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181120 janvier 2015 – Avec une élégante discrétion, le système de la communication tel qu’il est en usage au sein du bloc BAO, sous l’empire du Système, n’a pas fait grand bruit à propos du rassemblement de Grozny, en Tchétchénie. Un million de personnes, musulmans et chrétiens orthodoxes mêlés à l’appel des deux hiérarchies religieuses en Tchétchénie et dans les autres régions du Caucase, sont venues manifester contre Charlie, une semaine après l’extase postmoderniste du 11 janvier.
Manifestement, ils n’étaient pas du tout JeSuisCharlie, et il s’agissait d’une foule qu’on percevait, humée des salons de la rive gauche, comme assez rustre, assez peu démocratique il-faut-bien-le-dire-mon-cher, sentant son Donbass en révolte et son pope rétrograde ; rien, vraiment rien du brio et du bling bling des talk-shows et des tirages-records de Charlie-Hbdo qui rythment désormais la marche de l’intelligence et de la vertu du monde. Tout au plus a-t-on ironisé à une radio ou l’autre (nous avons entendu la chose sur une radio type-RTBF/belge, que du bon genre donc) à propos d’une “république” de la Fédération de Russie relevant des massacres russo-barbares qu’on sait, comptant 1,2 million de personnes et prétendant en rassembler un million dans une manifestation. Les précisions accompagnées de DVD données par Russia Today (le 19 janvier 2015) sur la dimension religieuse et régionale de l’événement n’ont pas droit de cité. (RT, on sait ce qu’il faut en penser, d’ailleurs ils ne connaissent pas RT.)
«Hundreds of thousands have flooded the streets of Chechen capital of Grozny in a rally against the publication of the Prophet Muhammad by Charlie Hebdo magazine. The demo, dubbed “Love to Prophet Mohammed,” was organized by region’s clerics.About 1 million people, residents of Chechnya and other Russian Caucasus republics, gathered for the rally, the Interior Ministry press service said. Orthodox priests, mostly from the neighboring republics, have also arrived for the demonstration.»
En d’autres mots, cette sorte de chose (la manif de Grozny) est, pour le bloc BAO, pour la France post-Charlie, pour la perception même du sentiment général de la postmodernité, un non-événement. A la limite, on vous expliquerait bien que Poutine a organisé lui-même la manifestation, en mobilisant un million d’agents du FSB, – ex-KGB, notez-le bien, – pour figurer cette fausse-foule, criant des faux-slogans, pour une fausse-cause et ainsi de suite. A la limite, parce que, non, vraiment c’est inutile quand l’évidence est tellement évidente... Il y a comme une barrière de la perception, établie par la force d’une psychologie toute entière acquise au récit que la narrative postmoderne nous fait des événements du monde. La surpuissance du Système, si évidente dans le domaine de la communication, assure la pression nécessaire pour imposer cette perception.
... Ce qui n’empêche en aucune façon qu’il reste que cette immense manifestation, en Tchétchénie, constitue symboliquement tout autant qu’opérationnellement une réponse au 11 janvier dans l’esprit de la Russie lorsqu’elle est considérée comme le point central de la résistance antiSystème. C’est dire qu’on écarte ici absolument les considérations et polémiques religieuses, autant que la fiction franco-parisienne de la “liberté d’expression”, pour le sujet fondamental de l’affrontement des conceptions de la civilisation qui caractérise le conflit entre le bloc BAO et la Russie. On trouve dans un article d’Israël Shamir nombre d’éléments pour alimenter cette question qui relève de la lutte colossale entre le Système et l’antiSystème, et verrouille irrémédiablement la crise-Charlie et la crise ukrainienne dans sa dimension la plus haute (bloc BAO, Russie, etc.) dans le seul moule opérationnel de la crise d’effondrement du Système.
(Shamir est un personnage énigmatique et chargé d’interrogations et d’hypothèses diverses, capable de donner dans un article sur des sujets aussi sensibles diverses indications précieuses qui ouvrent des perspectives toujours intéressantes. A l’expérience, on n’a jamais eu à lui reprocher des distorsions qui seraient dues à un conformisme ou l’autre, et on a par contre pu relever à plus d’une reprise des indications inédites montrant que l’homme dispose d’un réseau et de contacts en plus de ses vues non-conformistes. On donne quelques appréciations concernant Shamir dans notre texte du 27 août 2014.)
Le 19 janvier 2015, sur UNZ.com, Israël Shamir publie l’article «Trolling Russia». Il estime que deux événements, d’ailleurs eux aussi de type symbolique, ont marqué la rupture décisive de Poutine (de la Russie) avec le monde occidental du bloc BAO, et nous dirions avec la postmodernité tant sont présentes des conceptions opposées de la civilisation. Les deux événements sont l’absence de Poutine à Paris, lors de la manifestation du 11 janvier et l’absence annoncée officiellement de Poutine lors de la célébration de la libération du camp d’Auschwitz par l’Armée Rouge, le 26 janvier. “L’édifice de l’ordre du monde d’après-1991 s’écroule sous nos yeux, observe Shamir selon notre interprétation... Jusqu’ici, il était plaisant de traîner la Russie [derrière soi, dans la voie de la postmodernité occidentaliste]. C’est fini. La Russie s’est retirée du jeu en dénonçant les règles imposées...”
«... Until now, Russia, like a country bumpkin in Eton, tried to belong. It attended the gathering of the grandees where it was shunned, paid its dues to European bodies that condemned it, patiently suffered ceaseless hectoring of the great powers and irritating baiting of the East European small-timers alike. But something broke there. The lad does not want to belong anymore; he picked up his stuff and went home. Just when they needed him to kneel in Auschwitz.
»The Auschwitz gathering is an annual Canossa of the Western leaders where they bewail their failure to protect the Jews and swear their perennial obedience to them. This is a more important religious rite in our days, the One Ring to rule them all, established in 2001, when the Judeo-American empire reached the pinnacle of its power. The Russian leader duly attended the events. This year, they will have to do without him. Israeli ministers already have expressed their deep dissatisfaction for this although it was Russia’s Red Army that saved the Jews in Auschwitz. Absence of Russia turns the Holocaust memorial day into a parochial, West-only, event. Worse, Russia’s place will be taken by Ukraine, with its Nazi-glorifying regime.
»This comes after the French Charlie demo, also spurned by Russia. The West hinted that Russia’s sins would be forgiven, up to a point, if she joined, first the demo, and later, the planned anti-terrorist coalition, but Russia did not take the bait. This was a visible change, for previously, Russian leaders eagerly participated in such events and voted for West-sponsored resolutions. In 2001, Putin fully supported George Bush’s War on Terrorism in the UN and on the ground. As recently as 2011, Russia agreed with sanctions against North Korea and Iran. As for coming to a demonstration, the Russians could always be relied upon. This time, the Russians did not come, excepting the token presence of the foreign minister Mr. Lavrov. This indomitable successor of Mr. Nyet had left the event almost immediately and went – to pray in the Russian church, in a counter-demonstration, of sorts, against Charlie. By going to the church, he declared that he is not Charlie.
»For the Charlie Hebdo magazine was (and probably is) explicitly anti-Christian as well as anti-Muslim. One finds there some most obnoxious cartoons offending the Virgin and Christ, as well as the pope and the Church. (They never offended Jews, somehow). A Russian blogger who’s been exposed to this magazine for the first time, wrote on his page: I am ashamed that the bastards were dealt with by Muslims, not by Christians. This was quite a common feeling in Moscow these days. The Russians could not believe that such smut could be published and defended as a right of free speech. People planned a demo against that Charlie, but City Hall forbade it...»
Bien entendu, on retrouve dans ces appréciations de Shamir qui veut restituer la réaction russe vis-à-vis de la crise-Charlie le même fondement conflictuel qu’on a connu avec l’affaire des Pussy Riot, puis les multiples passes d’armes concernant les questions sociétales (droit des homosexuels, féminisme, etc.) qui dépassent aujourd’hui les seules questions humanitaristes et démocratiques. Ce domaine, qui paraissait à l’origine dérisoire par rapport aux enjeux de puissance et de stratégie (par rapport aux enjeux géopolitiques mais pas seulement), est devenu essentiel parce que le système de la communication le permet. Effectivement, le système de la communication réduit l’information sur les situations de puissance et de stratégie à des narrative arrangées en fonction des nécessités recherchées par ceux qui manipulent les arguments sociétaux permettant de rassembler des pouvoirs d’influence d’une façon efficace. Les Russes ont mis un certain temps à comprendre ce schéma, mais finalement ils se sont très rapidement adaptés et, tout aussi rapidement, ils ont identifié dans cette querelle un fondement du véritable “conflit de civilisation”, – qui revient, selon nous, dans les conditions actuelles, au conflit entre le Système et ce qui peut tenir le rôle de l’antiSystème (c'est-à-dire des forces diverses, qui peuvent varier mais qu'on identifie à tel ou tel moment de leur action comme antiSystème)...
Ainsi la réaction symbolique officielle des Russes vis-à-vis de la crise-Charlie peut-être être interprétée par Shamir de cette façon, où les références religieuses sont là, selon notre interprétation, surtout pour renvoyer à l’affrontement postmodernité contre tradition (Système contre antiSystème dans cette circonstance) :
«In Charlie’s France, Hollande’s regime frogmarched the unwilling people into a quite unnecessary gay marriage law, notwithstanding one-million-strong demonstrations of Catholics. The Femen despoiling the churches were never punished; but a church warden who tried to prevent that, was heavily fined. France has a long anti-Christian tradition, usually described as “laic”, and its grand anti-Church coalition of Atheists, Huguenots and Jews coalesced in the Dreyfus Affair days. Thus Lavrov’s escape to the church was a counter-demonstration, saying: Russia is for Christ, and Russia is not against Muslims...»
L’affaire de Poutine et de la commémoration (le 26 janvier) de la libération du camp d’Auschwitz, dont parle également Shamir, est un autre aspect de cet affrontement symbolique. Il s’agit là d’un affrontement autour de ce qui sert dans le bloc BAO de “religion laïque” (voir par exemple Diana Johnstone, le 18 juin 2010) ou encore, selon nous, de “métaphysique-simulacre” pour la postmodernité (voir notre texte du 18 décembre 2015, notamment la note de bas de page sur “l’inversionnisme de la Shoah”), – à savoir, la célébration et la considération officielles de la Shoah comme référence fondamentale de tout le pseudo-apparat sacralisant du Système, effectivement sous la forme d’une “religion laïque” ou d’une “métaphysique-simulacre”. Ainsi Shamir a-t-il la réponse à la première remarque qui ouvre le passage qu’il consacre à l’attitude du bloc BAO vis-à-vis de cet aspect spécifique des phénomènes religieux et sociétaux conduits jusqu’à l’incarnation et au symbolisme idéologique («While the present western regime is anti-Christian and anti-Muslim, it is pro-Jewish to an extent that defies a rational explanation.»)
Bien entendu, l’affaire Poutine-commémoration a été présentée dans le bloc BAO sous le jour le plus défavorable possible pour Poutine (on n’a pas invité Poutine). La version russe est beaucoup plus nuancée : il n’y a pas eu d’invitation officielle de la Pologne à quelque chefs d’État que ce soit, pour éviter d’avoir à ne pas inviter Poutine selon la ligne suivie en fonction de l’affaire ukrainienne. Quant à Poutine, c’est non, sa décision a été claire, ce qui fait que les descendants des bourreaux, de quelques complices et des indifférents (les Anglo-Saxons qui n’intervinrent jamais pour contrecarrer le développement et l’opérationnalisation de l’extermination des juifs, notamment contre les voies d’entretien et d’alimentation des camps d’extermination) célèbreront la libération du camp d’extermination, tandis que les représentants des libérateurs seront absents ... Voici donc Russia Today, le 13 janvier 2015 pour cette affaire :
«The Russian President is not going to take part in the ceremony commemorating the 70th anniversary of Auschwitz’s liberation in Poland, but considers all such memorial events extremely important, Vladimir Putin’s press-secretary has said. “There is no trip on the president’s schedule,” the Interfax news agency quoted Aleksey Peskov as saying on Tuesday. The press secretary added that Vladimir Putin hadn’t received a personal invitation to the event. “If we understand it correctly, the general rule is that no special official invitations are being sent ahead of such events,” Peskov said. “There was also no personal invitation for Putin. He is not going, but of course we have always attached extraordinary importance to all memorial events, including the one that will take place in Poland, especially on the year of the 70th anniversary of victory,” said the press secretary.
»Peskov also said that he was unaware that the memorial at Auschwitz was being organized not by the Polish government, but by the Auschwitz-Birkenau State Museum and the International Auschwitz Council. Earlier on Tuesday the Reuters news agency reported that the Polish Foreign Ministry had not sent Vladimir Putin an invitation to the event which will take place on January 27. However, the ministry source told the agency that it was not organizing the event and that no country was officially excluded from participation.»
L’intérêt du passage du texte de Shamir sur les implications de l’affaires Poutine-commémoration d’Auschwitz, et des relations avec les juifs à la lumière de la question de l’Holocauste d’une façon plus générale, c’est de mettre en évidence combien le comportement du président russe attire l’attention sur la position originale de l’acteur qu’est la Russie dans cette question symbolique et sociétale à la fois. Les Russes n’ont dans ce domaine, ni les complexes et remords, ni les emprisonnements symboliques où se trouvent les élites du bloc BAO. Leur comportement pendant la guerre les met à l’abri de cette sorte de pathologie psychologique, et cela d’autant plus que la situation actuelle, en Russie, entre le pouvoir et la communauté juive d’une part, entre la communauté juive er les autres communautés religieuses d’autre part, est excellent par rapport à la dégradation malsaine qu’on constate dans le bloc BAO. Ainsi, sur ce plan aussi, Poutine est à la fois un révélateur et un acteur insaisissable capable d’introduire des éléments de déstabilisation.
«While the present western regime is anti-Christian and anti-Muslim, it is pro-Jewish to an extent that defies a rational explanation. France had sent thousands of soldiers and policemen to defend Jewish institutions, though this defence antagonises their neighbours. While Charlie are glorified for insulting Christians and Muslims, Dieudonné has been sent to jail for annoying Jews. Actually, Charlie Hebdo dismissed a journalist for one sentence allegedly disrespectful for Jews. This unfairness is a source of aggravation: Muslims were laughed out of court when they complained against particularly vile Charlie’s cartoons, but Jews almost always win when they go to the court against their denigrators... [...]
»The Russians don’t comprehend the Western infatuation with Jews, for Russian Jews are well assimilated and integrated in general society. The narrative of Holocaust is not popular in Russia for a simple reason: so many Russians of every ethnic background lost their lives in the war, that there is no reason to single out Jews as supreme victims. Millions died at the siege of Leningrad; Belarus lost a quarter of its population. More importantly, Russians feel no guilt regarding Jews: they treated them fairly and saved them from the Nazis. For them, the Holocaust is a Western narrative, as foreign as JeSuisCharlie. With drifting of Russia out of Western consensus, there is no reason to maintain it.
»This does not mean the Jews are discriminated against. The Jews of Russia are doing very well, thank you, without Holocaust worship: they occupy highest positions in the Forbes list of Russia’s rich, with a capital of $122 billion, while all rich ethnic Russians own $165 billion, according to the Jewish-owned resource. Jews run the most celebrated media shows in prime time on the state TV; they publish newspapers; they have full and unlimited access to Putin and his ministers; they usually have their way when they want to get a plot of land for their communal purposes. And anti-Semitic propaganda is punishable by law – like anti-Christian or anti-Muslim abuse, but even more severely. Still, it is impossible to imagine a Russian journalist getting sack like CNN anchor Jim Clancy or BBC’s Tim Willcox for upsetting a Jew or speaking against Israel.
»Russia preserves its plurality, diversity and freedom of opinions. The Pro-Western Russian media – Novaya Gazeta of oligarch Lebedev, the owner of the British newspaper Independent – carries the JeSuis slogan and speaks of Holocaust, as well as demands to restore Crimea to the Ukraine. But the vast majority of Russians do support their President, and his civilizational choice. He expressed it when he went to midnight Christmas mass in a small village church in far-away province, together with orphans and refugees from the Ukraine. And he expressed it by refusing to go to Auschwitz.»
Après cette première partie qui offre une appréciation nouvelle des conditions de la crise entre la Russie et le bloc BAO, Shamir exprime dans le reste de son texte un pessimisme marqué sur le sort de la Russie face à l’attaque économique, financière et monétaire dont elle est l’objet. Mais il ne doute pas un instant que la Russie, le dos au mur, ne pensera pas un instant à autre chose qu’à riposter. Son propos devient alors d’envisager une certaine radicalisation de Poutine et du pouvoir russe, en passant à l’Ukraine, dont il juge qu’elle pourrait être le terrain de la riposte. («This could be the incentive for Putin to deal with Ukraine. If the Russians do not know how to shuffle futures and derivatives, they are expert in armour movements and tank battles. The Kiev regime is also spoiling for a fight, apparently pushed by the American neocons. It is possible that the US will get more than what it bargained for in the Ukraine.»)
Ainsi en revient-on à l’Ukraine, où les combats sont de nouveau parmi nous, et la narrative avec eux. Le New York Times traduit l’offensive actuelle des troupes ukrainiennes, y compris les bombardements d’artillerie sur les villes peuplées comme on le sait de civils, comme une tentative bienveillante pour la paix ; si les libérateurs du “roi du chocolat” parviennent à reprendre l’aéroport de Donetsk des mains fourbes des Russes déguisés en séparatistes, ils rétabliront la situation des accords de Minsk, et donc la paix. Rien n’est changé et rien ne changera à cet égard, du côté du bloc BAO : position maximaliste partout, narrative réactivée et perception arrangée à mesure. Alors qu’hier (le 8 janvier ) on demandait à Moscou de coopérer en bon et bel allié contre la menace commune du terrorisme, on annonce aujourd’hui, comme avant-hier, que les Russes seront boutés hors d’Ukraine pour n’avoir pas su se montrer autrement que comme les ennemis irrécupérables et les agresseurs cyniques qu’ils sont.
La vérité de la situation est que cette nouvelle phase de la “guerre civile” ukrainienne comporte encore plus d’ingrédients que la précédente pour conduire à une situation hors de contrôle. C’est naturel puisqu’entretemps les choses ont empiré. Du côté russe, Poutine ne pourrait plus très longtemps maintenir sa position si le conflit menace effectivement les séparatistes, s’il cause des ravages dans la population civile. C’est la stabilité de son pouvoir qui serait en jeu si, dans une telle occurrence, il ne réagissait plus durement qu’il ne l’a fait jusqu’ici, avec comme objectif affirmé de bloquer la quasi-entreprise de liquidation ethnique des Ukrainiens de l’Est, qui soulève d’avance de satisfaction morale et de ferveur humaniste les commentateurs du bloc BAO. Comme Shamir l’observe, mais pour une autre raison, Poutine pourrait bien envisager cette fois une véritable intervention, avec les perspectives qu’on imagine.
Au niveau diplomatique, la réunion hier des ministres des affaires de l’étrangères de l’UE (voir EU Observer, ce 20 janvier 2015) a montré que toutes les possibilités d’arrangement évoquées ces dernières semaines, pour la levée des sanctions, ont été balayées. Les pressions US, la coordination avec l’attaque ukrainienne qui est comme d’habitude décrite, narrative grondante, comme une conséquence de l’attitude de la Russie interdisant tout compromis avec elle, la volonté enfin de l’UE de ne pas montrer ses divisions, ont abouti à un “compromis” qui est simplement l’acceptation de l’attitude la plus radicale possible. L’UE est piégée par ses engagements, sa narrative, ses allégeances, son incapacité d’exister autrement que par l’irresponsabilité hystérique couronnant une opérationnalisation de son suprémacisme arrogant. De même, le gouvernement US, de la même façon, dans la même attitude extrémiste que produit et qu’impose la politique-Système, produit une politique extrémiste qui l’enferme dans le même piège où se trouve contrainte l’Europe.
Ainsi, par la voie d’une somptueuse impasse catastrophique, la crise ukrainienne entre-t-elle dans une nouvelle phase. Ce ne peut être qu’un nouveau paroxysme, à un niveau supérieur d’insaisissabilité et de dangerosité.
On voit pourtant, dans ces enchevêtrements dont la complication formelle extraordinaire n’empêche pas la clarté fondamentale pour qui sait laisser les détails et les enquêtes dénonciatrices des narrative à l’inconnaissance, combien le lien est aisément établi entre la crise-Charlie et la crise ukrainienne, jusqu’à découvrir cette évidence qu’il s’agit de la même crise. C’est la position fondamentale de la Russie qui établit ce lien, en montrant les vrais enjeux. L’analyse de Shamir, avec ses appréciations sur la position de la Russie vis-à-vis de la crise-Charlie et de la commémoration de la libération d’Auschwitz qu’il place dans le même domaine de l’activité crisique symbolisée, conduit effectivement, sans beaucoup de détour, à la crise ukrainienne qui retrouve toute son activité.
La similitude des deux crises, pour ce qui concerne leurs fondements, est elle aussi évidente. De même que la crise ukrainienne dissimule à peine un “conflit de civilisation” entre la vision postmoderne du pouvoir et de l’organisation du monde que privilégie le Système, – on sait que le véritable objectif de cette crise développée par le bloc BAO autant que de la tension avec Moscou reste celui du regime change, – et la résistance (russe) qui s’appuie dans ce cas sur une vision traditionnaliste et occupe objectivement une position antiSystème, de même la crise-Charlie commence à se montrer clairement pour ce qu’elle est. A côté des analyses strictement idéologistes (islamisme, laïcisme, etc.) qui sont manipulables et orientables à merci, il s’agit d’une illustration symbolique et paroxystique du même conflit entre les “valeurs” postmodernes représentées par Charlie et la narrative qui l’accompagne, avec les mouvements sociétaux qui vont avec, et les principes fondées sur divers aspects du traditionalisme, tels que les Russes les conçoivent, et qui se retrouvent dans divers mouvements et tendances, notamment en France pour le cas.
L’attitude des Russes telle que la rapporte Shamir met, justement, tout cela en évidence. Dans ces diverses crises, la Russie joue le rôle très lourd mais indispensable pour l’identification du nécessaire et fondamental activisme antiSystème, de “clarificatrice” des enjeux. Avec elle et grâce à elle, on peut mieux comprendre dans quelle ampleur sinon dans quelle sublimité de la crise haute fondamentale l’on se trouve. Son “rôle très lourd mais indispensable” est également, à la fois héroïque et tragique. Héroïsme et tragédie seront finalement la marque de la crise haute lorsque seront atteintes les vraies échéances...
Alors, finalement, quelles “vraies échéances” ? Il s’agit pour nous de justifier les qualificatifs d’“héroïque” et de “tragique”, que nous n’avons pas choisis par hasard. En effet, nous ne voyons pas comment, dans ce grand affrontement, on pourrait éviter à un moment ou l’autre cette “épreuve du feu” que serait, sous une forme ou l’autre, le paroxysme de la possibilité d’un affrontement armé où les Russes (des Russes) se trouveraient directement face à des Occidentaux du bloc BAO, voire même un affrontement armé commencé... Il est difficile d’imaginer une autre voie, un autre choc, pour parvenir à la prise de conscience gigantesque de ce qu’est cette crise, ou plutôt cet ensemble de crise dont l’Ukraine fait partie et dont les acteurs jouent les mêmes scènes, les mêmes actes, en échangeant des répliques qui appartiennent à des dialogues sans le moindre rapport entre eux.
Mais c’est alors, à cette suggestion de l’“épreuve du feu” que surgissent diverses hypothèses, comme nous l’avons toujours affirmé depuis le premier jour où, envisageant le pire exactement (et jusqu’au pire du pire puisqu’il s’agissait de la possibilité d’un conflit nucléaire), nous avons envisagé également les réactions que l’événement, ou la possibilité quasiment réalisé de l’événement, provoquerait chez les uns et les autres. Nous écrivions, le 3 mars 2014 : «... On comprend que ce qui nous rapproche de 1914, ce n’est pas nécessairement l’événement (la guerre) mais l’esprit d’un temps perdu dans une ivresse aveuglante et qui se trouve soudain confronté aux réalités catastrophiques de lui-même. La crise ukrainienne, et la réalisation que les pressions du Système (du bloc BAO, son “factotum”) peuvent conduire à l’extrême catastrophique des affaires du monde, peuvent aussi bien, grâce au “formidable choc psychologique” dont nous parlons et à l’immense crainte qu’il recèle, déclencher une autre dynamique d’une puissance inouïe. Notre hypothèse à cet égard, rencontrant l’idée de la formidable puissance symbolique du centenaire de la Grande Guerre (voir le 2 janvier 2014), est que cette dynamique est celle de l’effondrement du Système dont rien, absolument rien ne réclame qu’il se fasse dans l’apocalypse nucléaire, parce qu’alors elle pourrait bien être, cette dynamique, le fruit de la panique psychologique totale naissant de la perspective soudain apparue que le risque de la guerre nucléaire existe plus que jamais.»
C’est à ce point que nous en revenons à la crise-Charlie dont nous disions, le 18 janvier 2014 qu’elle devrait susciter en France désordre et hyper-désordre, permettant éventuellement l’apparition d’un blowback (“choc en retour”) de type antiSystème chez les Français eux-mêmes, voire dans la politique française, s’il apparaissait que les enjeux proclamés avec emphase lors de cette crise ne sont que des faux-semblants dissimulant les vrais enjeux. La perspective d’un affrontement avec la Russie, à la lumière des ambiguïtés et des contradictions extraordinaires mises en avant par la crise-Charlie, est d’un tout autre calibre que la question du terrorisme et les agitations entre les diverses communautés. Elle touche tout simplement à l’essentiel, qui est la question de l’effondrement du Système, d’où sont nés et viennent aujourd’hui toutes les crises sans fin parce que sans solution spécifique possible que nous affrontons (y compris “la question du terrorisme et les agitations entre les diverses communautés”).
... C’est alors qu’on pourrait voir la possibilité d’une concrétisation du principal argument contenu dans cette référence, fondé sur une similitude de perception du plus grand enjeu métahistorique possible... «Ce qui rapproche aujourd’hui la France et la Russie, irrésistiblement, hors de tout contexte politique et géopolitique, hors de toute intrigue politique, de volonté d’alliance, de tractations de ferraille militaire, etc., c’est une perception collective dont elles disposent chacune dans leur chef, dont le cœur ne peut qu’être d’essence métahistorique, de l’immensité de la crise (la crise d’effondrement du Système) qui nous frappe et de l’inéluctabilité du destin de cette crise (ce que nous nommerions “la Chute”).»
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