverainiste.html.
Mais Sapir est un économiste “hors système” tenu soigneusement à l’écart des médias dominants. Le ton général officiel était donc de continuer à célébrer le succès de l’Euro et la sempiternelle amitié franco-allemande.
Le brusque changement de ton dans la presse française envers l’Allemagne depuis quelques semaines et les propos tenus parfois très violents, alors que cette presse est habituellement plus tiède (doux euphémisme), sont d’autant plus remarquables. L’addition de tous ces articles dans un temps très court, semble annoncer un changement de climat entre les deux pays :
Il y a tout d’abords Eric Zemmour, journaliste médiatique très connu, qui dans sa chronique sur la radio RTL, cite un article de Libération (journal faussement de gauche, qui est plutôt un fidèle gardien de l’orthodoxie économique), article intitulé «Portrait de l’Allemagne en dealer de l’Europe» (lien) :
«D’accord, les Grecs ont joué aux cigales. Mais les responsabilités au sein de la zone euro sont partagées. L’Allemagne se comporte comme un dealer de drogue, vendant ses produits aux clients grec, espagnol, portugais et autres irlandais, junkies accros à la consommation. A travers les instances européennes, ce qui est proposé aujourd’hui aux citoyens de ces pays, c’est une cure de désintoxication par leur fournisseur attitré. […]
»Il ne s’agit pas de dédouaner la Grèce : la frénésie de dépenses publiques a fortement aggravé la situation. Mais le cas ne serait pas aussi dramatique si l’Europe n’avait pas fait un chèque en blanc aux Grecs, leur permettant ainsi d’importer à bon compte quantité de Mercedes, de BMW et autres produits «made in Germany». La stratégie économique allemande consiste à générer des excédents commerciaux à l’égard de ses partenaires. Face à cela, la Grèce, l’Espagne ou le Portugal ne disposent pas actuellement, au sein de la zone euro, de solutions viables.»
Dans Alternatives Economiques (plutôt habituellement gentiment alternatif), le rédacteur en chef, Guillaume Duval, dans son éditorial «Lettre à nos amis Allemands» mets les points sur les “i” en s’adressant à l’Allemagne (lien) :
«Vous considérez généralement ces excédents comme un signe de la bonne santé de votre économie. Ce n'est pourtant pas le cas : vous savez bien que, du fait de cette austérité excessive, la pauvreté et les inégalités se sont envolées dans votre pays, que l'évolution démographique y est plus inquiétante que jamais et que la mauvaise qualité de votre système scolaire n'augure rien de bon pour l'avenir…
»De plus, en voulant à tout prix punir sévèrement les Grecs, mais aussi les Portugais et les Espagnols, trop dépensiers, vous vous tirez une balle dans le pied : vous allez priver l'industrie allemande des débouchés qui lui ont permis de survivre malgré l'anémie de votre marché intérieur… Et comme vous n'avez, me semble-t-il, aucune intention de relâcher la bride chez vous en adoptant des politiques moins restrictives, bien au contraire, votre intransigeance risque de replonger toute l'Europe dans la récession.»
Marianne ensuite, qui cite un article de Yves de Kerdrel dans le Figaro (lien) :
»Qui est en train de tuer l’euro ? Le peuple grec, ou la chancelière Allemande ? La Banque centrale européenne qui a voulu faire de l’euro non pas une monnaie au service des intérêts européens, mais un “pendant” du dollar, une sorte de devise de réserve. .. A une période où la planète débordait de liquidités et avec une politique de taux aberrants, l’euro est devenue pour les investisseurs une monnaie trop forte, trop chère surtout. La BCE de Wim Duisemberg puis de Jean-Claude Trichet porte une responsabilité colossale dans la chronique de cette mort annoncée. Elle a mis l’Europe industrielle à genoux, et enrichi les rentiers.»
Mais il y a ensuite et surtout… le gouvernement français, qui par la voix de son ministre de l’économie, Christine Lagarde, déclare dans une interview au Financial Times (pourquoi le Financial Times au fait ? dont on imagine les frissons de plaisir devant la discorde franco-allemande), que la stratégie allemande de réduction des coût du travail pour dégager un excédent commercial n'est plus tenable pour l'ensemble des pays européens. (Lien.)
Il doit y en avoir des tensions entre la France et l’Allemagne, pour que la vapeur arrive à soulever le couvercle de la cocotte minute. Toute donneuse de leçons qu’elle soit, l’Allemagne ne respecte visiblement pas sa part du contrat dans “le grand projet européen”, la solidarité entre membres de l’union restera donc une douce illusion, en route vers la déchèterie de l’histoire. La fracture commence à apparaître entre les pays méditerranéens et les pays du nord de l’Europe (Allemagne, Pays-Bas, Danemark, mais aussi la partie Flamande de la Belgique…). On attend également avec impatience la réaction de l’Allemagne à ce flot d’amabilités. Il va y avoir du sport dans la zone Euro…
En fait la mondialisation a totalement bouleversé le modèle économique allemand : Entre 1945 et 1990, ce pays tirait sa prospérité, comme tous les autres pays occidentaux, de la montée progressive du niveau de vie de sa population, mais aussi de celle des pays voisins. Ca a été le modèle Fordien du cercle vertueux : je paye bien mes employés, ils ont les moyens d’acheter ma production, je peux continuer à produire etc.
L’appétit insatiable des USA pour la consommation, couplée à l’effondrement de leur production d’une part et la montée en puissance de la Chine comme atelier du monde avec son énorme besoin de machines outils allemandes d’autre part, ont permis à l’Allemagne d’envisager d’autres sources pour sa prospérité. Parallèlement, la chute du rideau de fer lui a donné accès à la main d’œuvre bon marché et qualifiée d’Europe de l’est, avec qui elle a toujours entretenu des liens étroits au cours de son histoire.
Dés lors, progressivement, la méthode a fini par devenir en caricaturant un peu la suivante : exploiter la main d’œuvre est-européenne pour produire, vendre surtout aux Américains et aux Chinois pour gagner de l’argent, et au diable le reste de l’Europe (accessoirement on pourra toujours vendre un peu à ses cochons d’Européens du sud, du moins tant qu’ils seront solvables).
Fort malheureusement pour eux, il semblerait que ce modèle connaisse quelques problèmes. Les USA implosent et n’auront bientôt plus les moyens d’acheter quoi que ce soit, la Chine privée de clients américains et occidentaux, entrera dans une crise très grave et n’aura plus besoin de machines outils allemandes, quant aux autres pays européens, dont on aura préalablement bousillé l’industrie, ils seront également ruinés. La population allemande de son côté, aura été tellement précarisée, qu’on n’aura vraiment plus personne à qui écouler les marchandises, comme c’est bête, n’est ce pas ? L’Allemagne a peut-être conservé pour l’instant son excellence technique, mais pour ce qui est de la stratégie, le niveau a chuté aussi vite que les statues de Lénine à Berlin Est ! Ils sont désormais dans ce domaine, aussi compétents que leurs petits copains occidentaux, à défaut de faire l’Europe des peuples, on pourra toujours faire celle de la bêtise...
“Coli”
PS : Un grand merci à Patrick Raymond, dont l’excellent blog : http://lachute.over-blog.com, m’a permis de prendre connaissance de plusieurs des articles de presse cités dans ce texte.
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