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1170Commençons par un peu de documentation. Cela vient de l’interview que donna le sémillant Joe (“Eh Joe”) Biden, vice-président US, au retour de sa tournée dans les pays-copains d’Europe de l’Est, Ukraine et Géorgie. On sait que Biden fit un carton avec son analyse ricanante et triomphante d’une Russie au bord de l’effondrement, que l’on allait manœuvrer à mesure et à notre guise. Si certains parmi les experts occidentalistes jugèrent les propos de Joe Biden maladroits, tous les jugèrent dans tous les cas bien informés.
Biden déclara notamment ceci, selon ce qu’imprima le Wall Street Journal le 25 juillet 2009:
«Mr. Biden said Moscow's efforts to strong-arm former Soviet republics through use of its energy resources have backfired. He noted that Russia's running dispute with Ukraine has galvanized European efforts to build a new pipeline through Turkey and southern Europe, known as Nabucco, that would bypass Russia. “Their actions relative to essentially blackmailing a country and a continent on natural gas, what did it produce?” he said. “You've now got an agreement that no one thought they could have.”»
Autrement dit, l’accord sur le pipeline Nabucco enterre définitivement les projets du maître-chanteur débile qu’est devenue la Russie avec son gaz, consacre la victoire de l’Occident et des droits de l’homme, fait de la Turquie le partenaire obligeant de l’Occident dans cette région, etc. Ces déclarations nous permettent de patienter quelques jours, pour voir Poutine débarquer à Ankara, embrasser Erdogan sur les deux joues comme larrons en foire, signer l’accord pour que le pipeline South Stream passe par les eaux territoriales turques. Cela conduit EUObserver à observer, ce 7 août 2009, que la Turquie “joue double jeu”, – que South Stream coupe les ailes à Nabucco, dont Joe Biden nous affirmait qu’il coupait les ailes à la Russie impérialiste. “Eh Joe” est-il si bien informé?
Le texte d’EUObserver oberve, justement :
«Turkey has agreed to grant access to Russia's South Stream gas pipeline through its part of the Black Sea, in a move which could hurt the prospects of an EU-backed project to reduce Russian energy dependency.
»The Turkish deal is a major breakthrough for the Russian pipeline, which has to cross the maritime economic areas of either Turkey or Ukraine, but with Ukraine very unlikely to give consent.»
Cela est suivi de diverses déclarations où tout le monde déclare ne vouloir concurrencer personne, et que tout est parfait dans le meilleur des mondes, – Poutine, la Commission, la Turquie, – mais, tiens, pas un mot de Biden.
Les experts, eux, font leur boulot d’experts; c’est-à-dire qu’ils s’échinent à trouver des raisons cachés et des desseins stratégiques machiavéliques, et, bien entendu, ils trouvent. Puisqu’effectivement l’Occident ne conçoit plus les rapports diplomatiques que sous forme de rapports de force appuyés sur l’argument de la supériorité morale occidentaliste, cherchons donc du côté des rapports de force et des desseins cachés. Ces desseins, cette fois, sont résolument favorables à la Russie, avec la Turquie comme joueur pas malhabile dans les deux camps, mais plutôt un pied et demi dans l’un et un quart de la moitié dans l’autre, et les Européens plutôt incertains et complètement désorientés. Quant aux Américains, passons à autre chose.
«South Stream is designed to bring more Russian gas under the Black Sea to Bulgaria and Italy. Nabucco is to bring gas from Caspian Sea area countries to Europe via Turkey, bypassing Russia. Experts warn that if South Stream is built the EU will be forced to buy Caspian gas at a much higher price, however.
»“I argue that if South Stream is built, Nabucco will not be, at least not for Caspian gas,” Zeyno Baran, a Turkish-American energy expert with the Washington-based Hudson Institute, told Euobserver. “If South Stream is built, all that Caspian gas is going to pour into it. Nabucco is important not only for diversifying Europe's needs, but it's also freeing the Central Asian countries and the Caucasian countries from the hold of Russia. Now with this, Turkey sent a signal, whether it to wanted or not, that it doesn't really care about those countries, it just cares about becoming a gas hub.”
»Turkey just last month signed a legal framework agreement for Nabucco, raising hopes of the country's strategic backing of EU energy security interests. “Europeans need to really understand what's going on in Turkey, how close it has gotten to Russia as opposed to Europe and the US,” Ms Baran said.»
Depuis quelques années, la Turquie est régulièrement traitée, à la fois comme si elle était absolument acquise aux intérêts occidentalistes, à la fois comme si elle était bien trop suspecte pour qu’on envisage, notamment, son intégration dans l’UE. Le fond de ces questions est un autre débat, car c’est la contradiction qui doit nous intéresser. L’étonnement devant le comportement de la Turquie de tous ces pays occidentalistes, pleins d’une suffisance qui résiste à toutes les crises et à toutes les démonstrations d’incompétence, doit nous être un sujet d’étonnement sans fin. Les Turcs ont déjà dit ce qu’ils pensaient de la politique occidentaliste et ont montré l’orientation de leurs rapports avec la Russie, lors de la crise entre la Russie et la Géorgie d’août-septembre 2008. (Ils ont même dit, avec une rude franchise et une honnêteté dont on n’a plus l’habitude, ce qu’il fallait penser du comportement d’Israël, qui fait partie de la sainte Trinité de la diplomatie occidentaliste et à qui l’on passe toutes les horreurs.)
Puisque les Occidentaux ne conçoivent leurs rapports avec la Russie qu’en termes de confrontation, où ils ont bien entendu le “moral high ground” comme disent les banquiers de la City et de Wall Street en enpochant leurs bonus, la Turquie s’inscrit dans ce schéma et elle est alors, évidemment, du côté russe. “Les Européens (et les Américains, au fait), doivent comprendre très précisément ce qui se passe en Turquie, combien ce pays s’est rapproché de la Russie et combien il s’oppose à l’Europe et aux USA”, nous dit madame Zeyno Baran. A la vérité, c’est ce que la Turquie a de mieux à faire et, plus encore, de plus honorable.
Mis en ligne le 7 août 2009 à 12H56