Néron était-il musulman ?

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Néron était-il musulman ?

24 août 2010 — Néron, nous ne savons pas… Nous étions en train de nous poser la question à propos de la jument de Caligula : cette chère Incitatus, que Caligula aimait tant qu’il en fit une sénatrice (ce qui était bien vue pour l’avenir du féminisme), Incitatus était-elle musulmane ? Ron Paul, lui, est furieux que l’on s’occupe de la mosquée sise fort proche de Ground Zero, alors qu’il y a des choses bien plus graves… (C’est vrai, nous avions fort peu prêté attention à cette affaire d’une mosquée proche de Ground Zero, à Manhattan, là où eut lieu l'attaque, idée vraiment pas piquée des vers, idée qui révolutionne la Grande République. On attend sous peu un édito de BHL…)

Ron Paul éructe (sur Antiwar.com, le 23 août 2010) : «“Nero fiddled while Rome burned.” Are we not overly preoccupied with this controversy, now being used in various ways by grandstanding politicians? It looks to me like the politicians are “fiddling while the economy burns.”»

La diatribe de Ron Paul est évidente, qui s’adresse aux républicains et aux démocrates, à tout un monde, tout un establishment qui semble pris de folie. Aujourd’hui, rien n’importe plus que cette mosquée ; et, accessoirement, de savoir si le président Barack Hussein Obama est musulman… Le Washington Times du 20 août 2010 a publié son éditorial sur ce sujet, avec divers détails, interviews, etc., du président BHO, qui entretiennent le “soupçon”.

«These and other reasons are why perceptions that Mr. Obama is Muslim keep growing. An April 2008 USA Today poll showed 10 percent thought he was Muslim and 53 percent Christian. The latest Pew poll, however, shows the number believing him to be a follower of Islam has swelled to 18 percent, while the number believing him to be Christian declined to 34 percent. A new poll by Time magazine has 24 percent thinking Mr. Obama worships Allah.

»None of this confirms the president is a Muslim, but it keeps speculation running wild.»

@PAYANT La mosquée à Ground Zero, BHO musulman ou pas, — “Much Ado About Nothing” ? Qui peut répondre, aujourd’hui, dans cet univers étrange ? Néron brûle et Rome joue de la lyre, ou bien le contraire, qui sait précisément. Le malheureux Ron Paul ressemble à un îlot d’incrédulité effarée, et tout son texte reflète cet état de stupéfaction sans fin devant le spectacle de l’étrange ménagerie en folie. L’éditorial du Washington Times nous cloue sur place par l’importance qu’il attache à un fait absolument hors-sujet et off limits des polémiques convenues, alors qu’il s’agit d’un quotidien de grande diffusion qui joue le jeu de l’establishment et du “parti unique” avec ses deux ailes démocrate et républicaine… Le Washington Times n’est pas le blog d’un farceur obsédé, comme il y en a tant, depuis le printemps 2008, à vaticiner autour de la religion “réelle” du sénateur Obama devenu président. D’ailleurs, la question, – celle de la religion du président, – atteint désormais les franges de la direction du parti républicain…

Par ailleurs et au contraire, dirions-nous, forcé à l’attention de ces querelles qu’on expédierait dans un premier mouvement du qualificatif de “dérisoire”, par ailleurs tout cela agite des événements et des sentiments qui marquent la politique du monde telle que nous l’impose le système de l’américanisme depuis 9/11 au moins (la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, traduction de circonstance du système du “déchaînement de la matière”). Ron Paul, revenu de sa stupéfaction et de ces vaticinations néroniennes, en convient finalement. Il écrit en conclusion de son article, après avoir développé quelques observations sur le lien évident entre cette fureur contre la mosquée et la perception du système de l’américanisme contenue dans la narrative de l’attaque 9/11 : «The House speaker is now treading on a slippery slope by demanding an investigation to find out just who is funding the mosque – a bold rejection of property rights, 1st Amendment rights, and the rule of law – in order to look tough against Islam. This is all about hate and Islamophobia.»

…Par ailleurs et au contraire (suite), le cas étrange de la religion du président Barak Hussein Obama (ah, ce “H” de BHO) est parfois entretenu par diverses attitudes et déclarations de ce président, par ses références à ses propres racines, par ses considérations sur la puissance spirituelle de certains textes et de certains mots indiscutablement centraux à la religion musulmane. Mais qui a jamais dit que la religion du président était un problème politique majeur, pour les Etats-Unis d’Amérique qui séparent absolument religion et pouvoir politique ? Certainement pas les Pères Fondateurs ni la Constitution. Mais imaginaient-ils cela, les Pères Fondateurs, un président musulman ? (Et, d'ailleurs, un président noir, euh pardon, Africain-Américain ?) Mais qu’importe, les faits sont têtus même s’ils sont regrettables ; et ces faits concernent les réactions profondes et indiscutables des Américains devant l’hypothèse d’un président qui aurait, disons peu ou prou, la religion musulmane… «This is all about hate and Islamophobia», conclurait à nouveau Ron Paul. Sans aucun doute, mais il se trouve que “la haine” et “l’islamophobie” font aujourd’hui partie intégrante de l’inconscient politique forgé par le système de l’américanisme.

Par ailleurs, – revenons-y et tant pis si nous tournons en rond, – la réflexion de la dérision s’impose à nouveau, sans discussion. Comment une puissance d’une telle grandeur et d’une telle ambition que les USA peut-elle s’abîmer dans de tels débats alors que “Rome est en train de brûler” ?... Alors que la crise s’étend comme un incendie, s’approfondit, pourrit les structures mêmes du système, que l’économie et le cadre financier de la Grande République se débattent dans des chiffres stupéfiants par leur énormité, alors que le chômage en passe de devenir structurel n’est pas loin d’équivaloir à son niveau le plus tragique de la Grande Dépression, alors que les citoyens et leurs Etats commencent à considérer la perspective d’un éclatement de cette même Grande République ? Alors, enfin, que l’on se rapproche d’une échéance électorale (les élections mid-term de novembre prochain) qui a pris, par la force des choses, une importance cruciale puisqu’elle déterminera le degré de paralysie du pouvoir central, – au mieux, poursuivre comme ces deux dernières années, au pire accélérer ce processus de désordre incontrôlable jusqu'à la paralysie totale et nécessairement explosive, – avec le pire de plus en plus probable, à cause de ce phénomène étrange d’attraction fascinée pour le chaos ?

Pour résoudre ce dilemme du jugement, entre la dérision du débat (mosquée-religion du président), et l’importance que les remous qu’il déclenche lui accordent tout de même, il faut donc en revenir à l’hypothèse constante du contrôle des choses, non plus par les êtres humains mais par l’entité systémique en constante réaffirmation, en constante adaptation à la situation, en constante pression pour une innovation de l’évolution de cette situation. Ce que nous dit implicitement Ron Paul lorsqu’il décrit une Nancy Pelosi (la Speaker de la Chambre) affolée, ordonnant une enquête sur les bailleurs de fonds de la mosquée type-Ground Zero, c’est que Nancy Pelosi ne contrôle absolument plus rien ; avec élégance, certes, mais aussi sûrement avec impuissance. Ce que nous disent les dirigeants républicains répondant sur la pointe des mots, tout comme l’éditorial du Washington Times, c’est que ce cas incertain de la religion du président est désormais imposé à l’opposition par la puissance des choses, par la puissance du système déchaîné.

Depuis 9/11, la logique du système de l’américanisme a définitivement mis en avant, et au centre de la “réflexion” politique, instinctive plutôt qu’intuitive certes, ce qu’on nommerait la “question” de l’Islam. On ne peut définir la chose selon des relations et des évaluations rationnelles parce qu’elle n’est là que pour servir de moteur, ou bien de faux-semblant et de feuille de vigne, à une dynamique du déchaînement de la puissance qui est de l’ordre du système, sans aucun doute. Que des comparses, type-neocons, en usent pour leurs petites affaires, sans nul doute également ; en l’occurrence, ces finauds pleins de jactance et qui semblent avoir remplacé le mot “psychologie” par le mot “hystérie”, sont au bout du compte, une fois tous les comptes faits, les habituels “idiots utiles” du système. L’observation générale est bien que la “question de l’Islam”, aujourd’hui et pour un temps ramenée à l’équation mosquée-religion du président, est la colonne vertébrale du “sens” de la politique du système de l’américanisme.

Bien entendu, on ajouterait aussitôt, sans jeu particulier sur les mots, que ce “sens” n’a aucun sens, notamment aucun sens politique particulier. Il n’est là que pour servir d’aliment, comme on mettait du charbon dans la chaudière de la locomotive à vapeur, pour lui permettre d’aller de plus en plus vite, sur des rails bien entendu, filant tout droit et à la plus grande vitesse possible, vite vite, vers on ne sait où, vers Nulle Part sans aucun doute, – “the road to Nowhere” (ou bien “The Road to Hell”, comme dit le titre de la chanson de Chris Rhéa). Qu’importe d’ailleurs cette absence de sens, le système n’étant que “déchaînement de puissance”, ou “matière déchaînée” pour produire de la puissance, qui ne se justifie que par la production de la chose. Le sens est une convention du système pour satisfaire les humeurs de ses serviteurs, les hommes politiques ; le charbon de la chaudière, avec les neocons, ces “idiots utiles”, en soutiers qui chargent la chaudière, font à peu près l’affaire pour donner du mouvement à tout cela.

Préfiguration de la chute

Cette péroraison (!) sur la puissance du système et l’absence de sens du sens choisi pour son action («hate and Islamophobia») n’est qu’un aspect de la question. L’autre aspect, déjà esquissé ici ou là dans le texte, c’est la psychologie et l’inconscient des citoyens de la Grande République ; non pas les “américanistes” mais bien les Américains…

Car, certes, la fausse “question de l’Islam” est aussi un excitant classique pour tenir activée la question multiculturelle, c’est-à-dire la question identitaire fondamentale qui déchire de plus en plus profondément l’Amérique. On ne dit certainement pas qu’il y a “complot” dans ce but, – dans cette confusion totale, nous sommes bien loin d’une possibilité de maîtrise de la situation par ou tel groupe, telle ou telle influence, tel ou tel “complot”. On observe plus simplement que la “question de l’Islam” est en train de se traduire par des querelles internes, dérisoires comme nous l’observons, mais également exutoires de malaises d’une extrême profondeur. Qu’on imagine l’effet pour la psychologie américaniste du cas où ce premier président Africain-Américain s’avérerait également, – pour certains, de plus en plus “s'avère” puisque la chose est acquise pour 24% d’Américains contre 10% il y a deux ans, – être de religion musulmane. Il y aurait alors fusion de l’Ennemi extérieur que le système exacerbe depuis neuf ans (la “question de l’Islam”) et de l’angoisse intérieure (la “question identitaire fondamentale”), et le président en charge en serait la représentation accomplie. Imagine-t-on ce que cela implique de tensions et de pression pour des psychologies exacerbées comme le sont celles des Américains depuis au moins neuf ans, – et depuis bien plus longtemps en réalité ?

On se garde bien de trancher dans de tels conflits qui n’en sont pas tant ils sont encombrés d’interférences et de désordre, tant ils ne sont que la progéniture de distorsions et d’antagonismes internes, de frustrations et de contraintes originelles, jusqu’alors contenus par un système de la communication qui avait réussi une représentation pas loin d’être parfaite de l’American Dream. (L’on sait que l’American Dream est actuellement en salle de réanimation, dans un coma profond qui ne nous dit rien qui vaille.) On se contente simplement, – mais ce n’est pas rien puisque c’est l’essentiel, – d’observer combien l’incroyable et apparemment dérisoire question de la religion du président, ou bien celle de la mosquée de Ground Zero, rencontre toutes les tensions que subissent et que développent les psychologies des Américains depuis neuf ans sur le mode de l’exacerbation la plus complète. Alors, que cette querelle-ci ou cette querelle-là soit justifiée ou non, qu’elle n’ait aucun fondement ou qu’elle en ait, qu’elle soit dérisoire ou non, quelle importance tout cela ? La seule chose qui importe est bien que, une fois de plus, les folies et les dérisions d’une situation incontrôlable aboutissent tout de même à des questions fondamentales, des questions qui sont au cœur de la crise existentielle de la Grande République, fondée essentiellement et paradoxalement sur l’absence de références historiques puissantes, structure de communication fondée sur l’absence de structure historique, donc complètement insaisissable, comme une structure déstructurée, – et donc, entretenant la crise identitaire fondamentale des USA. Folies et dérisions sont, dans ce cas, l’expression même de cette crise.

On comprend sans la moindre hésitation que Ron Paul s’exclame devant la dérision des querelles incroyables qui secouent la Grande République alors que “Rome est en train de brûler”, mais on est conduit à penser que toute sa sagesse n’y pourra rien. Après tout, la folie de Néron chantant sur sa lyre alors que Rome était en train de brûler n’était qu’une préfiguration grotesque, mais véridique au fond, du destin déjà écrit de la décadence et de la fin de l’empire. Il faut alors savoir que la seule supériorité de notre époque pseudo-impériale sur celle de l’empire romain entamant son déclin, c’est son incomparable rapidité à précipiter les catastrophes. Quelques années de plus devraient suffire là où Rome a mis plus de trois siècles. Le système du technologisme et le système de la communication sont là pour ça.